Explosion à l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza : ce que nous disent les vidéos

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Analystes et spécialistes dans la géolocalisation des images penchent, pour l’heure, vers un tir de roquette en provenance de Gaza. Sans pour autant être complètement affirmatifs.

Alors que le conflit entre Israël et le Hamas se poursuit, une explosion, suivie d’un incendie, est survenue à l’hôpital Al-Ahli Arabi de la ville de Gaza, au nord de l’enclave, le 17 octobre en début de soirée. L’explosion meurtrière, dont le bilan humain demeure à ce stade incertain – plusieurs centaines de morts sont évoquées par le ministère de la Santé palestinien, d’autres sources indiquant un bilan inférieur – a entraîné de nombreuses manifestations à travers le monde musulman et plusieurs réprobations internationales. Dans un communiqué publié mardi soir, le Quai d’Orsay a notamment fait savoir que «la France condamne avec fermeté la frappe contre l’hôpital Al-Ahli, […] qui a fait un nombre très important de victimes civiles palestiniennes». L’hôpital Al-Ahli Arabi avait déjà été endommagé par un bombardement israélien le 14 octobre, et quatre membres du personnel avaient été blessés, comme l’avait rapporté le 15 octobre Justin Welby, archevêque de Canterbury, dans un communiqué dénonçant la «catastrophe» menaçant les hôpitaux gazaouis.

Depuis hier, Israéliens et Palestiniens se renvoient mutuellement la responsabilité du tir meurtrier. Le Hamas, à l’origine des attaques terroristes du 7 octobre, nie toute implication dans l’explosion qui a touché le bâtiment hospitalier. Dans un communiqué de presse, le mouvement islamiste accuse Israël, dénonçant un «crime de génocide qui révèle à nouveau l’affreux visage de l’ennemi criminel et de son gouvernement terroriste et fasciste».

Ce mercredi matin, l’armée israélienne a fait porter la responsabilité de l’événement sur le Jihad islamique, un autre groupe armé palestinien. Le porte-parole militaire Daniel Hagari a ainsi déclaré en conférence de presse : «Les preuves, que nous partageons avec vous tous, confirment que l’explosion dans un hôpital de Gaza a été causée par le tir d’une roquette du Jihad islamique ayant échoué.» Une accusation démentie par le Jihad islamique, qui a, à son tour, accusé Israël, selon l’AFP.

Différentes séquences (dont certaines erronées, comme par exemple une vidéo horodatée une heure après l’événement), ont été brandies depuis mardi soir pour justifier le fait que la frappe serait un tir israélien, ou un raté des groupes armés palestiniens.

Mais nombre d’analystes en sources ouvertes (Osint) reconnus penchent, à l’heure actuelle, en faveur d’une explosion causée par une roquette tirée du côté palestinien, et non d’une frappe israélienne. Le tout avec une très grande prudence, étant donné le nombre de questions en suspens.

L’explosion de l’hôpital semble concomitante avec un tir de roquettes depuis Gaza

Parmi les multiples images diffusées depuis hier, une vidéo est au cœur des analyses. Elle est issue d’un live de la chaîne Al-Jezira et a été captée à 18 h 59, heure locale (17 h 59, heure française). Elle est tirée d’une caméra située à l’ouest de l’hôpital, qui regarde donc vers le sud-ouest, comme on peut le voir sur cette géolocalisation du compte X geoconfirmed.

Les images montrent un projectile s’élever dans les airs, avant d’exploser dans le ciel gazaoui. Quelques secondes plus tard, une nouvelle explosion apparaît au sol, puis une troisième, plus grosse, également au sol. Cette dernière explosion – géolocalisée – est celle qui a touché l’hôpital, comme l’ont établi différents analystes.

Mais pour les commentateurs, cette vidéo prouverait surtout que l’explosion de l’hôpital survient au moment d’un tir de barrage de roquettes en provenance de Gaza. En effet, à la toute fin de la vidéo d’Al-Jezira, la caméra semble faire un mouvement vers la gauche, plus au nord, montrant quatre autres lueurs s’élever dans les airs. Sans qu’il soit possible d’affirmer que le premier projectile provenait du même endroit que les suivants.

Le compte officiel de l’Etat israélien a diffusé une autre vidéo censée conduire à la même conclusion. Il s’agit d’une séquence d’une douzaine de secondes, diffusée par la chaîne israélienne N12. Si la séquence n’est pas précisément géolocalisée, la chaîne déclare qu’elle a été tournée à Netivot, en territoire israélien, à l’est de la bande de Gaza, donc avec un angle de vue opposé à la première vidéo. On y voit un tir de plusieurs projectiles, suivi d’une explosion présentée comme étant celle de l’hôpital – ce qui ne nous a pas été possible de corroborer, à cette heure, de manière indépendante. La vidéo étant supposément tournée depuis l’est, ces tirs auraient lieu à l’ouest, c’est-à-dire dans la bande de Gaza. Notons que dans cette brève vidéo, le flash lumineux produit par la roquette dans la vidéo d’Al-Jezira n’est pas visible. A l’image, un horodatage affiche 18 h 59, soit une heure très voisine de l’explosion à l’hôpital. Toutefois, nous n’avons pas pu confirmer l’exactitude de l’horodatage affiché à l’écran.

Une troisième vidéo tirée d’une caméra de surveillance, et relayée par le journaliste du Times of Israel Emanuel Fabian, est supposée montrer l’événement depuis le village de Netiv Haasara (à l’extrême nord de la bande de Gaza, côté israélien, à proximité du check-point Herez). Des éléments à l’image permettent de confirmer le lieu de la prise de vue. En outre, Manuel Fabian a publié l’horodatage de la séquence, qui correspond apparemment à celui du live d’Al-Jezira. Dans cette séquence, on peut voir un important tir coordonné de roquettes, partant de la droite de l’image, donc de l’ouest de la bande de Gaza. Et donc du territoire palestinien, l’enclave étant bordée à l’ouest par la mer. Près de vingt secondes plus tard, une déflagration a lieu au niveau du sol. La synchronisation de la vidéo diffusée par Manuel Fabian avec celle d’Al-Jezira suggère qu’il pourrait s’agir des mêmes évènements. Toutefois, dans la séquence prise depuis Netiv Haasara, le flash lumineux produit par la roquette n’est pas visible – empêchant de conclure quant au fait que les deux séquences montrent bel et bien la même explosion.

Roquette interceptée, dysfonctionnelle ou tir direct ?

Pour quelle raison une roquette serait-elle tombée sur l’hôpital ? Sur ce point, plusieurs explications ont été avancées. Sans qu’aucune ne soit conclusive. La vidéo d’Al-Jezira montre ce qui semble être un projectile s’élevant dans les airs, avant d’exploser dans le ciel gazaoui. Six secondes plus tard, une première explosion a lieu au sol en arrière-plan, avant une seconde qui est donc celle de l’hôpital.

Cette séquence a parfois été analysée comme pouvant montrer l’interception par un missile du système de défense israélien d’une roquette palestinienne, dont une partie serait ensuite tombée sur l’hôpital. Cette hypothèse a initialement été avancée par Evan Hill du Washington Post, ou par l’expert danois Oliver Aleksander. Toutefois, ce dernier a fini par se ranger du côté de ceux qui jugent que l’événement «ressemble plus à une panne de moteur de fusée qu’à une interception».

«Après la panne du moteur-fuséenote-t-illa fusée se désintègre. Une pièce atterrit en premier, provoquant une petite explosion, probablement une partie du moteur. L’ogive atterrit ensuite sur l’hôpital, provoquant une explosion plus importante.»

L’hypothèse d’un dysfonctionnement rejoint la version de l’armée israélienne. Le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, a ainsi affirmé que le drame avait été causé par un «raté» lors d’un tir de roquette depuis l’intérieur de Gaza, déclarant que «le propulseur de la roquette s’était enflammé et avait provoqué l’explosion».

A noter que le journaliste du Washington Post spécialisé en Osint, Evan Hill, a également partagé, après l’avoir authentifiée, une vidéo de l’explosion, cette fois au niveau de l’hôpital. Celle-ci est filmée depuis le sol. On y entend le vrombissement d’un objet arrivant visiblement à grande vitesse, avant de visualiser l’impact, dont se dégagent immédiatement des flammes et un nuage de fumée.

Le son suggère-t-il que le projectile était encore propulsé au moment de l’impact ? Interrogé par Check News, un spécialiste de l’analyse de frappes explique que «cela ressemble bien à une bombe en train d’arriver, mais selon la taille, la forme et la vitesse de ce qui a frappé l’hôpital, d’autres choses pourraient produire un son similaire».

Les images de l’hôpital après d’explosion infirment l’idée d’une frappe aérienne

Pour démentir son implication dans la frappe, l’armée israélienne a également publié une vidéo aérienne montrant les dégâts causés sur l’hôpital avant et après. Elle indique que les dommages causés par «le tir raté d’une roquette par l’organisation terroriste du Jihad islamique» ont eu lieu sur le parking de l’établissement et souligne qu’ils ne montrent «aucun signe visible de cratères ou de dommages significatifs aux bâtiments», en les comparant notamment «aux exemples de cratères causés par les munitions l’armée de l’air israélienne». L’analyse de Tsahal indique que les dégâts ne concernent principalement que le parking et partiellement les toits de deux bâtiments.

Check News a également pu consulter des images satellites prises par la société de technologie spatiale Maxar avant l’attaque (le 15 octobre) et ce mercredi matin. Son directeur, Stephen A. Wood, observe que l’image du 18 octobre «révèle une probable zone d’explosion dans le parking principal de l’enceinte de l’hôpital. Aucun dommage structurel significatif n’a été observé sur les bâtiments adjacents».

D’autres images des dégâts à la lumière du jour ont été diffusées ce mercredi matin, et rassemblées sur le réseau social X par Eliot Higgins, le fondateur du site d’enquêtes en sources ouvertes Bellingcat. Elles proviennent de photographies postées par le média palestinien Quds News Network, du photographe palestinien Ali Jadallah de l’agence de presse turque Anadolu et de comptes Telegram de soutiens au Hamas. La disposition des voitures sur ces photographies a permis à des enquêteurs en sources ouvertes de confirmer l’authenticité des images prises par le drone de l’armée israélienne.

L’agence Reuters a également pu filmer et photographier le point d’impact de l’attaque en se rendant à l’hôpital Al-Ahli Arabi ce mercredi. On aperçoit également sur ces images les restes des corps, notamment d’enfants démembrés, qui se trouvaient sur une pelouse située à côté du parking.

A la vue des images du parking endommagé et notamment du supposé point d’impact, Eliot Higins en déduit que «cela signifierait qu’il s’agit d’une charge utile assez faible, bien qu’à l’heure actuelle nous ne puissions pas savoir s’il ne s’agit pas d’un dommage préexistant». Prudent, il ne veut «donc pas en tirer de conclusions».

«Rien n’indique qu’il s’agit d’une frappe JDAM [un type de bombe guidée par GPS, ndlr] et tout indique que le lancement d’une roquette a échoué», commente Oliver Alexander, après avoir vu l’image du parking diffusée par le Quds News Network.

Une analyse partagée par Justin Bronk, chercheur spécialiste des forces aériennes et la technologie militaire à l’Institut de recherches en défense et sécurité Rusi, un think tank londonien. Selon lui, «aucun cratère ou éclat d’obus évident correspondant aux bombes standards de la série JDAM /Mk80 de la Force aérienne israélienne n’est visible sur cette image. Ce n’est pas encore concluant, mais si c’est l’étendue des dégâts, je dirais qu’une attaque aérienne est moins probable qu’une défaillance de la fusée provoquant une explosion et un incendie de carburant».

D’autres analystes contactés par CheckNews vont dans le même sens, notamment à partir des images du point d’impact. C’est le cas de Marc Garlasco, conseiller militaire à PAX for peace, une ONG néerlandaise. Cet ancien du Pentagone spécialisé dans l’analyse post-frappe a enquêté pour les Nations unies sur des crimes de guerre commis en Afghanistan, en Irak, en Syrie ou en Libye. Il forme également les enquêteurs chargés d’investiguer les crimes de guerre en Ukraine. Marc Garlasco explique ne pas être en mesure, à partir des vidéos du projectile et des photos des restes, de déterminer précisément quel projectile a été utilisé, mais affirme que «[Israël] dispose d’un nombre limité de types de bombes. Les dégâts ne correspondent à aucune des bombes aériennes dont dispose l’armée israélienne. Il est plus facile de dire ce que ce n’était pas que ce que c’était. Mais ce n’était pas une bombe aérienne». Un second spécialiste de l’analyse post-frappe interrogé penche lui aussi pour l’hypothèse d’une roquette défaillante, sans être complètement affirmatif, faute d’éléments supplémentaires.

Le service de vérification de la BBC Verify a notamment interrogé J Andres Gannon, professeur adjoint à l’Université Vanderbilt, aux Etats-Unis, lequel affirme que «l’explosion semble être faible, ce qui signifie que la chaleur générée par l’impact pourrait avoir été causée par les restes de carburant de la fusée plutôt que par l’explosion d’une ogive.»

par Service Checknews