En Israël, dans les rues de Sdérot, les stigmates du carnage causé par les assaillants du Hamas

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SDEROT
Taches de sang, impacts de balle et sacs mortuaires… La localité israélienne située à seulement 1 kilomètre de la bande de Gaza est l’une des plus touchées par l’attaque palestinienne surprise de samedi.

Chaque mètre de ce morceau d’avenue qui entre dans Sdérot, une localité du sud d’Israël, porte une trace du carnage. Au pied d’une moto, une tache de sang sombre. Sur le côté de la voie, une voiture dont l’avant est pulvérisé, comme si elle avait été écrasée par un poing géant. Sur le rond-point, une camionnette échouée là, entre la route et le trottoir, aux impacts de balle à peine visibles. A côté, quatre sacs mortuaires, d’un blanc immaculé.

Deux d’entre eux contiennent les passagers du véhicule, « des travailleurs chinois », affirme Igor Aronov, la peau mate, le corps maigre — un juif originaire du Daghestan, qui a passé toute sa vie ici, à Sdérot, cette ville de la périphérie d’Israël, où l’on trouve à se loger à des prix modiques, à condition d’habiter tout près de l’ennemi. La clôture de Gaza est à 1 kilomètre.

Igor passait là, ce matin, à 7 heures, en revenant du travail — il est gardien. « Il y avait dix combattants, dans un pick-up. Des types du Hamas. Ils ont tiré sur les Chinois », dit-il, en soutenant que les victimes ont été achevées au couteau. Lui a filé à la maison sans demander son reste, et ressort ce soir pour retirer de l’argent liquide et retrouver sa famille, à Ashdod, trente minutes plus loin.

Plus loin, un arrêt de bus, où se trouve aussi l’un des nombreux abris antiroquettes de Sdérot. Des habitants, tentant de se mettre à couvert, sont-ils arrivés un instant trop tard ? Côté droit, une tache de sang, encore. Côté gauche, deux autres, survolées par quelques essaims de mouche. Partout, des véhicules abandonnés en pleine rue, constellés d’éclats de balles, et des gants d’infirmiers bleu électrique, qui jonchent le sol comme des pétales fanés.

Un camion arrive pour charger les sacs mortuaires. La porte arrière s’ouvre, et laisse voir six autres sacs immaculés. Les corps sont empilés les uns sur les autres. Le camion repart. Les cadavres font partie des quelque 250 morts de l’opération du Hamas, un bilan humain effarant, le pire depuis que le Hamas s’est emparé de Gaza, en 2007. La violence de cette razzia a laissé Israël abasourdi, comme ces hommes prenant le frais, sur le pas de leur porte. L’un d’entre eux peine à trouver les mots. « Le Hamas est passé… Comme ça… Ce matin… Ils tiraient dans tous les sens », dit le cinquantenaire replet, en débardeur, derrière la barrière de la maison. « Ils se sont emparés du commissariat… Et ils y sont toujours », ajoute-t-il. Les forces de l’ordre israéliennes, avec l’aide de l’armée, ont finalement repris le contrôle du poste de police dans la nuit.

Humiliation

L’offensive du Hamas, la plus ambitieuse de son histoire, avait commencé à l’aube par des tirs de roquettes. Mais le parti islamiste ne s’est pas contenté de salves, aussi nombreuses soient-elles. Il a lancé depuis Gaza des incursions simultanées, par la terre, la mer et les airs aussi… via des ULM biplaces, un pilote et un tireur. Les assaillants, en pick-up, ont franchi la bordure de séparation et foncé sur les localités entourant l’enclave. Ils ont détruit au moins un tank, se sont emparés de jeeps, qu’ils ont fait passer tout de suite côté Gaza, en ne manquant pas de documenter l’affront.

A Ofakim, 30 kilomètres plus au sud, les combattants du Hamas ont débarqué au beau milieu d’un festival de musique en plein air, créant la panique parmi les centaines de fêtards qui dansaient encore à l’aube. Des assauts ont également été menés sur les localités de Nahal Oz, de Magen, de Be’eri, de Kfar Aza. Ainsi que sur la base militaire de Reïm — celle de Zikim, au nord de l’enclave, a été attaquée par la mer.

A l’hôpital d’Ashkelon, ville de 150 000 habitants située au nord de l’enclave, on n’avait jamais vu ça. « J’avais travaillé pendant la guerre de 2021, mais, cette fois-ci, c’est différent. Ce matin, les ambulances n’arrêtaient pas d’arriver. Beaucoup de blessés par balle, dans les jambes, dans la poitrine… On a peut-être traité deux cents personnes ici, et quinze sont mortes », estime le docteur Razi Joffeh, qui profite d’un moment de pause devant les urgences. Les services ont été saturés et les cas les moins graves, envoyés plus loin. L’hôpital a lui-même été touché par des tirs de roquette un peu plus tard, sans faire de blessés d’après un premier bilan.

Plus grave encore pour Israël, le Hamas a pris des otages par douzaines, se dotant d’un moyen de pression redoutable sur son ennemi. Gilad Shalit, aux mains des islamistes pendant cinq ans, avait été échangé contre pas moins de 1 027 prisonniers palestiniens — dont Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas à Gaza. Les captifs rejoindront les quatre otages déjà détenus par l’organisation, deux civils vivants, et deux soldats déclarés morts par l’armée. Conscients de la valeur de ces prises, le mouvement palestinien a mis en place un groupe spécialisé, chargé de la surveillance des prisonniers. Il s’agit de « l’unité de l’ombre », créé en 2006, et dont l’existence a été révélée en 2016. Elle s’est notamment fait connaître en diffusant une vidéo de Gilad Shalit montrant, entre autres, l’otage faire un barbecue sur une plage de Gaza, ou regardant la télé.

L’humiliation, pour Israël, est de taille. La réponse devrait être en proportion. A Sdérot, les soldats arrivent en bus, les réservistes, avec leur véhicule personnel. Quatre soldats équipés de pied en cap, dans ce qui semble être la plus petite voiture de la ville, cherchent l’avenue Bar-Lev. Un peu plus tard, des bataillons de parachutistes attendent, derrière un supermarché de la chaîne discount Rami Lévy, dont l’alarme incendie résonne dans le vide. Ils s’alignent en rang par deux pour récupérer des grenades pour leur fusil. La plupart n’ont pas 20 ans et font leur service.

« C’est hallucinant. Je n’arrive pas à croire ce qui arrive », dit l’un d’entre eux, à la barbe clairsemée de jeune adulte. « Mouais. Le peuple d’Israël vit, hein ? », dit un autre, reprenant le slogan de la droite israélienne, tout en mâchant son chewing-gum, la mine sombre. Alors que la nuit tombe, le bruit des velcros de leur barda se mêle à celui des chargeurs. Certains réajustent leurs équipements, d’autres leur kippa sous le casque, d’autres encore de discrets porte-bonheur, un bracelet de tissu, une chaîne qu’on dissimule sous le treillis. Les militaires se préparent à rejoindre l’opération de ratissage de la ville, à la recherche des derniers assaillants qui s’y sont embusqués.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance)

Source lemonde