Salman Rushdie poignardé, un «rappel glaçant» pour les Français visés par l’islamisme

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L’auteur des «Versets sataniques», cible d’une fatwa iranienne vieille de plus de 30 ans, a subi une attaque au couteau vendredi dans l’Etat de New York. En France, plusieurs dizaines de personnes sont placées sous protection policière en raison de menaces islamistes.

Tous ont été profondément « chamboulés » par l’attaque au couteau contre Salman Rushdie vendredi 12 août dans l’État de New York. En France, elles seraient entre « 30 et 50 » personnes placées sous protection policière en raison de menaces islamistes à leur encontre, comme l’a été l’écrivain britannique après avoir été visé par une fatwa iranienne lancée en 1989. Avocat, journaliste, responsable politique, professeur… La liste, connue des seuls services de police, est mouvante, au gré de l’actualité et des prises de position des uns et des autres.

« Tous les gens qui ont des vrais problèmes de sécurité en France ont été très frappés. On a beaucoup échangé entre nous ce matin », témoigne, sous le sceau de l’anonymat, l’une des personnalités visées.

« Même si l’un d’entre nous devient agriculteur dans la Creuse, le risque ne disparaît pas »

« C’est un rappel glaçant que le temps n’efface rien, poursuit la même source. Une fatwa, ça peut vous rattraper dix, vingt ans plus tard. Même si l’un d’entre nous devient agriculteur dans la Creuse, le risque ne disparaît pas. »

« Ce coup de poignard nous atteint tous, souligne Caroline Fourest, éditorialiste régulièrement menacée pour ses prises de position. C’est terrible de l’imaginer souffrant dans son corps pour avoir été notre bouclier. Mais les êtres libres transmettent tant de force par leur exemple que la détermination reprend toujours le dessus, plus forte que jamais. »

Même tristesse teintée de résilience chez Richard Malka. « Je pourrais vous dire que j’ai été bouleversé et terriblement affecté », débute l’avocat de Charlie Hebdo et de Mila, cette jeune femme sous protection depuis qu’elle a tenu des propos virulents sur l’islam via les réseaux sociaux en 2020. « Mais l’important, c’est d’en tirer des conséquences, de comprendre comment on en est arrivé là. Pour que dans un avenir, que je crois malheureusement lointain, ça ne se reproduise pas. »

Malgré des menaces persistantes et « très variables en fonction de l’actualité », l’avocat de Charlie « refuse de se sentir menacé ». Le journal, décimé par un attentat islamiste en 2015 qui avait fait douze morts, dont les dessinateurs Charb, Cabu et Wolinski, après la publication des caricatures du prophète Mahomet, a vivement réagi à l’attaque contre l’auteur des « Versets sataniques ». « Il va falloir répéter encore et encore que rien, absolument rien, ne justifie une fatwa, une condamnation à mort, de qui que ce soit pour quoi que ce soit », a écrit Riss, chef de la rédaction et l’un des rares survivants de l’attentat, dans un billet sur le site du journal.

« Ça me fait très peur. Ils sont sur du long, du très long terme »

Ancien de Charlie ayant échappé à l’attentat, Patrick Pelloux martèle la nécessité d’une vigilance de tous les instants. « L’attaque contre Salman Rushdie, c’est exactement ce qu’il s’est passé avant l’attaque de Charlie Hebdo, analyse-t-il. On pense que ça se calme parce qu’on ne les entend pas, mais ils préparent ça discrètement. »

Il y voit dès lors « un signal ». « Est-ce que des cellules dormantes vont s’activer ? Est-ce que des islamistes attendent ce signal pour agir ? » s’interroge l’urgentiste. « Ça me fait très peur. Ils sont sur du long, du très long terme. »

« Mais tout cela ne me fera pas taire », reprend-il. « Le combat pour défendre la laïcité, les lois de la République, le droit au blasphème et la liberté d’expression, c’est jusqu’à la mort. Je peux être abattu demain sur un trottoir, ça fait partie du combat. »

« Dans notre quotidien, on doit faire preuve d’une constante vigilance »

Ces personnalités sont ou ont été placées sous la protection du SDLP, le service de la protection qui affecte auprès d’eux plusieurs policiers au quotidien, après que les menaces les visant ont été évaluées par la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, le renseignement intérieur). « En réalité, la protection est davantage un accompagnement de sécurité, car on voit bien qu’à tout moment, on peut se faire attaquer », explique Amine Elbahi, ancien témoin interrogé par « Zone Interdite » pour un reportage présenté par Ophélie Meunier sur l’islamisme à Roubaix. Il vaut depuis à la journaliste des menaces et une protection policière journalière.

« Dans notre quotidien, on doit faire preuve d’une constante vigilance, poursuit le jeune homme de 26 ans. Ne pas s’étaler sur les réseaux sociaux, ne pas annoncer où l’on va se déplacer, avoir toujours un plan B, ne pas s’installer près d’une porte d’entrée dans une salle… Il y a un tas de paramètres à prendre en compte pour pouvoir potentiellement rapidement s’échapper ». Lui-même est placé sous protection policière depuis le 30 janvier 2022.

« C’est psychologiquement très lourd pour de nombreuses personnes », confie ce juriste, ex-candidat LR aux législatives. « Il y a une forme de renoncement dans notre propre liberté individuelle. Ils ne vous oublient jamais. C’est ce qu’il s’est passé avec Salman Rushdie. On ne doit jamais baisser la garde. »

Par Pierre Maurer et Hugo Palacin 

Source leparisien