Six mois après sa conquête du pouvoir, la coalition acrobatique de huit partis politiques tient bon en Israël, avec de véritables avancées politiques. L’ombre de l’omniprésent Netanyahou se fait moins pressante.
Début septembre, Angela Merkel s’est lancée dans une tournée d’adieu à travers le monde, voguant de capitales en capitales après seize années passées à la tête de l’Allemagne. Le 10 octobre, la désormais ex-chancelière s’est arrêtée à Jérusalem, où elle a rencontré pour la première fois Naftali Bennett, tout nouveau Premier ministre de l’Etat hébreu. Kippa vissée sur le crâne, le quadragénaire a salué « une amie d’Israël », avant de lui présenter son gouvernement pour le moins original… Une alliance inédite de huit partis politiques, allant de la gauche à l’extrême droite.
La visite de la chancelière a donné lieu à une photo que peu auraient imaginée en Israël il y a un an : Merkel en compagnie des neuf femmes ministres du gouvernement Bennett, un record dans l’histoire d’Israël. « Il s’agissait d’un moment solennel et très émouvant pour les Israéliennes, raconte la ministre de l’Innovation, Orit Farkash-Hacohen, avec un sourire dans la voix. Cette photo et le nombre de femmes dans ce gouvernement symbolisent une nouvelle ère pour la politique israélienne, nous sommes la preuve que les femmes peuvent faire tout ce que fait un homme, mais en mieux. » Le rire de la nouvelle ministre en dit long sur l’atmosphère politique qui règne en Israël, après deux années de tensions extrêmes et quatre élections dans l’impasse.
Netanyahou n’est plus qu’un opposant
Pendant son séjour à Jérusalem, Angela Merkel a refusé de croiser Benyamin Netanyahou, pourtant son homologue pendant douze ans à la tête d’Israël, de 2009 à juin 2021. Pour la chancelière allemande, la page « Bibi », comme le surnomment les supporters de l’ancien Premier ministre, est bel et bien tournée en Israël. Froissé, le chef du Likoud a profité de son temps libre pour recevoir d’autres invités étrangers, eux aussi controversés et écartés du pouvoir cette année : la fille de Donald Trump, Ivanka, et son gendre, Jared Kushner. Le teint bronzé par de longues vacances à Hawaï, Netanyahou doit se résoudre, tant bien que mal, à son nouveau rôle de premier opposant.
A 72 ans, Bibi reste pourtant en pleine forme. « Il n’a rien perdu de sa vista, ni de son mordant », témoigne un habitué des coulisses de la politique israélienne. Dans les couloirs de la Knesset, le Parlement de l’Etat hébreu, de nombreux députés se plaignent de ses mauvaises manières à la salle de sport, lui qui a tendance à regarder la chaîne ultraconservatrice Fox News à plein volume. A la tribune, il ne rate jamais une occasion de taper sur la gauche et d’accuser la droite au pouvoir de « collaborer avec les terroristes », en raison de son alliance avec un parti arabe israélien.
Mais la hargne de Netanyahou et son génie politique ne suffisent plus. Le 4 novembre, le gouvernement Bennett a obtenu sa première victoire majeure en faisant adopter un budget par la Knesset, le premier depuis trois ans. Sauf désintégration politique majeure, le gouvernement est assuré de rester en place jusqu’à 2023 et dispose de 160 milliards d’euros pour développer des mesures gelées depuis 2018. « Il s’agit d’un tournant pour Israël, qui n’a plus à s’inquiéter de chaos électoral avant deux ou trois ans, décrypte un proche du gouvernement. Avoir un budget va permettre de s’attaquer aux problèmes très concrets des Israéliens, comme le prix de l’immobilier ou les embouteillages monstres. »
Surtout, un message commence à s’ancrer dans la tête des citoyens : même sans Netanyahou aux manettes, Israël ne s’effondre pas. « Il n’y a pas si longtemps, l’expression ‘Premier ministre Bennett’ sonnait comme un langage extraterrestre en Israël, pointe Yonatan Freeman, professeur de relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem. Mais sa présence aux Nations unies, à la COP 26, aux côtés de chefs d’Etat étrangers ou son leadership face à la menace iranienne lui donnent de l’assurance et améliorent son image. Il impose sa marque, même si Netanyahou reste plus populaire que lui dans les sondages. »
Dès ses débuts, en juin, les interrogations entourent ce gouvernement acrobatique. Comment se mettre d’accord, à huit partis, pour mener une véritable politique nationale ? Pour la majorité des observateurs, le novice Bennett allait être réduit à gérer les affaires courantes, avant que son alliance n’explose sur un désaccord. « L’ambition première de cette coalition, inédite dans l’histoire d’Israël, est de mettre un terme au règne interminable de Netanyahou et de réparer la société israélienne en rétablissant le dialogue et la coopération entre les différents groupes qui la composent, souligne David Khalfa, chercheur à l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient pour la fondation Jean-Jaurès. Il y a un véritable changement de style de gouvernance, collégiale et fondée sur la recherche du compromis. Bennett doit en permanence arbitrer entre les positions parfois antagonistes des huit partis qui composent sa coalition. C’est un exercice difficile, qui s’apparente davantage à celui d’un manager qu’à celui d’un Premier ministre. » Et, contrairement aux prédictions, ses ministres vont beaucoup plus loin que la gestion des embouteillages et des prix de l’immobilier…
Une reprise des discussions avec l’Autorité palestinienne
La question palestinienne, notamment, revient au cœur des discussions, alors que les relations avec l’Autorité palestinienne étaient gelées depuis la guerre de Gaza en 2014. Plusieurs ministres israéliens se sont rendus à Ramallah ces derniers mois, dont le ministre de la Défense, Benny Gantz, qui a rencontré le leader palestinien Mahmoud Abbas le 29 août. « Sur la question palestinienne, les positions des membres de la coalition sont antithétiques, mais il existe une volonté commune d’apaisement, observe David Khalfa. Naftali Bennett demeure opposé à la création d’un Etat palestinien pour des raisons politico-sécuritaires mais il veut tout faire pour éviter l’effondrement de l’Autorité palestinienne, qui pourrait mener à la prise du pouvoir du Hamas en Cisjordanie. »
D’autant que, après avoir surmonté la quatrième vague de Covid-19 grâce au déploiement massif de la troisième dose de vaccin, le risque sécuritaire vient de nouveau hanter le pays. Pour la première fois depuis des mois, Jérusalem a été le théâtre de deux attentats en quelques jours, à la mi-novembre. Le 17, un adolescent a poignardé deux policiers israéliens près d’une école religieuse dans la vieille ville, et le 21, un homme a ouvert le feu contre des soldats à proximité du Mur des Lamentations. « Ces attaques sont un signal d’alarme pour l’Autorité palestinienne, estime Yonatan Freeman. Le terroriste qui a ouvert le feu à Jérusalem est membre de la branche politique du Hamas, une organisation qui multiplie les opérations en Cisjordanie et pourrait prendre le pouvoir. Israël a tout intérêt à ce que l’Autorité palestinienne se renforce, car nous ne voulons pas que la guerre se développe à l’intérieur de nos frontières. » Après les attaques à Jérusalem, le Shin Bet (la sécurité intérieure israélienne) a annoncé l’arrestation de cinquante membres du Hamas, accusés de préparer des actions en Israël et en Cisjordanie.
Ces attentats viennent rappeler la fragilité de la société israélienne, mise à mal par le conflit avec Gaza en mai dernier. Les bombardements ont fait 272 morts de part et d’autre, et ont provoqué des émeutes dans les villes mixtes, avec des rixes entre les communautés juives et arabes. Dans son budget, le gouvernement réserve 2 milliards de dollars d’investissement dans les quartiers arabes et a promis de renforcer les forces de police dans ces secteurs, afin de faire baisser la criminalité.
Malgré ses premiers résultats inattendus, le gouvernement Bennett ne s’attend pas à un long fleuve tranquille. Le pays sort profondément divisé des douze années Netanyahou. « Ce gouvernement porte un message d’unité pour le pays, assure toutefois la ministre Orit Farkash-Hacohen. Des partis très différents s’unissent pour une cause similaire : ramener Israël sur la bonne voie, avec un budget, de la stabilité et empêcher le chaos issu de quatre élections en moins de deux ans. »
Le danger des ambitions personnelles
Sa majorité très courte à la Knesset, 61 députés sur 120, laisse peu de place à l’improvisation, et des tensions se font sentir au sein du gouvernement sur la colonisation en Cisjordanie ou sur la séparation entre la religion et l’Etat. Il a ainsi été décidé qu’un espace de prière mixte serait installé au Mur des Lamentations, jusque-là strictement séparé entre hommes et femmes. « L’instabilité se trouve dans l’ADN de cette coalition, juge Yonatan Freeman, de l’Université hébraïque de Jérusalem. Dans l’idéologie bien sûr, mais surtout dans les ambitions personnelles : au gouvernement, nombreux sont ceux à viser le poste de Premier ministre. A l’inverse, dans l’opposition, seul Netanyahou assume cette ambition, et l’union se fait derrière lui… »
Paradoxalement, c’est aussi le spectre de l’ancien Premier ministre qui cimente la coalition actuelle. « Le secret de cette coalition tient en deux mots : Benyamin Netanyahou, résume une source israélienne. Tant qu’il est là, le gouvernement tiendra et ira au-delà de ses divisions. » Omniprésent, Bibi incarne seul l’opposition à ce gouvernement pléthorique et son parti, le Likoud, reste de loin le plus populaire du pays.
Mais, isolé, il semble condamné à rester loin du pouvoir. « Au sein du Likoud, certains commencent à se poser la question de sa succession, même si la base militante lui reste fidèle, avance David Khalfa, de la fondation Jean-Jaurès. Le pays a traversé une crise politique sans précédent et le retour de la droite au pouvoir dans une configuration majoritaire est largement hypothéqué par la personnalité abrasive et clivante de son leader, Netanyahou. Seule une condamnation de ce dernier scellerait sa chute de manière définitive. » Poursuivi dans trois affaires pour corruption, l’ancien Premier ministre partage aujourd’hui son temps entre la Knesset et le tribunal.
Un signe important de la perte d’influence de Bibi
Le comité ministériel du Shin Bet a décidé ce dimanche matin de mettre fin à la protection de sécurité fournie à la famille du chef de l’opposition Benjamin Netanyahu dès lundi, jour anniversaire du sixième mois de son départ de ses fonctions. Les ministres ont été informés par des représentants du Shin-Bet, du Mossad, de la police et du Conseil de sécurité nationale. « Aucun d’entre eux n’a vu de raison d’étendre la protection », a déclaré une source présente à la réunion.
Cette décision signifie que Sara Netanyahu et ses fils Yair et Avner ne recevront plus de voiture et de chauffeur financés par l’État. Lorsque son père était Premier ministre, Yair avait notamment utilisé son chauffeur pour les conduire, lui et ses amis, dans un club de strip-tease à Tel-Aviv. Le chauffeur avait enregistré les conversations et divulguées à la presse. L’ancien Premier ministre lui-même ne faisait pas partie de la décision et continuera à être protégé pendant 20 ans. C’est la fin d’une époque de népotisme.