Henri Hajdenberg, ancien président du Crif raconte un demi-siècle de combats

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Henri Hajdenberg, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France, publie le récit passionnant de son activité de militant pour la survie d’Israël dans les coulisses de la politique française.

Henri Hajdenberg voulait « laisser une trace ». Raconter, tel qu’il l’a vécu, l’engagement des juifs français de sa génération pour la défense d’Israël. « C’est la petite histoire dans la grande, celle que mes petits-enfants n’apprendront probablement pas au lycée », sourit celui qui fut avocat, fondateur du Renouveau juif et président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de 1995 à 2001. Son récit, détaillé dans un essai publié aux éditions Herrmann (1), se dévore comme un roman.

Vous êtes né en 1947. La Shoah est-elle à l’origine de cette « fibre juive » qui, écrivez-vous, « vibre » en vous?

Difficile de répondre à cela. Mais indéniablement, comme tous ceux de ma génération, j’ai été profondément marqué par cette tragédie. Mes parents sont d’origine polonaise. La famille de mon père a été exterminée à Varsovie. Les frères et sœurs de ma mère ont porté l’étoile jaune. Tout cela, sans doute, forge une conscience.

Deux événements ont marqué votre jeunesse militante: la guerre des Six Jours en 1967 et celle du Kippour en 1973…

J’étais persuadé qu’Israël allait disparaître! Face aux combattants arabes, l’État hébreu semblait minuscule. Je revois encore ce leader palestinien qui promettait de jeter tous les juifs à la mer. C’était terrifiant.

Israël est pourtant sorti vainqueur. En novembre 1967, Charles de Gaulle qualifie les juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». Cette phrase vous a heurté?

Oui. Le mot « dominateur », surtout, qui n’avait aucune raison d’être. Les juifs ont toujours été persécutés – depuis la nuit des temps. Il n’y pas un seul exemple, dans l’histoire, où les juifs ont été « dominateurs ». C’est d’autant plus choquant que De Gaulle parle du « peuple juif », pas de l’État d’Israël. Raymond Aron lui-même s’en est indigné.

Comment expliquez-vous ces mots du Général?

Je ne veux pas qualifier De Gaulle d’antisémite. C’est grâce à lui que les juifs de France ont été libérés du joug nazi. De nombreux juifs ont rejoint Londres et, au sein de la Résistance, ils n’ont jamais été maltraités. Mais je dirais qu’il y a, derrière son propos, des relents d’antisémitisme. Sur le fond, la position de De Gaulle était stratégique. Après la fin du conflit algérien, la guerre des Six Jours a servi de détonateur à un rééquilibrage de la politique arabe de la France. Pompidou a poursuivi dans cette voie. Giscard est allé au-delà en imposant le boycott économique d’Israël.

Pourquoi cela?

Pour préserver les intérêts économiques du pays. Avant 1973, il fallait ménager les pays arabes qui étaient de gros acheteurs d’armes. À partir de 1973, il y a eu la crise du pétrole!

À la même époque, la gauche radicale est antisioniste. Elle plaide pour un État partagé entre Israéliens et Palestiniens…

Le Parti communiste français suivait aveuglément le dogme, ouvertement antisémite, de l’URSS. Le Parti socialiste, lui, plaidait pour la création de deux états distincts: l’un israélien, l’autre palestinien. Le souci, c’est que le PCF et le PS étaient alliés…

Est-ce pour cela qu’en 1981, vous faites compagne « contre » Giscard mais pas « pour » Mitterrand?

Exactement. [Il sourit] Giscard était notre seule cible. Il n’est pas impossible que nous ayons contribué à sa défaite.

Élu en mai 1981, Mitterrand est le premier chef d’État français à se rendre à Jérusalem…

Il a pris la parole devant la Knesset, le Parlement israélien. C’était un acte politique majeur!

Avez-vous le sentiment d’avoir influencé la politique française?

Nous avons donné une consistance à une expression politique juive française qui n’existait pas auparavant.

Il y a trente ans, le 13 septembre 1993, étaient signés les accords d’Oslo. La paix semblait à portée de main au Moyen-Orient. Aujourd’hui, cependant, rien n’est réglé?

Ça a été un immense espoir, tout de même tempéré par quelques inquiétudes. Nous nous demandions si la parole de Yasser Arafat était fiable. Ce que nous n’avions pas compris, c’est qu’en interne, le leader de l’OLP était contesté. Nous ne pouvions pas prévoir l’assassinat de Yitzhak Rabin par un fanatique juif deux ans plus tard, ni la défaite de la gauche aux élections. Lorsque Benyamin Netanyahou a pris le pouvoir en 1996, je l’ai rencontré. Cet homme, qui avait dénoncé les accords d’Oslo, m’a juré qu’il respecterait la signature de Rabin et Shimon Peres. Hélas, les pourparlers n’ont pas abouti.

Dans la seconde moitié des années 90, à la tête du Crif, vous avez rencontré les principaux dirigeants arabes. Dans quel but?

Après les accords d’Oslo, tout avait changé. Nous souhaitions aller vers un compromis avec un État israélien, un État palestinien et des frontières reconnues des deux côtés. Il me paraissait essentiel de montrer aux Arabes que les juifs du monde entier appuyaient le processus de paix.

En 2012, après la tuerie de l’école juive de Toulouse, des dizaines de milliers de juifs ont émigré en Israël – encouragés par l’État hébreu. Qu’en avez-vous pensé?

La situation géopolitique avait encore évolué. Après l’attentat du 11-Septembre, le djihadisme a pris une place majeure. Les cartes ont été rebattues avec une recrudescence de l’islamisme antisémite. Israël est apparu à certains juifs français comme un îlot au milieu du terrorisme.

Votre défense de l’existence de l’État d’Israël ne s’inscrit ni dans le communautarisme, ni dans l’alyah – l’émigration vers Israël des juifs de la diaspora. Êtes-vous inquiet de l’émergence d’un militantisme identitaire?

Oui. Je suis un fils d’immigré polonais qui a toujours souhaité s’intégrer à la République française. Ma génération a milité au sein de cette République avec les armes de la démocratie. Nous n’avons jamais été dans une revendication jusqu’au-boutiste. Rien à voir avec ceux qui incitent au repli et revendiquent un droit à la distinction.

Israël est désormais gouverné par une coalition de droite et d’extrême droite. Est-ce une menace pour la paix?

C’est d’abord une menace pour Israël et ses habitants! Les extrémistes religieux ont ligoté Netanyahou et tentent de faire évoluer le pays vers une société plus religieuse. Cela va à l’encontre des convictions des fondateurs d’Israël, qui étaient plutôt de gauche et n’étaient pas des religieux. C’est aussi une menace pour la paix, dans la mesure où de plus en plus de fanatiques religieux s’installent en Cisjordanie. Cela rend les négociations encore plus difficiles. Avant 1993, il y avait de l’espoir. Aujourd’hui…

En France, l’un des principaux partis d’extrême droite est présidé par un Français de confession juive qui affirme que « Pétain a sauvé des juifs ». Comment réagissez-vous à cela?

Très mal. Après mon départ du Crif, je n’ai plus pris position pendant vingt ans. J’ai repris la parole pour dénoncer les propos d’Éric Zemmour sur Pétain, sur Dreyfus, sur le fait qu’il faudrait chasser deux millions d’immigrés pour que la France respire! Pétain n’a pas sauvé les juifs français. Bien au contraire: en 1942, il a créé une commission pour que les juifs naturalisés depuis 1923 perdent leur nationalité française! Ceux-là ont été considérés comme apatrides et remis aux nazis. Je ne pense pas que le fait que Zemmour soit juif lui ait donné le moindre crédit « historique » auprès de notre communauté. En revanche, lorsqu’il dénonce la vague d’antisémitisme d’origine islamiste qui balaye la France, il parle aux juifs qui se sentent menacés. Et ils sont nombreux, malheureusement…

1. « Une voix politique juive française » de Henri Hajdenberg, ed. Hermann, 290 pages, 22 euros.

2. Le 13 septembre 1993, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont signé ces accords à Washington, scellés par une poignée de main historique et qui ont conduit à la création de l’Autorité palestinienne, censée préfigurer un Etat palestinien indépendant. Un an plus tard, les trois artisans des accords – le chef de l’OLP Yasser Arafat, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son ministre des Affaires étrangères Shimon Peres – obtenaient le prix Nobel de la paix.

Lionel Paoli

Source monacomatin

1 Comment

  1. si la « gauche radicale » donne des aigreurs d’estomac à l’intéressé, qu’il se soigne, mais il faut une bonne dose de toupet pour identifier le Parti communiste français à la… gauche radicale. Qui plus est et s’agissant des années 1970 il a un problème d’amnésie car ce fut précisément la gauche radicale, je n’y peux rien mais c’est ainsi, qui empêcha qu’une minorité (trotskiste et mao) ne parvienne à faire de la Palestine un deuxième Vietnam. Ce alors même que l’intéressé s’apprêtait à faire la bise à Arafat, voilà qui commence à faire un peu beaucoup

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