L’archéologie, enjeu majeur d’Israël

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L’ouvrage de l’historienne Chloé Rosner raconte un siècle d’engagement pour que les fouilles documentent la très ancienne présence des Juifs en Palestine.

Deux mois après la création de l’État d’Israël, en juillet 1948, son Premier ministre, Ben Gourion, publia lui-même un article qui décrivait les attentes archéologiques de son pays : les antiquités du territoire, désormais entre des mains juives, allaient pouvoir, grâce à des pioches juives, exhumer les secrets du passé et l’histoire de la Bible hébraïque.

Cet article, cité par l’historienne Chloé Rosner dans son remarquable ouvrage Creuser la terre-patrie, traduit toute l’importance accordée à une discipline étatique chargée de s’approprier un patrimoine et d’établir une filiation directe entre le nouvel État et la Terre des Juifs d’antan. Dans aucun autre pays sans doute, l’archéologie n’a suscité un tel enjeu, celui d’un État-nation qui se cherchait des racines et des preuves concrètes d’un lointain enracinement, à même de révéler et de documenter une « terre-patrie ».

« Il s’agit d’éloigner l’étrangeté des immigrés juifs vis-à-vis de la Palestine, de naturaliser leur identité pour en faire des natifs, et de les fédérer autour d’une mémoire collective désormais historique », écrit Chloé Rosner dans cet ouvrage qui retrace l’engouement et la mobilisation très précoces des Juifs de Palestine. Les textes sacrés et religieux n’étaient pas la seule source de référence, il fallait aussi fouiller du côté des antiquités et des ruines.

Une cause nationale

Dès lors, l’archéologie, intégrée au cursus scolaire, devint une cause nationale et populaire. Chaque Israélien fut invité à se transformer en archéologue amateur. Tout le monde était incité à participer, même les fermiers des kibboutzim qui défrichaient la terre d’Israël avec d’autres objectifs, ou les juifs religieux qui criaient au sacrilège.

Une des premières manifestations glorieuses de cette appropriation fut la campagne de fouilles autour de la citadelle de Massada. Déjà ressuscité au début du XXe siècle par les sionistes, comme preuve de l’attachement des Juifs à la Terre d’Israël, le lieu redécouvert en 1932 par de jeunes pionniers ne fut exploré qu’à partir de 1955. Une exploration financée avec tambours et trompettes par l’État mais aussi par des mécènes juifs, menée avec le soutien de l’armée israélienne à la manière d’une nouvelle campagne militaire, comme s’il s’agissait de renverser par la recherche l’issue du combat soldé jadis par le suicide collectif des Sicaires face aux Romains.

Les mêmes grandes manœuvres nationales se déroulèrent autour de la ville biblique de Hazor, au nord du lac de Tibériade, mentionnée dix-huit fois dans la Bible. « L’histoire biblique s’impose comme la colonne vertébrale du passé national collectif ancré dans le territoire. » Les musées se multiplient, avec toujours le même souci de préservation. Cet engouement est réactivé après la guerre des Six Jours, avec la réunification de Jérusalem et la conquête de territoires et de villes désignées par leurs noms bibliques : Hébron, Samarie, Jéricho, Gibeon…

Une préoccupation très ancienne

Ce que révèle le travail de Chloé Rosner, c’est la précocité de la préoccupation juive pour mettre en place des moyens, des sociétés savantes, qui « nationalisent » ces fouilles. Dès la première décennie des années 1900, Éliézer Ben Yéhouda, qui n’est autre, fait révélateur, que le fondateur de l’hébreu moderne, appelle à la fondation d’un institut hébraïque pour la recherche d’Eretz Israël. Dans son esprit, langue et monuments sont liés.

À partir de 1912, une société pour la préservation des monuments historiques juifs (SPMHJ) est créée, dans un contexte concurrentiel : les Anglais, les Français, les Allemands, les Russes fouillent déjà depuis des décennies une terre de Palestine qui est aussi le berceau du christianisme. La SPMHJ naît en réaction à l’achat par une société chrétienne sur le mont des Oliviers d’un tombeau qui renfermerait les sépultures des prophètes juifs Aggée, Zacharie, Malachie. Dès sa création, soutenue par des mécènes étrangers, comme le baron Edmond de Rothschild, le philanthrope anglais Montefiore, elle vise des tombes symboliques dont l’acquisition est définie comme une géoula, une rédemption.

À la même époque, à la suite de la seconde aliya, une première société savante voit le jour pour produire un savoir spécifiquement juif, indépendant des sciences européennes. Les premiers fruits de ces politiques sont récoltés dans les années 1920, quand sont fouillés les sites de Tibériade, de la vallée du Cédron à Jérusalem avec les tombes antiques de Bnei Hezir, Zacharie, d’Absalom, de Josaphat.

Un peu plus tard, ce sont les synagogues de Beit Alfa (Ve siècle) et de Beit Sharim, site prestigieux ayant accueilli le sanhédrin après la destruction du Second Temple de Jérusalem par les Romains, qui sont exhumées, photographiées et même filmées. Dans les années 1930, l’Université hébraïque, fondée en 1925, apporte une aide majeure qui démontre que, bien avant la formation de l’État lui-même, l’enjeu archéologique fut vital pour écrire une histoire passée et présente.

Un enjeu toujours brûlant, comme le prouva, en 1996, le percement du tunnel hasmonéen le long du mur des Lamentations jusqu’à la Via Dolorosa : accusée de fragiliser les fondements de l’esplanade des Mosquées, cette action provoqua trois jours d’émeutes et plus de 70 morts, 62 Palestiniens et 14 soldats israéliens.

Creuser la terre-patriede Chloé Rosner, CNRS éd., 320 p., 25 €.

Par François-Guillaume Lorrain

Source lepoint