A Vannes, le procès d’un lynchage aveugle d’extrême droite

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Quatre militants du GUD comparaissent depuis lundi pour l’agression ultraviolente de deux jeunes en 2017 à Nantes, identifiés à tort comme des «antifas».

«Je suis moins impliqué mais mes choix politiques sont les mêmes.» Joyce Burkhart les décrit à la barre de la cour d’appel de Vannes : «La défense de l’identité européenne et le combat contre l’universalisation des peuples.» Ce gaillard au crâne rasé de 34 ans porte sur la gorge le tatouage d’un marteau de Thor, symbole prisé de l’extrême droite radicale. Il comparaît depuis lundi 18 septembre et jusqu’à vendredi avec trois complices pour une agression ultraviolente qui s’était déroulée à Nantes dans la nuit du 7 au 8 mai 2017, soir du second tour de l’élection présidentielle. Cinq militants d’extrême droite se revendiquant du mouvement GUD avaient agressé Steven, 16 ans au moment des faits, et Erwan, tout juste 18 ans, identifiés à tort comme des «antifas». Erwan avait été laissé pour mort sur la voie publique.

Sur le banc des accusés, François Mamès Cosseron de Villenoisy, toujours en détention provisoire, est menotté à chaque suspension de séance. Il a rejoint Antoine Desbas, Joyce Burkhart et Matthieu Gaultier de la Richerie, qui comparaissent libres. Le cinquième mis en cause, Tanguy Martin, est depuis décédé. Pour les parties civiles, cette première journée de procès en appel est délicate à appréhender. «C’est assez dur d’être assis à côté de ses agresseurs», explique Steven à Libé. Même ressenti chez le conseil d’Erwan, maître Benoît Poquet, qui explique que son client «vit difficilement le fait de se retrouver à 3 mètres des gens qui l’ont si violemment agressé». Steven nous explique également qu’il a vu que le GUD, en sommeil depuis plusieurs années, s’était reformé à l’automne 2022, à Paris«Ça m’inquiète parce qu’ils sont violents.»

«Quand on sortait en ville, on essayait de chercher la bagarre»

La violence politique est au cœur des débats de cette première journée d’audience. A la barre, Antoine Desbas confirme qu’elle est «banale» pour ces gudards. Ils la recherchent même. «Quand on sortait en ville, on essayait de chercher la bagarre et si on ne la trouvait pas, on se battait entre nous», explique, penaud, cet homme de 25 ans qui va bientôt devenir père. «Contre qui s’exerçait cette violence ?» l’interroge la présidente. «Contre les militants de gauche et un peu tout le monde. Mais il n’y avait pas d’agressions racistes ou homophobes», assure-t-il.

Pourtant, trois des accusés ont été mouillés dans une agression de ce type à Nantes quelques mois avant les faits. En sortant alcoolisés d’une «soirée de Saint-Valentin», ils agressent deux hommes. Il faut l’intervention de la BAC pour que la situation ne dégénère pas. Les deux victimes sont d’origine étrangère. «Comment reconnaît-on une personne étrangère ?» demande l’avocat général. «A l’époque, c’était par sa couleur de peau, son accent ou sa façon de s’habiller», souffle Antoine Desbas qui se défend pourtant de tout racisme.

Le jeune homme s’est politisé au contact de lycéens d’extrême droite au Prytanée national militaire de La Flèche (Sarthe). Arrivé à Nantes pour des études supérieures, il les abandonne rapidement «à cause de l’ambiance gauchiste de la fac», explique-t-il à l’enquêtrice de personnalité. Il est arrivé au GUD «par des connaissances». Matthieu Gaultier de la Richerie a fréquenté les royalistes de l’Action française quelques mois en 2015. Son meilleur ami, François Mamès Cosseron de Villenoisy, fréquente aussi bien le GUD à Nantes que l’Alvarium à Angers où il s’est livré à des violences racistes avec d’autres militants. Joyce Burkhart, le plus âgé, s’est politisé au contact des skinheads de la tribune Boulogne du PSG. C’est lui qui a fondé le GUD Bretagne à Nantes en 2016 après avoir frayé avec les identitaires régionalistes de Jeune Bretagne. «On me l’a proposé, en lien avec les sections parisiennes et lyonnaises», raconte-t-il à la barre.

Un déferlement de violence

Le soir des faits, ce petit groupe traîne dans les rues de Nantes après avoir passé la soirée électorale à «boire du rosé au local du Front national». Selon leur récit de la soirée, l’un d’eux a commencé à décoller des affiches de gauche. Des témoins disent avoir vu ce soir-là des militants d’extrême droite, «pour certains armés de barres de fer», qui circulent en ville et semblent «chercher des manifestants de gauche». Deux membres du groupe auraient été brièvement poursuivis par des «antifas», trouvant refuge dans des bars du coin, avant de retrouver sans encombre leurs amis un peu plus tard.

Ces deux-là sont Joyce Burkhart et Tanguy Martin, alors âgé de 20 ans. Ce dernier aurait pris un coup sur l’épaule. Joyce Burkhart s’en serait pour sa part sorti sans encombre. Mais tous deux sont très remontés quand ils rejoignent leur bande. Si les cinq affirment qu’ils ont alors décidé de rentrer chez eux avec la voiture du «chef», Joyce Burkhart, tous concèdent également que la moutarde leur était montée au nez. C’est en roulant qu’ils ont croisé les deux victimes qui circulent à vélo. Décision est prise de tendre un guet-apens à ces deux jeunes identifiés, à tort, comme des «antifas» car porteurs de cache-cou. Divisés en deux groupes, les cinq leur sautent dessus par surprise, après s’être dissimulés dans des buissons, et s’acharnent. Coups de bombe lacrymogène, bouteilles cassées sur les crânes, coups de pied et de poing enserrés dans des gants coqués : c’est un lynchage plus qu’une bagarre «étant précisé que les agresseurs sont cinq contre deux et à gabarits physiques largement déséquilibrés», précise le juge d’instruction dans son ordonnance de mise en accusation.

Nez écrasé, lèvres coupées, oreille sectionnée

Auditionné, un automobiliste qui passait par là et qui est intervenu, déclenchant la fuite des nervis, raconte comment il a découvert une des deux victimes, Erwan, gisant au sol inanimé. «Le jeune homme respirait fort, du sang coulant abondamment de sa bouche, de son nez, de ses oreilles (dont une sectionnée)», rapportent les enquêteurs de son audition. «Il était inconscient, le nez écrasé, les lèvres coupées.» Les agresseurs se sont acharnés, l’un d’eux aurait même sauté sur sa tête à pieds joints. Six ans plus tard, Erwan garde des séquelles dont il ne se remettra sans doute jamais, déplore son avocat.

En première instance, en mars 2022, Joyce Burkhart avait écopé de huit ans d’emprisonnement, tandis que François Mamès Cosseron de Villenoisy avait été sanctionné de six ans de réclusion. La cour les avait reconnus coupables de violences ayant entraîné une infirmité permanente, en réunion, avec arme et préméditation. Les deux hommes ont interjeté appel. Les deux autres accusés avaient été condamnés à trois ans de prison avec sursis probatoire et ont accepté leur peine. Le procureur de la République de Nantes avait fait appel de toutes les condamnations.

par Maxime Macé et Pierre Plottu