Haïm Korsia : « En France, celui qui écrit des livres peut tout se permettre »

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Le grand rabbin de France a été de ceux qui, ces dernières semaines, sont montés au front contre Eric Zemmour, dénonçant l’ « antisémitisme » et le « racisme » du candidat d’extrême droite.

Haïm Korsia, grand rabbin de France, aime trop la République, à laquelle il a consacré un bel essai l’an dernier (Réinventer les aurores, Fayard, prix de littérature politique Edgar Faure 2020) pour rester insensible aux forces mauvaises qui la minent. Ce matin de décembre, dans son bureau parisien suspendu aux nuages où veillent les portraits de Jean Moulin, Massoud et Moïse, cet humaniste connu pour son piquant se dit « inquiet » : inquiet de l’état du débat en France, inquiet de l’état du débat, inquiet des pulsions mortifères qui s’expriment ». « Réveillons-nous ! » lance en substance ce chantre de l’oecuménisme républicain.

L’Express : « La France va bien, mais se sent malheureuse », titrait récemment le magazine britannique The Economist. Nous sommes des enfants gâtés ?

Haïm Korsia : Il y a toujours eu dans notre pays la tentation maladive d’embellir le passé pour mieux déplorer le présent. Dans le Livre des Nombres, les Hébreux voient le pain leur tomber du ciel – aujourd’hui, cela s’appelle la sécurité sociale, la carte vitale, le chômage ou l’Etat « quoi qu’il en coûte ». Et pourtant, dit la Bible, « même les fils d’Israël se mirent à pleurer », en pensant au temps où ils mangeaient du poisson gratuitement en Egypte – époque où ils étaient pourtant esclaves et où il n’y avait bien entendu pas de poisson !

Nous sommes un peu comme eux. Alors que nous avançons sur un chemin de progrès – ne serait-ce que la découverte des vaccins contre le Covid qui ont permis de sauver des centaines de milliers de vies – les déclinistes prospèrent. Hélas, à la différence d’hier, ils incarnent aujourd’hui un projet social et politique. Là est le danger.

Que pensez-vous de l’état du débat public, à quelques mois de l’élection présidentielle ?

Notre société est comme frappée du syndrome Gilles de La Tourette : chacun lance ce qui lui passe par la tête de manière compulsive, les idioties et les pires horreurs. Mais même en République, tout n’est pas dicible. Il en est, parmi les candidats déclarés, qui mettent tout leur talent à révéler la part la plus noire de nous-mêmes, cette pulsion mortifère qui nous habite tous et que nous tâchons tant bien que mal de réprimer pour pouvoir vivre les uns avec les autres.

A cette partie obscure, ces personnages disent non seulement, « Vas-y, laisse-toi aller », mais « C’est toi qui as raison. » Nous avons tous des préjugés racistes, des idées toutes faites sur les juifs, les musulmans, les chrétiens, les noirs, les blancs, les hommes, les femmes, etc. La question est de savoir comment les dépasser, et non comment les déverser aussi largement que possible.

Vous avez eu cette phrase sans ambiguïté à la télévision à propos d’Eric Zemmour – « Antisémite, certainement ; raciste, évidemment. » Jugez-vous, comme d’autres, qu’il fait l’objet d’une excessive indulgence dans le milieu politique et médiatique ? 

En 1997, le chef du Service historique des armées avait été très vite démis de ses fonctions après avoir écrit dans un rapport : « La thèse la plus communément acceptée est celle de l’innocence de Dreyfus. » Aujourd’hui, quand un candidat à la présidence de la République ose douter de l’innocence de ce héros des armées, on laisse dire. J’ai l’impression qu’en France, un écrivain peut tout se permettre. Il y a toujours eu une sorte de tendresse pour celle ou celui qui publie des livres, quels que soient ses propos, de Léon Daudet à Maurras, de Drieu La Rochelle à Céline.

Eric Zemmour recueille aussi des soutiens au sein même de la communauté juive. Comment l’expliquer ? Par la question de l’islam, qui fracture aujourd’hui la scène politique ? 

L’islam divise aujourd’hui tous les Français, qu’ils soient juifs ou non. Certains de nos compatriotes l’associent à l’islamisme, parce que le djihadisme est le premier danger pesant sur la communauté nationale, alors que Vichy ou l’affaire Dreyfus renvoient à un passé lointain. Mais ce faisant, on tombe dans le piège de l’assignation identitaire. Lorsque je parle, comme tout à l’heure, avec un lieutenant-colonel de l’armée française, et même s’il est musulman, je ne me dis pas que je suis en train d’échanger avec un musulman ! Je parle à un soldat français.

D’après une note du Centre de recherches politiques de Sciences po, 53 % des Français pensent que notre pays est un « ensemble de communautés qui cohabitent les unes avec les autres », et 45 % répondent qu’ils ne s’intègrent à rien. Invoquer la République comme ciment de la nation a-t-il encore un sens ?

La Révolution, comme disait Victor Hugo, n’est jamais finie. Eh bien, il en va de même avec la République. Il y a toujours quelque chose à inventer, à réenchanter. Certains rêvent d’une société où chacun défendrait son pré carré. Moi, je rêve d’une République où chacun pense aussi au pré carré de l’autre, un espace où l’on peut mettre en commun nos capacités, nos efforts, nos espérances.

Un très beau verset dans l’Ecclésiaste dit : « Le coeur du sage est à sa droite, celui de l’imbécile à sa gauche ». Lorsque vous parlez à quelqu’un, son coeur est à votre droite, en effet. Mais si vous ne vous intéressez qu’à vous, le seul coeur qui compte est le vôtre, situé à gauche dans votre poitrine. Et vous êtes alors egocentré, vous êtes amputé du coeur de l’autre.

Le mot clef de l’époque est plus l’identité que la fraternité…

Oui, mais lorsqu’on tire le fil identitaire, on n’en a jamais fini. Je suis juif, mais séfarade ou ashkénaze ? Ashkénaze d’Alsace ou de Pologne ? Séfarade d’Algérie ou du Maroc ? D’Alger la Blanche ou d’Oran ? On est toujours l’étranger de quelqu’un. Et l’on peut donc toujours trouver un motif pour frapper l’autre d’ostracisme. Contre les forces mortifères de l’époque, il faut de l’espérance et de la bienveillance, la vraie, pas celle qui se maquille en sourires faciles.

L’intégration des populations étrangères s’est enrayée ces dernières décennies. Faut-il passer au modèle assimilationniste ? 

Le judaïsme a toujours défendu l’intégration, et non pas l’assimilation, qui, elle, abrase tout. Et c’est d’ailleurs le modèle français. On ne vient pas enrichir de sa personne la communauté nationale si l’on perd de vue qui l’on est. Lorsque Napoléon demande aux juifs de France de répondre à 12 questions portant sur les règles fondamentales du Code civil, le 10 décembre 1806, il n’exige pas d’eux qu’ils renoncent à leur identité. Vous vous rappelez la théorie des ensembles, en mathématiques ? [NDLR : il saisit son stylo et commence à tracer un cercle sur une feuille de papier]. Un individu correspond à un cercle. Dix individus semblables forment exactement le même cercle. Mais dix personnes différentes représentent dix cercles distincts, avec des points de jonction entre eux et un espace beaucoup plus grand sur la feuille. C’est cette richesse qu’il faut cultiver. Evidemment, cela suppose de ne pas confondre unité et uniformité, grande tentation de l’époque. Dans l’unité, nous sommes différents, mais liés les uns aux autres, et donc plus forts.

La laïcité est une spécificité hexagonale. Or, les Français s’écharpent toujours sur le sens qu’ils veulent lui donner. Pouvons-nous nous entendre sur une définition commune ? 

De la fin de la Première Guerre mondiale à 1989, l’année de l’affaire de Creil [NDLR : deux collégiennes avaient été exclues de leur établissement pour avoir refusé d’ôter leur voile], la laïcité n’était absolument pas un sujet de discorde dans le débat public. Parce que sa définition est beaucoup plus simple qu’on ne le dit : elle est ce principe qui garantit la liberté de la pratique religieuse, dans la limite du respect de la liberté des autres, l’Etat n’ayant, lui, aucune appartenance confessionnelle. Chaque citoyen peut ainsi construire sa morale personnelle en se fondant sur ses croyances ou sur son humanisme. Il trouve un équilibre entre ses convictions et le respect de la loi. Lorsque ce principe est utilisé pour obliger quelqu’un à choisir entre l’un ou l’autre, c’est qu’il est mal interprété.

Il y a quelques jours, j’ai emmené plus d’une centaine d’élèves à Auschwitz. La visite se concluait par une cérémonie inter-religieuse avec une pasteure, un curé, un imam, un rabbin et l’ambassadeur français en Pologne. Une école sur les sept concernées a refusé que ses élèves assistent à la séance, parce qu’elle y voyait une atteinte à la laïcité. Nous avons pourtant parfaitement respecté la liberté religieuse et la neutralité de l’Etat. Pourquoi s’affronter sur des situations aussi vénielles ? Bien sûr qu’il faut mettre des limites, et cela a été fait avec la promulgation de la loi de 2004 qui rappelle clairement la neutralité de l’école en matière confessionnelle. Mais lorsque certains réclament l’interdiction des signes religieux dans tout l’espace public, c’est-à-dire lorsqu’ils veulent imposer à des croyants l’impossibilité d’être eux-mêmes dans certains lieux de la vie sociale, ils se trompent et nient les principes de la laïcité qui sont faits de liberté. De nos jours, le génie de la laïcité est dévoyé, par ceux qui affichent des revendications conduisant au séparatisme, comme par ceux qui voudraient que la religion soit assignée à résidence dans l’espace privé. Mais la laïcité n’est pas l’athéisme, même si elle le permet, bien entendu. Elle incarne pleinement le triptyque de liberté, d’égalité, et de fraternité. Là réside une part lumineuse du secret de notre bonheur de vivre républicain.

Source lexpress

2 Comments

  1. Au nom de qui prenez vous cette position?????? pas en mon nom surement ni au nom des juifs de France et partout dans le monde .c est regrettable de votre part vous etes un arriviste a la solde de Macron .

  2. Bien que ne souhaitant plus intervenir sur ce site qui héberge des juifs-fachos-diffamateurs je ne laisserai pas le lècheur-de-bottes Haïm Korsia faire ici oeuvre d’intoxiction et accréditer qu’en 1997 le Chef du Service historique des armées aurait été… démis de ses fonctions.
    Le grand-rabbin fait ici du vrai avec du faux, il joue sur les mots et il spécule (j’ose espérer que ce mot ne me vaudra pas de noirs soupçons) sur l’ignorance du public. On était en 1994 -et non en 1997. Le nommé Léotard, ministre de la Défense de Balladur qui était le candidat présumé de la doite et se serait bien vu mettre-les-juifs-dans-sa poche, s’avisa de ce qu’un fort confidentiel bulletin avait présenté l’innocence de Dreyfus comme n’étant qu’une hypothèse : il se précipita pour faire mine de révoquer le colonel ! Mais le bon sens, à lui seul, permet de rectifier : en France on ne révoque pas, un colonel… La cosmétique sanction avait été prise sous une forme de nature à pouvoir ensuite permettre la discrète réintégration de l’intéressé (l’agent n’avait pas eu accès à son dossier).
    Quant à la date de… « 1997 » monsieur le grand rabbin ne saurait mieux se foutrrer le doigt dans l’oeil. Ce fut effectivement l’année où, avec la complicité de la presse qui se contenta d’un service minimum, le colonel fut discrètement… réintégré (114 mots en tout et en page 17 de ‘Libération’ du 4/6/1997, 112 mots dans le ‘Monde’ du même jour et en page 20).
    Et le comportement des milieux juifs de cour, qui alors détournèrent le regard avec autant d’assiduité qu’ils avaient salué la « fermeté » de Léotard, ne fut pas beaucoup glorieux, je n’y peux rien mais c’est ainsi.

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    – Le Monde ; Libération ; Service Historique de la Défense

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