Comment Patrick Drahi a été « trahi » par son meilleur ami

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Patrick Drahi veut rassurer face au scandale de corruption qui secoue le très endetté groupe Altice (SFR, BFM, Numericable, etc.). Les audits et la vente des centres de données pourraient ne pas suffire à rassurer les marchés… Sans lesquels le groupe ne peut pas tenir.

C’est une lourde semaine qui a commencé ce lundi 7 août, pour Patrick Drahi. Cet homme d’affaires franco israélien, résident suisse, fils d’enseignants, parti de rien sinon sa formation de polytechnicien, a bâti un empire, Altice, autour de la téléphonie (SFR, Portugal Telecom, British Telecom), des médias (BFM, RMC), de la fibre optique (Numericable, XpFibre) ou du commerce d’art (Sotheby’s). Mais cet empire fragilisé et ses 39 000 salariés français s’inquiètent.

Le 13 juillet 2023, ce n’est rien de moins que le bras droit de Patrick Drahi, Armando Pereira, son homme de confiance depuis plus de trente ans et responsable de la gestion opérationnelle du groupe, qui était interpellé et inculpé au Portugal, dont il est originaire.

La justice portugaise soupçonne Armando Pereira d’avoir organisé un vaste système de corruption : quelques entreprises, souvent portugaises, mais intervenant un peu partout et notamment en France, étaient systématiquement privilégiées pour fournir des équipements ou réaliser des travaux de sous-traitance, alors qu’elles appartenaient à des proches du numéro deux d’Altice. Lequel, en contrepartie, aurait reçu des commissions en sous-main ainsi que, peut-être, un appartement à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

« Trahi par un petit groupe »

Lundi 7 août, Patrick Drahi, qui n’intervient habituellement pas dans ce type de réunion, a pris la parole lors de la présentation des résultats du deuxième trimestre pour l’entité Altice International, qui couvre notamment le Portugal. Patrick Drahi a affirmé avoir été « trahi » par « un petit groupe d’individus » qui ont  profité des acquisitions  au détriment  du groupe  et de sa propre  réputation .

anière de dire que lui-même n’a rien à voir avec la moindre pratique frauduleuse, alors que les méthodes de Patrick Drahi, pour la construction de son empire, par rachat de centaines de sociétés successives, par des holdings domiciliées dans des paradis fiscaux (Luxembourg, Guernesey) lui avaient valu un bras de fer avec l’ancien ministre socialiste de l’Économie Arnaud Montebourg.

Ces propos viennent après la suspension de plusieurs cadres, y compris en France, et incluant le gendre d’Armando Pereira, directeur des achats d’Altice, ainsi que le lancement d’audits et la suspension de contrats d’entreprises soupçonnées de complicité, ce qui ralentira certains chantiers.

Ces mesures suffiront-elles ? L’univers de la finance s’inquiète, même si Altice n’est plus coté en Bourse depuis 2021. Dans une période difficile pour SFR, il a un besoin vital de la confiance des investisseurs qui achètent les obligations (emprunts) qu’il émet.

Le cabinet spécialisé AlphaValue indique que ces obligations d’Altice se revendent actuellement avec une ristourne de 10 à 40 %. Cela signifie que les investisseurs perdent confiance et que, donc, pour ses prochains emprunts, Altice devra emprunter beaucoup plus cher. Et ce tandis que, déjà, la part de ses emprunts en cours qui sont à taux variable commence à accroître le poids de sa dette, avec la remontée générale du coût du crédit des derniers mois.

« Grave défaut de contrôle interne » selon Moody’s

Patrick Drahi a toujours beaucoup emprunté pour financer les centaines d’entreprises qu’il a rachetées en France, au Portugal, au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Remboursables par vagues successives au cours des prochaines années, les encours de ses emprunts totalisent 20 milliards d’euros pour Altice France, 9,7 milliards pour Altice International et 27 milliards pour Altice USA (dont Patrick Drahi ne contrôle cependant que moins de 20 %). Des montants qui représentent le chiffre, très élevé, de cinq à six fois son résultat opérationnel.

Reposant entièrement sur la confiance des investisseurs et des banquiers, Altice est un colosse aux pieds d’argile, construit sur de la dette. Deux grandes agences de notation, S & P et Moody’s ont déjà dégradé sa note (l’indice de confiance), qui donne le « la » aux investisseurs. En juillet, après qu’a éclaté le scandale lié à Armando Pereira, Moody’s estimait qu’il trahissait un  grave défaut dans le contrôle interne ».

Ce 8 août, Patrick Drahi doit à nouveau s’exprimer, cette fois pour commenter les résultats d’Altice France. Les marchés seront suspendus à ses annonces. Si la vente des centres de données de SFR est déjà dans les tuyaux, on s’interroge désormais sur celle de la branche médias du groupe (BFM, RMC et leurs différentes déclinaisons) afin d’accélérer un désendettement jugé urgent.

Le dossier devrait être suivi de près par l’Élysée. C’est en effet Emmanuel Macron qui, tout juste nommé ministre de François Hollande en 2014, a donné le feu vert final au rachat de SFR, alors propriété de Vincent Bolloré (par Vivendi) par Altice. Alors que son prédécesseur Arnaud Montebourg jugeait le groupe de Patrick Drahi opaque et trop endetté.

André Thomas