Kfar Aza : «regardez bien ce qu’il s’est passé ici, ils ont montré leur vrai visage»

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Alors que l’invasion de la bande de Gaza s’annonce imminente, Benyamin Nétanyahou a fait une visite éclair, samedi, dans le kibboutz de Kfar Aza, théâtre d’un des pires massacres commis par le Hamas lors de son attaque massive.

Soudain, le trafic s’arrête. Par trafic, comprendre quelques citadines de location avec du scotch noir sur les portières indiquant «TV» et des jeeps militaires, clairement plus adaptées à ces petites routes qui mènent aux kibboutz martyrs de ce que les Israéliens appelaient jusqu’alors «l’enveloppe de Gaza». Un convoi soulève la poussière. Au milieu, une limousine blindée. «Le Premier ministre !» lâche un soldat. Le cortège revient de Kfar Aza, «Gaza-Village» en hébreu. Ces derniers jours, la petite communauté de 750 âmes avant le massacre est devenue, avec la rave transformée en charnier, l’un des symboles des atrocités commises par les hommes du Hamas.

Après avoir repris le kibboutz au terme d’âpres combats s’étalant sur deux jours, l’armée israélienne avait tenu à y amener très vite légions de journalistes du monde entier, pour que l’effroi les saisisse. «Comme lorsque les Américains avaient libéré les camps de concentration», avait expliqué Itai Veruv, le major-général derrière cette décision. S’en était suivie une sordide controverse autour de la découverte de «bébés décapités» – exactions que les médias internationaux n’ont pu vérifier indépendamment. Aucun bilan définitif de la tuerie n’a été arrêté, les identifications de certains corps étant toujours en cours, mais le chiffre d’une centaine de morts, dont nombre de femmes et enfants, ne semble faire aucun doute. Et c’est donc en ce lieu, alors qu’on annonce l’invasion terrestre de la bande Gaza imminente, qu’a choisi samedi de se rendre Benyamin Nétanyahou, un léger gilet pare-balles par-dessus son polo noir, pour rencontrer ses troupes avant le combat.

«De la folie pure»

«Ça ne sent plus autant la mort qu’il y a quelques jours», nous annonce Ishaï, un réserviste, à peine passée la barrière du village ravagé. «Ce que j’ai vu ici, ce que j’ai reniflé, ce que j’ai entendu… poursuit-il. De la folie pure. Vous avez entendu les récits des secouristes ? Ils ont massacré femmes et enfants [il mime un égorgement], éclaté leurs crânes contre les murs, abattu des familles entières les mains liées, avant d’y mettre le feu…» Si ce soldat roux, qui tient à montrer la petite kippa de laine qu’il garde sous son casque, nous rappelle tout ça, «c’est pour qu’on arrête de dire que les Israéliens sont les méchants. A Gaza, ils lèvent leurs bébés au ciel comme Simba dans le Roi lion pour que toutes les télés du monde disent que c’est nous les monstres quand on bombarde. Mais regardez bien ce qu’il s’est passé ici, ils ont montré leur vrai visage».

On nous mène dans la partie ouest du kibboutz, le «quartier des jeunes», le plus près des barbelés. Là où sont entrés les commandos du Hamas, après avoir fait sauter l’épais portail à l’arrière. Tout autour, la dévastation des lieux sidère. Voitures, maisonnettes, abris – tout est brûlé ou criblé de balles, souvent les deux. Plusieurs troncs sont déracinés. Le sol boueux – les canalisations ont sauté sous les tirs de grenade – charrie une odeur de latrines et de mort. Y baignent des vélos de gosses, des vêtements encore sur un cintre, une caisse de bières, un frisbee, une sandale, des éclats des palissades qui bordaient les petits jardins de ces ruelles façon «village vacances», où l’on circulait en trottinette ou voiturette de golf. Témoignages d’un temps où l’horreur était inimaginable.

A l’entrée d’un petit logis dont la porte a été soufflée par une grenade, on voit un poster de la série Friends. Le voisin, lui, affichait une parodie de Nétanyahou en train de danser un slow lascif avec un politicien ultraorthodoxe. Le sang, désormais épais et noirci dans le verre brisé, macule le carrelage. Deux attrapes-rêves, intacts, balancent dans le vent à l’entrée d’une petite bicoque calcinée. Au beau milieu de la rue, le cadavre d’un assaillant, emballé dans un sac blanc, se couvre de mouches.

Relents pestilentiels

Sur un bout de pelouse, les soldats ont regroupé l’arsenal que les combattants du Hamas ont laissé derrière eux. Kalachnikovs, lance-grenades, chargeurs de fusil automatique, clenches en fer pour ouvrir les portes, mais aussi des rouleaux de ruban adhésifs et des paquets de Kleenex… «Regardez comme ils s’étaient préparés pour nous massacrer», souligne un autre réserviste, qui, au moment de l’attaque, était à des milliers de kilomètres de là, randonnant en Argentine. «Ushuaia, ça te dit quelque chose ? Mais ça aurait tout aussi bien pu être moi. D’ailleurs, une fille de mon lycée vivait ici.» Lui aussi a les controverses sur la nature des sévices infligées aux victimes entre la gorge. «Des gosses tués devant leurs parents, des familles mutilées, des bébés brûlés, ça vous suffit pas ? Pourquoi on mentirait ? Surtout, les mecs du Hamas, ils ont filmé tout ça, ils l’ont publié fièrement en ligne ! Allez sur Telegram, tout y est.»

Dans la ruelle à côté, un petit groupe de soldats s’affaire dans une maison aux relents pestilentiels. Ils doivent sortir le corps d’un des terroristes. Si toutes les dépouilles des victimes ont été récupérées, plusieurs cadavres des hommes du Hamas gisent encore dans le kibboutz. Les soldats les tirent avec des cordes ou les soulèvent à la pelleteuse, par crainte qu’ils soient minés, explique l’un d’eux, manifestement gêné. Sur un coin de gazon, un tas informe de chairs, donc seule la jambe garde une forme reconnaissable grâce à sa chaussure, bizarrement intacte, a été entouré de rubalise à la va-vite.

Au fond du village, le lourd portail-barbelé qui séparait les kibboutzniks des Gazaouis est béant, les poteaux tordus. A travers, on voit se découper dans l’horizon les immeubles encore debout de l’enclave palestinienne pilonnée sans relâche depuis près d’une semaine. Les tirs d’artillerie, tout proches, sont réguliers. Des colonnes de fumées noires montent au loin. Sur un canapé, quatre soldats clopent, jumelles à la main, fusils-mitrailleurs sur les genoux. «Yep, we gonna fuck’em up», [«Eh ouais, on va les défoncer»] dit l’un d’eux en anglais, pour qu’on entende. Et surtout qu’on comprenne que ce qui adviendra dans les prochains jours, le sera aussi au nom de Kfar Aza.

par Guillaume Gendron, envoyé spécial à Kfar Aza

Source liberation