En banlieue parisienne, un tournoi avec les footballeurs israéliens d’Abou Gosh «pour faire communauté»

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Composée de joueurs juifs et musulmans, l’équipe d’Abou Gosh participe cette semaine à un échange sportif interculturel avec des clubs de la région parisienne. Objectif : prévenir l’antisémitisme et le racisme tout en permettant aux jeunes issus des quartiers populaires de se rencontrer.

«Oh, c’est des gâchettes les Israéliens, rigole Adam. Cinq ou six fois qu’ils sont devant le but, que le goal n’est pas dans les cages, et qu’ils manquent le but quand même.» Perché sur la dernière marche des gradins du club de futsal de Romainville (Seine-Saint-Denis), le footballeur de 14 ans, licencié du club Paris Acasa, a fait près d’une heure de route depuis Mantes-la-Jolie (Yvelines) pour participer au tournoi de ce dimanche 4 juin. Au programme, une rencontre sportive interculturelle entre la délégation de jeunes footballeurs judéo-arabes du club israélien d’Abou Gosh et plusieurs clubs d’Ile-de-France.

Le but ? Déconstruire les préjugés sur Israël et prévenir l’antisémitisme, tout en amenant des jeunes issus de quartiers populaires à se rencontrer. «Bien souvent, dans les villes où nous organisons ces rencontres, que ce soit Sarcelles, Aubervilliers ou ici à Romainville, les gens vivent côte à côte, mais pas ensemble, justifie Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui est à l’initiative de ces rencontres. L’équipe d’Abou Gosh réunit des joueurs juifs venus de la ville de Beit Shemesh et des Arabes d’Abou Gosh, ville majoritairement peuplée de musulmans, deux communes situées à quelques kilomètres seulement de Jérusalem.

L’essor des écoles privées et religieuses hors contrat, dont les effectifs ont plus que doublé entre 2015 et 2022, réduit aussi les possibilités de rencontres entre les jeunes, ce qui renforce la nécessité de trouver des alternatives. «Quand ils jouent au foot, ils se fichent de savoir si c’est à un noir, un musulman ou un Juif qu’ils font la passe. Ils jouent tous ensemble, ils portent le même maillot. Et c’est comme ça qu’on fait communauté, abonde Tony Laïdi, maire adjoint divers gauche de Romainville. [La Seine-Saint-Denis] est souvent stigmatisée. Or participer à ce tournoi, c’est montrer l’exemple d’une nouvelle façon de vivre en communauté. Et c’est d’autant plus satisfaisant que cet événement n’est pas quelque chose qu’on nous impose. C’est beau et ça vient de nous, du terrain.»

«Un exemple de vivre ensemble»

«Souvent, quand on évoque Israël, on a en tête les images qu’on voit à la télé, le conflit et les tensions, déplore Samuel Lejoyeux de l’UEJF. Cette perception nourrit une haine qui retombe sur les Juifs. D’ailleurs, beaucoup ici ignorent que 20 % de la population d’Israël est arabe.»

Ce qu’Aba, milieu de terrain de l’équipe de Persan, dans le Val-d’Oise, ne savait pas jusqu’à dimanche. «D’Israël, je ne connaissais que la guerre avec la Palestine», confirme le collégien de 15 ans. Et il n’est pas le seul. Dans les tribunes, un colosse paré d’une chemise en jean bleu ciel et d’une barbe en collier crie «Moussa» à pleins poumons : Daouda, 27 ans, est venu encourager un jeune attaquant de Romainville. «Quand on nous dit qu’on va jouer avec Israël, on pense tout de suite qu’on va jouer qu’avec des Juifs. Mais je viens d’apprendre qu’il y avait aussi des musulmans israéliens dans l’équipe. Donc oui, c’est un exemple de vivre ensemble», avoue le supporteur. A côté de lui, Saïd et Adam parlent tactique, entre deux bouchées de sorbet. «Ils sont puissants», commence le premier. «Et physique aussi. Ils jouent vraiment au corps-à-corps», étaye le second.

Dans les gradins, on parle hébreu, arabe, français, ainsi qu’un anglais très approximatif mais suffisant pour permettre aux joueurs de se dire l’essentiel. «I like you [«je t’aime bien», ndlr]», lance Tiago du club de Paris Acasa à un joueur d’Abou Gosh, avant d’aller échanger quelques passes avec le coach de l’équipe israélienne. «Quand tu parles football, tu parles toutes les langues», affirme Tsidkiyahu Danzan, qui entraîne l’équipe d’Abou Gosh depuis vingt-deux ans, tout en souriant devant le caractère un peu cliché de sa formule.

Donner des repères historiques

Assis aux premières loges, Nevo, Mohamed et Ramez, tous trois Israéliens, ont le regard suspendu au ballon. Ils ont entre 17 et 18 ans. Le premier est juif, les deux autres musulmans. Ils s’apprennent à parler leur langue maternelle respective et portent le même maillot bleu d’Abou Gosh. Avec ses faux airs de Timothée Chalamet, Nevo ne cache pas son enthousiasme. «C’est excitant de jouer avec des Français et de leur montrer que les Juifs et les Arabes peuvent vivre en paix. Nous sommes plus que des amis. Nous sommes frères», affirme-t-il entourant ses deux amis de ses bras.

Pour Meir Russo, le directeur de l’association de médiation interculturelle israélienne Beit Esther – qui coordonne les entraînements de l’équipe d’Abou Gosh –, ce tournoi est également «un miroir tendu à la France». «Nous n’essayons pas de changer le monde. Mais il y a en France des similitudes avec Israël, analyse Russo. Ces matchs, c’est justement l’occasion d’apprendre à se connaître, à se respecter et à échanger par le sport.»

12 h 30. Le bruit strident du sifflet interrompt le crissement des baskets sur le terrain. Sous la toile blanche d’un barnum baigné de soleil, les joueurs font une pause déjeuner. Merguez halal pour les uns, pizzas casher pour les autres. Dans une ambiance claquettes chaussettes, les Israéliens tapent en rythme sur les tables au gré d’une chanson d’Eyal Golan, un chanteur de pop très en vogue en Israël. L’entre-deux-matchs a permis aux joueurs d’ôter un moment leurs crampons. Sur des bancs en bois, on parle de l’Etat d’Israël, que les jeunes Français connaissent peu voire pas du tout. Côté UEJF, on est là pour donner quelques repères historiques. «C’est loin d’eux tout ça, reconnaît Gwenaël, président de l’académie de futsal de Romainville. Le conflit qu’ils voient, c’est la guerre en Ukraine.»

«On a encore du pain sur la planche»

Alors qu’on est là pour apaiser, raisonner et espérer prévenir toute violence entre communautés, un jeune extérieur au tournoi déboule alors pour s’en prendre physiquement aux joueurs d’Abou Gosh, frappant deux d’entre eux. «C’est un jeune extérieur club, s’empresse de décrypter Gwenaël. Il a passé le grillage, a demandé à deux joueurs d’Abou Gosh s’ils venaient d’Israël. Ils ont dit oui, alors il les a frappés. On lui a demandé de s’expliquer et de formuler des excuses. Ce n’est qu’un ignorant, mais ça montre qu’on a encore du pain sur la planche.»

Un bandage autour de la main droite après l’altercation, Mohamed assure que tout va bien. Avec son camarade touché à la lèvre, ils ont déjà pris leur douche et rangé leur maillot bleu et leurs baskets. Ils ne joueront pas le match de gala. «Qu’est-ce que c’est que ça, s’insurge Ramez, choqué par la violence subie par ses coéquipiers. Je veux rentrer à l’hôtel.» «Deux joueurs viennent de se faire frapper, et pourtant le reste de l’équipe danse et chante en chœur», tente de tempérer Sarah Ouakil, vice-présidente de l’UEJF. «Ils ont parfois subi bien pire», déplore Meir Russo.

14 h 30. Les deux équipes s’avancent sur l’hymne de la Ligue des champions. Grégory monte les marches des gradins à la hâte. Responsable de SOS Racisme en Ile-de-France, celui qui est chargé de lutter contre le racisme et l’antisémitisme dans la région est là pour le match de gala. En 2017, il a fait partie d’une délégation de jeunes et de travailleurs sociaux en Israël, lors de laquelle il avait rencontré l’équipe d’Abou GoshAujourd’hui, ce sont les Israéliens qui sont en France. «Mais sur le terrain, il n’est pas question de pays ou de religions, pas plus que de conflit israélo-palestinien, scande Grégory. L’autre c’est juste un mec qui joue au foot, comme toi.» Avec un but commun : en marquer un.

par Eloïse Duval