Quand le marché de l’art redécouvre Leonor Fini

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A Paris, une galerie du VIIe arrondissement se consacre quasi exclusivement à promouvoir Leonor Fini, cette artiste fantasque un temps proche des surréalistes dont les œuvres restent relativement abordables financièrement alors qu’elle fait l’objet d’un regain d’intérêt important de la part des institutions au niveau international.

Elle était libre, fantasque, exubérante, originale, créative et productive. La peintre Leonor Fini, cette italienne (1907-1996) qui s’installa à Paris en 1930 et y vécut le reste de son existence, avait tout pour réussir. Il n’y a qu’à feuilleter les pages de sa biographie (1) pour s’en persuader. Son ami d’enfance à Trieste était Leo Castelli, le grand marchand des Pop artists américains, qui exposera ses meubles fantastiques à Paris en 1939.

Elle fréquentait dans les années 30 toute la clique du surréalisme, d’André Breton à Max Ernst et Paul Eluard. Sa première exposition française fut orchestrée en 1932 par Christian Dior, du temps où le couturier était encore galeriste (2). La même année, son corps sublime fut immortalisé dans l’eau par un cliché désormais célèbre signé de l’un des plus fameux photographes du XXe siècle, Henri Cartier-Bresson.

L’un de ses premiers grands amours français était le talentueux écrivain André Pieyre de Mandiargues. Son travail fut dévoilé au Moma de New York en 1937 dans l’exposition consacrée au Surréalisme. Elle menait grand train et se montrait généreuse au point par exemple de soutenir financièrement l’écrivain mythique Jean Genet… Jusqu’au moment où il déroba le portrait qu’elle avait fait de lui.

Décors et costumes de théâtre

Leonor Fini a illustré de nombreux livres, a réalisé des décors et des costumes de théâtre et a abondamment pratiqué le portrait mondain pour des raisons alimentaires. En 1963 elle créa même certains costumes du film de Federico Fellini, Huit et demi.

Elle était férue de bals masqués et à cet effet confectionnait des masques précieux mais aussi de grandes robes très théâtrales dont elle aimait se vêtir aussi à la ville. Elle était connue pour aimer vivre avec deux hommes à la fois, un pour l’amitié, un pour le sexe, disait-elle… Leonor Fini était un monde à elle toute seule dont l’œuvre picturale était le reflet.

Pourtant c’est seulement aujourd’hui que la postérité commence à s’occuper d’elle et de sa création. Il n’est pas encore trop tard pour s’intéresser à ses peintures et ses dessins aux styles très divers.« Elle ne voulait pas faire d’efforts pour la promotion de son travail. Elle ne voulait pas se déplacer à l’étranger » raconte sa galeriste qui l’a connue en 1978, Arlette Souhami, pour expliquer l’oubli dont elle fût victime. Une production pléthorique de lithographies décoratives dans ses dernières années a aussi terni son image.

Dessins à partir de 7.000 euros

Jusqu’à aujourd’hui Arlette Souhami se consacre à la promotion de l’œuvre de son amie en collaboration avec la galerie Westein de San Francisco. Jusqu’au 16 septembre l’espace qu’elle gère dans le VIIe arrondissement de Paris, la galerie Minsky, expose un ensemble de travaux de Fini. De toutes les époques, ils sont à vendre à partir de 7.000 euros pour les dessins et entre 60.000 euros et 950.000 euros pour les tableaux. En 2021 Arlette Souhami a aussi publié le catalogue raisonné des peintures de l’artiste (1600 œuvres répertoriées). Un outil clef pour la sécurisation du marché.

A New York en 2023 l’influente galerie Kasmin lui consacrait une exposition en janvier et février avec une majorité de dessins mais aussi des masques et des robes à des prix s’échelonnant entre 8.000 et 350 000 dollars.« Son style est difficile à définir, explique le président de la galerie Kasmin, Nick Olney. C’est un personnage inclassable. Les années 40 sont particulièrement recherchées mais la demande pour des périodes ultérieures est en augmentation. On peut se réjouir que des œuvres uniques soient encore disponibles autour de 10 000 euros. L’exposition a été bien accueillie à New York. La ville a une grande tradition dans l’appréciation de la verve surréaliste ».

Les œuvres de Fini sont intégrées aux collections permanentes des grands musées du monde du Centre Pompidou au Guggenheim de Venise mais elle a été remise sur le devant de la scène récemment grâce à toute une série d’expositions. Ainsi à New York, contre toute attente, le Museum of Sex a impressionné l’opinion par une exposition qu’il lui a consacrée en 2018.

Le grand tournant de son « come-back » tient à la sélection d’œuvres de Fini pour la Biennale de Venise de 2022 par la directrice artistique de la manifestation, Cecilia Alemani, doublée de la présence à la même période au Guggenheim museum de Venise de cinq de ses tableaux dans l’exposition « Surréalisme et magie. Modernité enchantée ».

En décembre 2023 la galerie Minsky consacrera un one woman show à Leonor Fini sur son stand à Art Basel Miami. Enfin en 2024, centenaire de la création du mouvement surréaliste, selon Arlette Souhami Leonor Fini sera au générique de l’exposition anniversaire du Centre Pompidou, tout comme pour l’exposition sur le même thème du Palazzo Reale de Milan.

Hausse annuelle des prix de 20 % en moyenne

La galeriste fidèle et attitrée de Fini explique non seulement qu’elle contrôle un ensemble d’œuvres issues de la succession mais encore qu’elle en rachète souvent en ventes. « J’ai vu et revu passer les œuvres du catalogue raisonné » confie-t-elle. Nous opérons depuis quatre ans une augmentation des prix annuellement de 20 % en moyenne ».

Aux enchères le prix record, 1,9 million d’euros, a été obtenu en 2021 pour un autoportrait de 1938 qui la montre la main vêtue d’un gant qui abrite un venimeux scorpion. « Le symbole d’une femme dangereuse » commente Arlette Souhami.

En 1938 elle peignait une pure composition surréaliste « Personnages sur une terrasse » montrant trois femmes identiques dans un décor d’architecture face au ciel immense. Elles entourent un jeune homme. La peintre déclarait franchement dans un film de 1966 : « Je peins surtout des femmes car je suis intéressée par moi-même ». La toile a été adjugée en 2020 pour 872.000 euros. En 1988 la même avait été vendue l’équivalent de 145.000 euros.

Plus généralement cet engouement pour Leonor Fini suit un vaste mouvement international de redécouverte qui concerne des femmes aux univers fascinants, liées au mouvement surréaliste et à l’avant-garde parisienne des années 20 à 40, trop longtemps oubliées comme Leonora Carrington, Dorothea Tanning ou Marie Laurencin. Cette nouvelle grande vague n’en est qu’à ses débuts. La révision de l’histoire de l’art est en marche.

(1) Leonor Fini Métamorphose d’un art. Andrew Webb. Imprimerie nationale éditions. 2007.310 pages. 89 euros.

(2) La maison de couture Christian Dior a récemment fait l’acquisition auprès de la galerie Minsky de deux tableaux qui avaient été montrés par Christian Dior dans la galerie qu’il dirigeait alors.

Galerie Minski –  37, rue Vaneau – 75007 Paris

Par Judith Benhamou

Source lesechos