Familles des otages français : «Tout ce qu’on veut, c’est une photo, on veut savoir»

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Des familles d’otages français du Hamas, réunies à Tel-Aviv pour une conférence de presse ce jeudi 12 octobre, ont demandé publiquement à Emmanuel Macron d’intervenir.

Les rangées de bouteilles d’eau minérale, les cakes moelleux, les baigneurs de retour de la plage croisés dans l’ascenseur, les professionnels de l’hasbara (la propagande, en hébreu) à l’accent américain qui refilent leurs numéros de portable à qui en voudra : tout dans cette conférence de presse, au deuxième étage de l’hôtel Carlton de Tel-Aviv, semble si familier, si normal. Atrocement normal. Loin de l’horreur des kibboutz suppliciés du pourtour de Gaza et des champs transformés en charnier. Mais, derrière ce pupitre où sont apposées les photos de disparus franco-israéliens, il suffit d’un mot tremblant, d’une larme brûlante, d’un hoquet qui vaut tous les hurlements pour être plongé au cœur de l’horreur.

Il y a Doron Journo, solide gaillard au français chancelant et sa fille Meitav, à l’anglais rageur, précis comme un scalpel. Ils sont sans nouvelles de Karine, leur fille et sœur, depuis samedi 7 octobre au matin et ce message, à 8h42 : «La famille, si je ne rentre pas à la maison, je vous aime.» Suivra un appel de quelques secondes mêlant cris et détonations. Comme des centaines d’autres, Karine Journo n’aurait raté le festival Tribe of Nova pour rien au monde. «Elle avait le pied cassé, mais elle y tenait tellement qu’elle y est allée avec un plâtre, explique le père. C’est tout ce qu’elle a fait de mal, vouloir danser.» Est-elle morte ? Captive à Gaza ? L’un comme l’autre l’ignore. Ils s’accrochent à cette vidéo d’une poignée de secondes où ils sont persuadés de l’avoir reconnue, assise dans une ambulance aux côtés de deux autres disparues.

«J’entends des coups de feu, je pense que c’est la fin»

A leur côté, Ido Nagar, pâle comme un linceul, berce sa fille de 6 mois, Ellie. Sa femme, Céline Ben David, mère de l’enfant, se rendait avec deux amis à la même rave fatale, mais le matin, pour profiter des dernières heures de musique. Sur la route, la pluie de roquettes les pousse à se réfugier dans un abri. «Céline a pensé que des soldats arrivaient, mais c’étaient les barbares.» Ils n’ont aucune nouvelle d’elle depuis. «Céline allaitait, elle prenait des cachets tous les jours aussi, souligne son frère, Samuel. Tout ce qu’on veut, c’est une photo. Vivante ou morte, on veut savoir.»

Puis Gaya Kalderon prend la parole. La jeune fille aux pommettes hautes rougies par les larmes énumère : «Mon père, ma petite sœur de 16 ans, ma grand-mère qui souffre d’Alzheimer, mon cousin, mon petit frère qui a juste 12 ans… Je les ai tous perdus.» Toute la famille vivait dans son kibboutz natal de Nir Oz, aux 400 habitants, dont un quart aurait disparu, tués ou kidnappés. Sa chance à elle, ce jour-là, c’était d’être à Tel-Aviv, d’où elle a pu lire les derniers messages de sa mère («Gaya, j’entends des coups de feu, je pense que c’est la fin») et voir cette vidéo d’Erez, son cadet, soulevé par des hommes en armes, marchant vers une colonne de fumée noire, sur un chemin longé de barbelés.

Enfin, le dernier témoignage est celui d’une «rescapée». Son mot est choisi à dessein. En hébreu, «plus facile pour moi», Batsheva Yaalomi décrit ces heures de cauchemar, dans ce même kibboutz de Nir Oz, à quelques centaines de mètres de la bande Gaza. D’abord, «les roquettes, comme d’habitude», la ruée vers le «mamad», l’abri antimissile, avec Eitan, son fils de 12 ans, et ses deux filles, l’une adolescente, l’autre bébé. Puis la porte qui ferme mal et les bruits de kalachnikov, les «Allah akbar», l’odeur âcre des flammes. «Là, on a compris que ce n’était plus la même chose.» Deux heures dans le silence, les terroristes qui se rapprochent, cette porte qui ne ferme toujours pas et le père qui prend la décision, revolver à la main, de s’interposer. «Et là, ils ont réussi à rentrer dans le mamad.» Sa bouche se tord, elle ravale un sanglot. Elle voit son mari à terre, blessé, alors qu’on l’embarque de force avec ses enfants «sur des mobylettes». Vision d’apocalypse : le kibboutz en feu, «des centaines de terroristes qui arrivent et pillent, les télés, les voitures, tout». La moto où elle est juchée avec sa fille et son bébé dérape dans les champs. Dans sa chute, elle n’hésite pas : avec ses filles, elle s’enfuit et court en direction d’une paire de tanks au loin. Mais ils ne s’arrêtent pas. Epuisées, elles décident de s’allonger, et de jouer les mortes. Eitan est déjà loin. Deux hommes du Hamas les secouent puis les abandonnent. «Quelque part, notre chance, c’est qu’on est tombé sur des terroristes mous, quand on voit ce qu’ils ont fait dans les autres kibboutz aux bébés…»

«Si on n’avait pas la nationalité française, personne ne nous écouterait»

Dans l’audience monte un début d’esclandre. Une femme s’indigne de la traduction de l’interprète, trop édulcorée à ses yeux. «Elle a parlé des bébés décapités ! Dites bien que le Hamas, c’est Daesh !» Batsheva Yaalomi reprend la parole : «C’est ce qu’un sauveteur m’a raconté. Ce que je peux dire, c’est que dans notre kibboutz nous étions des pacifistes. Mais ce que j’ai vu, ce ne sont pas des choses que font des êtres humains.» Dans le public, Jocelyne, la «safta» («grand-mère») d’Eitan, se lève : «Mes parents avaient fui l’Autriche à cause de ça. Le Hamas, ce sont des nazis !» Toute une partie de l’auditoire connaît déjà ces histoires édifiantes, relayées abondamment par les médias internationaux. Eux sont venus pour crier leur colère, entendre des mots vengeurs et désigner des coupables, au-delà du Hamas. Une bronca monte : on demande où sont les représentants de l’ambassade de France, du consulat de Jérusalem. Une élue locale de l’Assemblée des Français de l’étranger, instance consultative sans grand pouvoir, s’indigne que le Quai d’Orsay fasse «barrage». Dans la soirée, le parquet antiterroriste français annoncera l’ouverture d’une enquête sur les victimes françaises.

Une journaliste demande ce que ces familles pensent de la «stratégie du gouvernement Nétanyahou», soit le déluge de bombes qui s’abat sur Gaza, où sont retenus leurs proches. «Nous ne faisons pas de politique», esquive Ido Nagar. Meitav Journo, toute à sa douleur, s’y risque : «Si on n’avait pas la nationalité française, personne ne nous écouterait. Personne ne nous a contactés, pas un coup de fil, pas une info, rien.» Samuel Ben David, qui a fait son alyah depuis Lyon avec sa sœur Céline à la fin de l’adolescence, renchérit : «On est “monté” ici en 2006, mais on reste français. Macron doit agir comme si tous ces gens, tous ces enfants, avaient été enlevés en plein Paris.» La conférence s’achève dans le brouhaha. Le cauchemar, lui, continue.

par Guillaume Gendron, envoyé spécial à Tel-Aviv

Source libération