Six ans d’attente et il est enfin là : le nouveau polar de Fred Vargas

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Après six ans d’absence et quelques errances de sa créatrice Fred Vargas, le commissaire Adamsberg reprend (enfin !) du service et part enquêter en Ille-et-Vilaine.

En 2017, on avait laissé le commissaire Adamsberg dans le Gard, aux prises avec la résolution de la mort énigmatique de trois octogénaires, manifestement mordus par une étrange araignée. Mais, depuis six ans, depuis ce Quand sort la recluse, plus de son, plus d’image. D’Adamsberg s’entend. Fred Vargas, elle, la mère de l’enquêteur, nous a depuis donné quelques nouvelles. Et pas des bonnes.

En 2019, la romancière annonçait la fin imminente de l’humanité pour cause de réchauffement climatique. Son essai, L’Humanité en péril (Flammarion), écrit en six mois sur la base de sources d’une fiabilité variable, truffé d’interprétations, avait fait grand bruit, donnant aux écoanxieux, survivalistes et collapsologues ce qu’ils espéraient entendre, la reine du polar français jouissant d’une aura médiatique hors norme. Malgré la fragilité de l’essai, Vargas, dans la version poche augmentée parue l’année suivante, en remettait une couche. Mais L’Humanité en péril 2, parue en 2022, n’avait plus fait ciller personne. Les « affaires » précédentes de cette femme de convictions – la cape anti-grippe aviaire et la défense du terroriste en fuite Cesare Battisti – ayant sans doute contribué à une certaine lassitude.

Il n’en reste pas moins que – séparons la femme de l’œuvre – Jean- Baptiste Adamsberg est une icône que rien ne fissure. Et qu’il revient, enfin, pour une dixième enquête.

Meurtre à Louviec.

Sur la dalle, on s’y attendait, commence par quelques reflux climato-anxieux. « La chaleur anormale en plein mois d’avril. Ça ne bousille pas que la planète, ça assèche le cerveau des assassins », déplore Gardon, le gardien du commissariat du 13 e arrondissement de Paris, dès la troisième page, pour justifier que le temps ne soit qu’aux cambriolages amateurs. Être piqué par un moustique en cette saison, pour Adamsberg, c’est d’ailleurs la preuve du « réchauffement climatique ». Le commissaire, écrit Vargas de son double littéraire, comme un aveu, se révèle « extrêmement attentif aux nouvelles environnementales qui ne faisaient qu’accroître son anxiété naturelle ». Après la question du climat et celle des journalistes, à la « dérision » et à l’« irrespect » notoires, venons-en au meurtre, qui survient dans un petit village fictif de Bretagne : Louviec.

Nous sommes à 9 kilomètres du château de Combourg, en Ille-et-Vilaine. Un château où vécut Chateaubriand (le romancier préféré du père de Vargas), qui l’évoque dans ses Mémoires, notamment à propos du fantôme qui le hante. Or voilà que le fantôme, boiteux, revient ici frapper le pavé de son pilon de bois la veille du meurtre… La victime, Gaël Leven, poignardé au thorax, venait de chercher des noises, ivre, à une figure locale, Josselin de Chateaubriand. Josselin est une énigme à lui tout seul, un peu fantastique, inexplicable : il est le sosie de François-René. Même patronyme, tenue d’aristo, boucles brunes, air efféminé, conformément au portrait peint au XIXe siècle, mais sans aucun lien de parenté. Le tueur parfait ?

Puces

Le personnage parfait, en tout cas, pour répandre un parfum de mystère autour d’une série de meurtres dans une bourgade reculée où les croyances ésotériques ont la dent dure. À pas lents, dans la langue délectable qui est la signature de Vargas, l’enquête s’oriente vers la recherche d’un assassin faux gaucher, dispensateur d’œufs de poule, fécondés de préférence, et vecteur de puces. Des puces, oui. Trois ou cinq piqûres en ligne sur chaque victime, et le cours magistral sur le sujet nous est donné par Adamsberg, qui s’y connaît presque autant que Vargas. Laquelle, dans une première vie, a soutenu une thèse d’histoire, « Archéozoologie de La Charité- -sur-Loire médiévale », sous son vrai nom, Frédérique Audouin-Rouzeau, sur la puce du rat comme vecteur de la transmission de la peste au Moyen Âge.

On retrouve la Vargas qu’on aime dans cet Adamsberg-là. La fascination pour les petites bêtes, le décorticage minutieux d’une énigme, les « je ne sais pas » comme méthode d’investigation, les atmosphères flottantes et le temps suspendu, comme dans cette Bretagne qui a encore recours aux « faiseuses d’anges » et où l’on sirote un chouchen sur le zinc du bistrot à l’heure d’Internet §

« Sur la dalle », de Fred Vargas (Flammarion, 512 p., 23 €).

Par Julie Malaure