Sam Altman d’OpenAI : ces trois jours où la tech a tremblé

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L’embauche, ce lundi 20 novembre, par Microsoft de l’ex-PDG de l’entreprise derrière ChatGPT, brutalement démis de ses fonctions et remplacé par le fondateur de Twitch, signe la fin d’une saga rocambolesque longue de soixante-douze heures.

On imagine l’ambiance tendue de la visio. Devant le conseil d’administration (CA) de son entreprise, OpenAI, le PDG Sam Altman se fait licencier. Le patron de 38 ans s’y attendait-il ? La semaine dernière encore, il paradait de conférence en conférence, vantant les réussites de son business. Certes, l’invitation à ce rendez-vous imprévu, envoyée la veille au soir par l’informaticien en chef de la boîte, Ilya Sutskever, l’a peut-être surpris. Toujours est-il que vendredi 17 novembre, à midi (heure de San Francisco), Sam Altman écoute celui qui est aussi membre du CA le remercier pour le travail accompli. Ce même collègue qui, huit ans auparavant, a cofondé avec lui l’entreprise la plus puissante en matière d’intelligence artificielle (IA) générative.

Le nom d’OpenAI ne vous évoque rien ? Celui de ChatGPT, l’une de leur création, peut-être un peu plus. Le robot conversationnel, révélé il y a quasiment un an jour pour jour, a enclenché une course frénétique à l’IA dans le monde de la tech. Aussi bien capable de suggérer des recettes que de vulgariser des théorèmes de maths, il compte 100 millions d’utilisateurs hebdomadaires. Et a fait s’envoler la valorisation de la start-up qui l’a créé, désormais estimée entre 80 et 90 milliards de dollars (entre 73 et 82 milliards d’euros). De même pour Dall-E, autre technologie d’OpenAI, capable elle de générer des images sur commande. Toutes ces innovations ont vu le jour sous la direction de Sam Altman. Pourtant, ce lundi 20 novembre, le départ du diplômé de Stanford est confirmé. Le patron a été recruté à la volée par Microsoft et remplacé par Emmett Shear, le fondateur de Twitch. Un dénouement intervenant après quarante-huit heures de rebondissements à n’en plus finir.

Car, au moment où Sam Altman éteint son ordinateur le vendredi de son licenciement, deux événements se produisent. D’abord, son acolyte Greg Brockman reçoit lui aussi une invitation énigmatique à une visio de la part d’Ilya Sutskever. Dans les minutes suivantes, cet autre cofondateur est aussi démis de ses fonctions au sein du CA, mais conserve sa place dans la boîte. Ensuite, OpenAI publie un communiqué«Le conseil d’administration n’a plus confiance dans la capacité [de Sam Altman] à continuer de diriger l’entreprise», peut-on y lire. La raison ? Le PDG n’aurait «pas toujours été franc dans ses communications». A sa place, Mira Murati, directrice de la technologie, est nommée PDG par intérim.

Menaces indirectes de démission ?

Combien de cris de surprise ont été poussés dans la Silicon Valley ? La nouvelle inattendue estomaque la fourmilière. Surtout, elle la laisse pantoise : qu’est-ce qui, au juste, est reproché à Sam Altman ? Que ce soit en 2015, lorsqu’il lance avec le milliardaire Elon Musk la société OpenAI, alors à but non lucratif et censée s’assurer que l’IA «n’anéantisse pas les humains». Ou en 2019, lors du changement critiqué de statut de la boîte, devenue une société à «bénéfices plafonnés». Ou plus récemment, devant l’Union européenne ou le Congrès américain, pour discuter de la régulation des algorithmes. Le trentenaire originaire du Missouri, capable de démonter un Macintosh depuis ses huit ans, a toujours tenu bon.

Alors dans les heures suivant son départ, l’ex-PDG est bombardé de messages de soutien. Ecœuré, son collègue Greg Brockman refuse la décision du CA et démissionne. D’après The Information, trois ingénieurs claquent aussi la porte.

Reprenant une publication sur Twitter (renommé X) de Sam Altman, saluant «J’aime tellement l’équipe OpenAI», des dizaines d’employés partagent un émoji cœur. Ces marques de tendresse semblent anodines ? D’après The Verge, elles constituent autant de menaces indirectes de démission adressées au CA. Qui, pendant ce temps, serait en train de rétropédaler en coulisses.

Le rebondissement intervient trente-six heures après la terrible visio de Sam Altman. Tandis que la fronde numérique des employés s’organise, le Wall Street Journal rapporte que de gros investisseurs de l’entreprise, tels que Microsoft et la société de capital-risque Thrive Capital, feraient pression pour faire revenir le dirigeant. Le directeur de la stratégie de la boîte, Jason Kwon, sourire aux lèvres, se dit même auprès d’employés «optimiste» quant à son retour. Et, dans un premier temps, il y a de quoi.

Coup de filet magistral

«Première et dernière fois que j’en porte un», écrit Sam Altman sur Twitter dimanche midi. Sur une photo, le patron fait la moue en direct des locaux d’OpenAI, un badge d’invité autour du cou.

Avec Greg Brockman, l’entrepreneur fort de ses soutiens négocie alors une liste de conditions à son retour, rapporte le magazine Time. D’abord, tous les membres actuels du CA l’ayant viré devront être destitués. Ensuite, il exige une déclaration l’exonérant de tout acte répréhensible. Enfin, tout cela doit être fait le jour même, avant 17 heures.

Initialement, plusieurs médias américains rapportent que le CA accepte de se retirer. Mais une fois la deadline passée, rien ne change. Alors l’ultime coup de théâtre intervient ce lundi, avec un tweet du patron de Microsoft, Satya Nadella : «Nous sommes extrêmement heureux d’annoncer que Sam Altman et Greg Brockman, ainsi que leurs collègues, rejoindront Microsoft pour diriger une nouvelle équipe de recherche avancée sur l’IA», annonce-t-il.

Le coup de filet est magistral. D’autant plus que la firme de Redmond a déjà investi plus de 10 milliards de dollars dans OpenAI et compterait pour 49 % du capital de la start-up avec laquelle elle compte bien maintenir son partenariat.

Depuis, même le nouveau PDG d’OpenAI, Emmet Shear, reconnaît : «Il est clair que le processus et les communications autour du renvoi de Sam ont été très mal gérés.» L’ancien dirigeant de Twitch, parti en mars, envisage d’embaucher un enquêteur indépendant pour revenir sur le licenciement de son prédécesseur. Et de réformer les équipes de direction. Reste à savoir quels effectifs le nouveau patron aura à sa disposition. Des hauts cadres ainsi que 500 employés – sur près de 700, d’après le New York Times – menaçaient à leur tour de partir ce lundi et de rejoindre Microsoft si le conseil d’administration ne démissionnait pas. Après les émojis cœur, les ingénieurs dépités remplissaient, eux, Twitter d’une autre phrase aux airs de message codé : «OpenAI n’est rien sans ses salariés.»

par Elise Viniacourt