L’antisémitisme cartographié : origines, mouvances et ramifications

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L’Extracteur poursuit un travail sérieux et en profondeur sur la résurgence phénoménale de l’antisémitisme d’extrême droite en France. A lire et à diffuser.

Influenceurs antisémites, figures antivax ou politiques d’extrême droite entretiennent des relations étroites, qui ont un point commun : antisémitisme virulent. Le collectif l’Extracteur, a dressé une cartographie très documentée de la désinfosphère et de ses personnages, d’Alain Soral à FranceSoir en passant par Thierry Casasnovas, après la publication en juin 2021, d’une vidéo pour alerter sur la résurgence de l’antisémitisme dans les discours conspirationnistes sur le Covid-19 et plus généralement au sein des sphères de la désinformation scientifique.

Elles se nourrissent l’une l’autre, partagent leur «travail», s’invitent, se fréquentent. Selon un long format du collectif l’Extracteur, des citoyens «informant sur les dangers de certaines pseudo-alternatives en matière de santé, de médecine, d’alimentation», l’extrême droite et la mouvance complotiste sur Internet sont deux faces d’une même pièce, qui forment une «désinfosphère» aux tons très bruns. Et si celle-ci ne se résume pas aux influenceurs antisémites et autres théoriciens d’une pandémie de Covid ourdie pour «génocider» la population mondiale, ils en sont bien les principales figures.

Terminologie des ensembles

  • L’appartenance à la sphère Antisémitisme est motivée par des propos ou des condamnations à caractère antisémite. Voir plus bas pour les sources justifiant ce classement.
  • L’appartenance à la sphère Confusionnistes est motivée par des discours ou une stratégie entretenant la confusion entre des idées d’extrême droite et d’extrême gauche.
  • L’appartenance à la sphère Santé Alternative est motivée par des discours ou des pratiques pseudo-scientifiques n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité.
  • La sphère « Réinformation » regroupe des médias ou des individus prétendant « réinformer » leur public en dénonçant une pensée unique et les médias « mainstreams. »
  • L’appartenance à la sphère Chrétiens intégristes est motivée par des discours religieux, réactionnaires, rétrogrades, et un prosélytisme chrétien affiché.
  • La sphère Extrême-droite institutionnelle regroupe des partis politiques classés à l’extrême-droite par le Conseil d’Etat.
  • Bon Sens est une association dans laquelle on retrouve (entre autres) parmi les membres fondateurs : Silvano Trotta, Martine Wonner, Christian Peronne et Valérie Bugault. (source)
  • L’Info en QuestionS est une émission diffusée depuis 2020 sur internet. A l’origine de ce projet, on retrouve Jean-Jacques Crèvecoeur, Thierry Casasnovas, Ema Krusi, Chloé Frammery et Christian Schaller qui travaillent ensemble pour ce programme. Marie-Lyne Vuattoux a rejoint cette équipe plus tard. Thierry Casasnovas et Ema Krusi ne sont plus présents à l’antenne pour l’instant. Dans cette émission, beaucoup des personnes présentes dans notre carte ont été invitées le temps d’une émission.
  • RéinfoCOVID est une association fondée en octobre 2020 par Louis Fouché. (La méthode secoué. Les Dossiers du Canard Enchainé n°163 (avril 2022), p. 56)
    Parmi ses membres et contributeurs les plus influents on retrouve Louis Fouché, Hayssam Hoballah, Olivier Soulier, Eric Ménat et Jérémie Mercier.

Dans cet article vous trouverez également une étude pointue et détaillée des liens entre les mouvances et leurs principales figures.

Les principales figures du noyau antisémite

C’est l’exemple d’Alain Soral. Pape de l’antisémitisme français, celui qui appellerait ses bureaux «le bunker» et son appartement le «nid d’aigle» apparaît connecté à la vieille garde de la haine des juifs tout autant qu’à des figures du complotisme qui ont émergé depuis 2020. Via son association Egalité et Réconciliation (dont le site enregistre 4,4 millions de visites en mars), il est par exemple en lien étroit avec Thierry Casasnovas – un gourou naturopathe anti-médecine (et accusé de dérive sectaire), sur qui l’Extracteur a également publié des articles. Mais il est aussi en contact avec Cassandre Fristot, militante du Parti de la France (ultranationaliste) condamnée pour avoir brandi dans une manifestation anti-pass une pancarte frappée du nouveau slogan antisémite «Qui ?», qui dénonce «la main des juifs» derrière la pandémie.

Soral fricote avec Youssef Hindi, qui dresse par exemple un parallèle entre «la religion du Covid» et le «messianisme juif». Sans oublier Dieudonné qui appelait, à la suite du confinement, à la «mobilisation générale» : «Le monde libre est en danger, clamait-il, menacé par une organisation criminelle hier encore souterraine mais qui aujourd’hui agit au grand jour, [une] organisation terroriste», désignant «la mafia sioniste».

Depuis le début de l’épidémie de Covid en France, Soral et son comparse «humoriste» servent leur ragoût antisémite, accompagné d’un fond de sauce covidosceptique comme l’avait souligné Libé. Pas étonnant, pour des hommes qui sont de longue date animés par une haine des juifs aux profonds accents conspirationnistes. Comme l’a démontré Streetpress, la «dissidence» de Soral carbure désormais à la désinformation sur le Covid. Un membre de son public, Marcel D (un pseudo), est d’ailleurs derrière le site complotiste au million de visites mensuelles «Le Media en 4-4-2». Il a aussi sa propre chaîne YouTube, forte de 100 000 abonnés. Agent de la fonction publique territoriale et autoentrepreneur, cet adhérent d’Egalité et Réconciliation est rémunéré depuis plusieurs années par l’association.

Mélange des genres

Un mélange des genres qui se retrouve à tous les étages. Parmi bien d’autres, l’Extracteur épingle également Eric Fiorile, antisémite et antimaçonnique. En 2021, son groupuscule, le CNT, a menacé des médecins supposés complices de la politique sanitaire anti-Covid, leur promettant d’être «traduits devant un tribunal militaro-populaire». Hayssam Hoballah, «coach spirituel holistique» qui croit que les «mondialistes» ont créé le Covid ou que des enfants sont enlevés par les puissants pour être sacrifiés, est décrit comme «militant actif» du CNT de Fiorile. Le site du groupe renvoyait également vers celui d’Un nôtre monde, ces listes des régionales 2021 soutenues par le réanimateur (et complotiste) Louis Fouché…

L’Extracteur mentionne aussi Rémy Daillet-Wiedemann, le complotiste d’extrême droite à la tête d’un groupe mouillé dans l’enlèvement de la petite Mia. Avant d’être stoppé par la DGSI, il fomentait un projet de coup d’Etat et d’attentats antimaçonniques et antisémites. Son groupe recrutait dans les manifs anti-pass de Philippot, que certains de ces conspirateurs envisageaient d’ailleurs d’approcher au nom de ce qu’ils percevaient comme un combat commun contre la prétendue dictature sanitaire. Daillet s’identifie comme «un soldat du front de l’Est» prêchant «la bonne parole du grand Reich». Un peu comme Yannick Lescure, en apparence sympathique youtubeur proposant de recettes de pain mais qui se définit comme «national-socialiste». Le 7 janvier, il appelait en vidéo à tuer les juifs. L’Extracteur cite l’une de ses interventions sur ce «bas peuple [qui] boit son venin juif comme de l’eau bénite».

«Deux ensembles qui se chevauchent et se recoupent»

L’Extracteur fait la liste : les cathos intégristes de Civitas qui ne manquent pas une manif anti-pass ; l’avocat Fabrice Di Vizio, qui porte sa réaction comme une médaille ; les réseaux français qui lient «deepstate» et Covid ; la «réinfosphère» d’extrême droite qui relaie les complotistes ; les partis politiques que sont l’UPR, Debout la France et les Patriotes. Sans oublier le Rassemblement national, où quantité des influenceurs précités ou de leurs coreligionnaires sont passés. Marine Le Pen louvoie d’ailleurs régulièrement pour ne pas braquer ses sympathisants perméables aux thèses conspirationnistes. D’ailleurs, tous ou presque ont appelé à voter pour elle ou «contre Macron» au second tour. Bref, il ressort de cette somme de l’Extracteur que fachosphère et complosphère sont «deux ensembles qui se chevauchent et se recoupent», commente pour Libé un porte-parole du collectif.

FranceSoir, ex-titre majeur de la presse française désormais site internet aux cinq millions de visites mensuelles régulièrement épinglé pour sa désinformation, est un cas d’école. Google lui a retiré ses outils de diffusion de publicité, jugeant son contenu «dangereux et trompeur». Le service de fact-checking de l’AFP a relevé plusieurs fausses affirmations sur son site. NewsGuard, plateforme américaine spécialisée dans l’analyse de la fiabilité des sites d’information et d’actualité, l’érige en premier mésinformateur français, le plus influent.

Sur FranceSoir, toutes les têtes d’affiche de la mouvance complotiste ont tribune ouverte. Et quand le site a imprimé un numéro spécial, distribué gratuitement à Paris le 1er avril, y figuraient les signatures de Louis Fouché, Christian Perronne, Ivan Rioufol et Michel Maffesoli. Le site appelle aussi aux dons et, afin que ceux-ci soient défiscalisables, s’est associé à l’Association de la presse française libre, fondée en 2020 par le quotidien national catholique Présent, le mag de la «droite hors des murs» l’Incorrect ainsi que les titres royalistes Politique Magazine et le Bien commun. Extrême droite et complotisme, toujours.

Sources liberation et bloglextracteur