De Kiryat Shmona à Essaouira, l’odyssée artistique d’Orly Portal

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Née dans l’ébullition des cultures marocaine et israélienne, Orly Portal est une artiste polymorphe qui fait de son héritage une célébration scénique colorée. À travers chaque mouvement de danse, elle souhaite «construire des passerelles entre les peuples et promouvoir la compréhension mutuelle». Interview.

Née en 1969 à Kiryat Shmona, d’une mère native de Casablanca et d’un père Souiri, Orly Portal incarne une somptueuse symphonie de diversité culturelle. Son initiation à l’art commence à l’Académie de musique et de danse de Jérusalem, un voyage qui la mène jusqu’aux marches de compagnies de danse illustres telles que Kol Demama et Batsheva.

Aujourd’hui, Orly Portal est un tourbillon artistique, une chorégraphe inspirée, une enseignante passionnée et une musicienne talentueuse. À la tête de sa propre troupe, elle défend un langage de danse unique, naviguant habilement entre l’improvisation et la danse contemporaine et traditionnelle. À travers ses mouvements, l’artiste incarne la puissance et la beauté de son héritage marocain, tissant une danse envoûtante qui évoque les rythmes captivants de sa terre natale.

Le360: Comment décririez-vous l’influence de vos origines marocaines sur vos chorégraphies?

Orly Portal: Mon enfance fut une symphonie colorée et rythmée de notes Chaâbi, un héritage précieux de mes parents marocains qui résonne encore aujourd’hui dans chaque battement de mon cœur. Tel-Aviv était la toile sur laquelle se peignaient nos fêtes, mais c’est le Maroc qui en était l’inspiration. Mon père, véritable maître de cérémonie, organisait des fêtes foisonnantes et vibrantes, où le son des musiciens invités remplissait chaque recoin de notre maison. Ainsi, il a su insuffler la tradition marocaine dans mon quotidien et éveiller en moi une passion dévorante pour la musique et la culture de mes ancêtres.

Notre quartier était une mosaïque culturelle où dominait la chaleur marocaine, une enclave où le dialecte, les traditions et les valeurs marocaines rythmaient la vie quotidienne. Et nous les enfants, même sans maîtriser parfaitement la langue, nous dansions au son du tambourin et grandissions en respirant le parfum des traditions de notre héritage.

Mon parcours artistique m’a d’abord portée vers la danse classique, élégante et codifiée. Mais au fil du temps, un chant intérieur se faisait entendre, une mélodie qui évoquait les couleurs et les rythmes de mon enfance marocaine. Ce n’était pas une simple idée, c’était un appel viscéral qui vibrait dans chaque cellule de mon corps, une nécessité de renouer avec le fil rouge de mes origines.

Ce retour aux sources s’est concrétisé lorsque, à l’âge de 25 ans, le destin m’a conviée au Festival de jazz au Maroc. Danser avec les Cheikhat et les Gnawa fut une expérience transformatrice, une rencontre avec la richesse et l’expertise d’une danse ancestrale, où musique, chant et mouvement fusionnent en une parfaite harmonie. Ce voyage initiatique a marqué le commencement de mon immersion profonde dans la culture marocaine, imprégnant mon art et mon corps d’une nouvelle énergie.

Quels aspects de la culture marocaine avez-vous intégrés dans vos chorégraphies?

C’est la culture marocaine, riche de sa danse, sa musique et son chant fusionnés en un seul acte artistique, qui a révolutionné ma perception de l’art de la danse. Contrairement à l’approche classique traditionnelle axée uniquement sur le mouvement, ici, je me suis retrouvée plongée dans une symphonie tridimensionnelle qui réunit chant, danse et musique. Ce n’est pas simplement un changement, c’est une évasion hors de la danse traditionnelle pour ouvrir une nouvelle dimension artistique. Comme danseuse, j’ai dû tout réapprendre, en repensant mon rapport à l’art et en dépassant le simple mouvement pour embrasser le chant et la musique.

Comment l’apprentissage des danses Gnaoua au Maroc a-t-il enrichi votre répertoire artistique?

J’aimerais bien mentionner que je n’ai pas appris ces danses dans une école. C’était plutôt une quête personnelle, une exploration profonde et intime de chaque fibre de mon corps. J’ai scruté, j’ai observé, j’ai imité. J’ai cherché toutes les occasions pour me rapprocher de ces danseurs, m’immerger dans leur monde. Au fil du temps, leurs mouvements sont devenus les miens. En tant qu’apprentie autodidacte, j’ai creusé en moi pour trouver ces trésors cachés, ces gemmes artistiques qui sommeillaient en moi. Et j’ai réalisé que cet univers m’appartenait.

Aujourd’hui, dans mon école de danse, je transmets cette passion. Je les enseigne à mes élèves. Je donne une structure à ces pas, je les intègre dans un cadre en trois dimensions: au sol, debout et dans l’espace. Je les modélise pour les faire entrer dans le monde de la danse contemporaine.

Quels sont les paysages ou les traditions marocaines qui vous ont le plus inspirée?

Le Maroc, avec ses paysages multicolores et ses coutumes diversifiées, est une véritable palette d’inspirations pour moi. Mais c’est Essaouira, cette ville vibrante, qui a conquis mon cœur. Lors de ma première visite, j’ai été submergée par une puissante sensation de retrouvailles, comme si je retrouvais un amour perdu depuis une éternité. Mes larmes coulaient sans retenue. Peut-être que l’héritage de mon père, natif de cette ville, résonnait en moi. Le paysage, le vent, les oiseaux, la langue, les couleurs, les gens, chaque élément a été un puits d’inspiration pour moi. Depuis cette première visite, j’étais déterminée à faire germer quelque chose à partir de cette ville. Et ce fut le cas avec la réalisation de mon projet Swiria.

D’ailleurs, l’un des moments qui resteront gravés à jamais dans ma mémoire, c’est mon voyage à Essaouira pour le Festival Gnaoua. Deux expériences m’ont particulièrement touchée. La première fut lors de l’ouverture du festival, avec la performance époustouflante de Hamid Kasri. Sa voix a fait vibrer chaque fibre de mon être, déclenchant une émotion si puissante que j’en pleurais. J’étais captivée par les mouvements des danseurs Gnawa sur scène, par leur jeu de karkabat (castagnettes), et je me suis empressée d’enregistrer chaque détail pour le reproduire plus tard.

La deuxième expérience fut, toujours lors de ce festival, quand j’ai aperçu une petite fille d’environ 10 ans, perchée sur les épaules de son père ou de son frère. Avec ses deux tresses, elle bougeait la tête en parfaite harmonie avec les danseurs Gnawa. Puis, une fois descendue, elle a pris les karkabat et a commencé à danser avec une aisance et une maturité époustouflantes. En la regardant, j’étais convaincue qu’elle était moi! Son image a influencé toute ma création, bien au-delà de Swiria. C’était une prise de conscience: en la voyant, tout s’est éclairé. Cette révélation m’a ramenée à mes propres souvenirs d’enfance à Essaouira et m’a poussée à renouer avec mes racines.

Que faites-vous pour promouvoir la culture marocaine en Israël?

La danse marocaine est une symphonie de couleurs, de mouvements, de chants et d’histoires. Elle nous parle à travers les vêtements traditionnels et l’artisanat, et nous plonge dans une féerie visuelle. En tant que danseuse et chorégraphe qui vit en Israël, j’ai ressenti le besoin de promouvoir cet univers dans mon pays. J’ai été la première à faire résonner les karkabat sur les scènes israéliennes.

Mon ambition ne se limitait pas à leur présentation, mais à construire une création artistique qui émane de cette influence et qui célèbre la splendeur de cette danse. Dans mes costumes, chaque détail compte. Les motifs, les couleurs, les bijoux, les superpositions de vêtements, chaque élément est choisi avec soin après une recherche méticuleuse. Par le biais de la danse, j’aborde divers aspects de l’artisanat marocain et d’autres traditions culturelles du pays que j’essaye de promouvoir en Israël, mais aussi dans le monde.

En explorant divers styles de danse et en fusionnant les inspirations traditionnelles avec des composantes contemporaines, je m’efforce d’établir un échange entre les coutumes ancestrales et les modes d’expression actuelles. J’aspire à démontrer au public que la culture marocaine est vibrante, en perpétuelle métamorphose, et qu’elle est capable de franchir les frontières pour émouvoir et inspirer.

À travers mes chorégraphies, je souhaite construire des passerelles entre les peuples, promouvoir la compréhension mutuelle et partager cette puissante source d’inspiration avec tout un chacun.

Par Hajar Kharroubi