Elie Korchia a appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour

Abonnez-vous à la newsletter

Le président du Consistoire central Elia Korchia explique pourquoi il a appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle.

Avocat de 50 ans, Elie Korchia préside le Consistoire central depuis octobre 2021. Avec le grand rabbin de France, Haïm Korsia, il a appelé mercredi 13 avril à voter pour Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle.

Comment la communauté juive a-t-elle vécu la campagne présidentielle ?

J’estime tout d’abord que ceux qui pensent qu’il y a un vote juif en France se trompent. Les citoyens de confession juive se positionnent, d’une façon générale, comme les autres citoyens. Deux thèmes cependant nous sont particulièrement chers. Le premier est l’engagement civique, et appeler à voter est une constante. Le second, c’est de faire barrage aux partis extrémistes.

Est-ce à ce titre que vous appelez à voter pour Emmanuel Macron au second tour ?

Le Consistoire de France n’est pas là pour donner des consignes de vote, mais il se doit aujourd’hui de prendre position sur la base des programmes des candidats du second tour. L’heure n’est plus seulement, comme ça a pu être le cas en 2002 et 2017, au front républicain pour faire un barrage idéologique à l’extrême droite. Aujourd’hui, cette position de principe est moins audible qu’auparavant. Même si, pour beaucoup de républicains, il y a quelque chose de choquant dans le fait d’avoir une représentante de l’extrême droite au second tour et, pour la première fois, avec une possibilité réelle de l’emporter. Avec, comme soutiens, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.

La candidature d’Eric Zemmour a-t-elle posé une difficulté particulière pour les électeurs de confession juive ?

Sa personnalité et son discours ont pu séduire une partie d’entre eux, c’est un fait. Mais au fil de sa campagne et de certaines déclarations polémiques, le regard sur sa candidature a changé. Et ce n’est pas un hasard si, finalement, son score s’est effondré par rapport aux sondages du début.

Eric Zemmour a surfé sur un certain nombre de problématiques, de traumatismes des Français juifs qui ne sont pas fantasmés, mais bien réels. Il a utilisé, parfois détourné et instrumentalisé, ces problématiques qui inquiètent fortement les citoyens juifs, touchés, ces vingt dernières années, par des actes terribles qui les ont profondément, intimement affectés. Comme pour la mort de Jeremie Cohen. Le drame de ce jeune qui se fait agresser, violenter en pleine rue par plusieurs personnes et qui, dans sa fuite, se fait percuter mortellement par un tramway, nous a beaucoup touchés. Y a-t-il en outre une dimension antisémite ? Nous verrons ce que donnera l’enquête en cours, je reste bien sûr très vigilant à ce sujet, au regard des précédentes affaires que nous avons pu connaître.

Ce candidat a fait irruption dans la campagne avec la volonté affichée de recomposer la droite. Dans les faits, il a recomposé l’extrême droite en profitant de l’affaissement de la droite traditionnelle, et permis à Marine Le Pen et au Rassemblement national de se renforcer et de se présenter comme un parti non extrémiste pouvant remplacer le parti de la droite classique. Je suis persuadé que Marine Le Pen n’aurait pas obtenu le même score sans la campagne qu’il a faite.

La « marque » Le Pen demeure-t-elle un repoussoir pour les électeurs de confession juive ?

Marine Le Pen a fait une campagne particulièrement sobre et policée. Et c’est finalement Eric Zemmour qui a choqué, avec certaines thématiques antérieurement portées par Jean-Marie Le Pen et par le Front national, ayant notamment trait à la seconde guerre mondiale. Et, du coup, il a « banalisé » la candidate du Rassemblement national. Pourtant, il faut se souvenir des propos passés de Marine Le Pen, qui voulait elle aussi interdire le port de la kippa aux juifs, présenté comme un « petit sacrifice » au nom de la lutte contre l’islamisme.

Dès lors, il faut se positionner sur des éléments programmatiques. Et, avec le grand rabbin de France, nous nous exprimons au nom de la défense de la liberté religieuse.

Craignez-vous que l’interdiction de l’abattage rituel en France, projetée par Marine Le Pen, porte atteinte à la liberté de culte ?

Elle représente une atteinte grave à la liberté de pratique religieuse. Elle met en cause très clairement la possibilité de continuer à pratiquer notre religion, comme nous l’avons toujours fait. En France, où se trouve la troisième communauté juive du monde et la plus importante en Europe, il y a une vraie filière de production de viande casher, avec un partenariat constant entre les représentants de la filière, le Consistoire de France, le ministère de l’agriculture. Cette question est fondamentale pour nous. Elle nous inquiète d’autant plus que le président du parti de Mme Le Pen, Jordan Bardella, a déclaré vouloir interdire aussi l’importation de viande casher.

Cela remet donc véritablement en cause la façon dont les Français de confession juive peuvent continuer à vivre dans notre pays. C’est une charge très violente portée à notre façon de vivre notre judaïsme. Les juifs de France ont suffisamment eu à pâtir de situations difficiles et douloureuses au cours des vingt dernières années pour ne pas avoir en plus à s’inquiéter de savoir si, en cas d’élection de Marine Le Pen, ils pourraient se voir interdire de continuer à manger casher.

Source lemonde