Le curieux numéro de Dominique de Villepin sur Israël, par Ruth Elkrief

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Depuis le 7 octobre, l’ancien Premier ministre multiplie les interventions sur le conflit au Proche-Orient. Invité de « Quotidien », sur TMC, il a dérapé.

Il est furieux. Son grand corps s’agite sur le plateau de LCI. Devant Darius Rochebin, le flamboyant Dominique de Villepin est obligé de répondre aux « rumeurs » : Non, il n’a « jamais eu de contrat ni comme cabinet d’avocat ni comme société de conseil financier et économique avec le Qatar », il a « seulement reçu un prix » et, « oui », il y est allé « plusieurs fois », pour « inaugurer un musée ». Non, il n’est pas antisémite. Mais, tout de même, « il est possible de critiquer le sionisme messianique et le gouvernement d’extrême droite sans être antisémite ».
Pour un peu, il ferait croire qu’il est victime de censure. Voilà revenu le Dominique de Villepin vibrant, contraint d’assurer une défense hésitante après une séquence jusque-là marquée par les compliments. Depuis le 7 octobre, chacune de ses interventions sur le conflit au Proche-Orient est saluée notamment par des dirigeants de gauche, et en premier par ceux de La France insoumise…

Grisé par son succès retrouvé, il a dérapé. Durant l’émission Quotidien, sur TMC, l’ancien Premier ministre, commentait un sujet sur les stars de Hollywood propalestiniennes lâchées par leur agent : « La domination financière sur les médias et sur le monde de l’art, de la musique, pèse lourd, parce qu’ils ne peuvent pas dire ce qu’ils pensent. Tout simplement parce que les contrats s’arrêtent. ».« Et, malheureusement, nous le voyons aussi en France », a-t-il ajouté. Refrain bien connu au sous-texte simple à déchiffrer.

Celui qui confiait ces dernières semaines vouloir « apporter de la nuance » sur des plateaux de télévision où règnent des « crétins » a été emporté par sa fougue et a semblé rejoindre les insinuations malsaines d’un Jean-Luc Mélenchon. Il s’en défend et dénonce une interprétation malveillante. Une question demeure : comment un diplomate aussi expérimenté a pu prononcer ces mots sans réaliser leur charge symbolique ?

Au début de la guerre d’Ukraine, Dominique de Villepin avait tenté quelques incursions médiatiques : Poutine trouvait grâce à ses yeux, la vocation d’indépendance de la France devait se réaffirmer, par exemple en quittant le commandement intégré de l’Otan. Sur le Proche-Orient, l’homme du veto à l’ONU contre la guerre en Irak est sur son terrain : il retrouve son aura de champion de la paix, qui, dès le 12 octobre, dénonce les bombardements « ni ciblés ni proportionnés » sur Gaza, « cette prison à ciel ouvert », renvoyant dos à dos les protagonistes. Bompard, Quatennens, Coquerel l’applaudissent en chœur.

Imprécateurs

Car, s’il montre une exigence inflexible avec la démocratie israélienne, il apparaît plus indulgent avec certains régimes autoritaires. Son cabinet de lobbying international travaille essentiellement pour des pays du « Sud global » (Chine, Venezuela, Iran) : « Moi, je vais au combat contre la droite israélienne », a-t-il confié après avoir débattu sur CNews avec l’avocat français Gilles-William Goldnadel. Comme si c’était la principale mission que s’était fixée l’ancien diplomate.

À chacune de ses interventions, il veut faire figure d’oracle et faire renaître cette tradition française aussi chère à l’extrême gauche qu’aux diplomates retraités de la direction de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, celle d’une France héritière de la ligne « gaullo-mitterrandienne », hostile à ce qu’ils appellent « l’occidentalisme » et nostalgique d’une indépendance mythifiée… En vérité, « il n’a pas besoin des chèques de ses clients pour dire ce qu’il dit, c’est son ADN », confie un de ses proches. Son art oratoire séduit toujours, et, en France, on aime les imprécateurs.

Ruth Elkrief

Source lepoint