Israël et la vieille Europe : une relation difficile à rebâtir

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Synagogue Vilnius
Benjamin Netanyahu avait multiplié les initiatives en direction de l’Europe centrale et orientale, sur des terres riches en histoire juive. Une récente décision polonaise vient compromettre toute perspective de voir son successeur, Naftali Bennett, poursuivre l’entreprise.

C’est une décision qui fera date : Andrzej Duda, le président polonais, a signé un amendement au code de la procédure administrative sur la restitution des biens nationalisés après la Seconde Guerre mondiale. Désormais, un délai de prescription de trente ans s’applique sur ces biens spoliés par les nazis et les communistes. Et cela concerne particulièrement, bien-sûr, les propriétés de familles juives victimes de la Shoah.

Colère en Israël : le Premier ministre Naftali Bennett parle d’une « décision honteuse », tandis que son ministre des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, évoque une Pologne « devenue un pays antidémocratique et antilibéral qui ne respecte pas la plus grande tragédie de l’histoire ». Pour Tel-Aviv, cette loi rend impossible l’indemnisation pour les familles qui ont perdu des biens, soit pendant la Shoah soit dans la période de l’après-guerre, à l’ère communiste, lorsque le régime a confisqué des logements ou des magasins.

Dans ce contexte, sera-t-il possible pour Israël de renouer des relations avec la Pologne, mais aussi avec l’ensemble de l’Europe centrale et orientale ? C’est justement à cette tâche que s’était attelé l’ancien premier ministre de l’État hébreu Benjamin Netanyahu, en rouvrant un dialogue direct avec les populistes du Vieux Continent.

Car l’histoire des Juifs et celle de l’Europe centrale sont intimement liées. De très nombreux touristes des communautés juives du monde entier retournent vers les terres de leurs ancêtres.

La mémoire juive en Europe centrale et orientale

À Muranów, qui fut le quartier des Juifs de Varsovie, mais aussi à Cracovie, on sent de la carpe farcie, on écoute de la musique, il y a de la danse, du théâtre, de la littérature yiddish et l’on prend des cours de cette langue. À Ouman, en Ukraine centrale, des dizaines de milliers de pèlerins hassidiques célèbrent chaque année le nouvel an, la fête du Roch Hachana, le 29 septembre, sur la tombe du rabbin Nahman de Bratslav, mort sur place en 1810. Et dans la vielle ville de Vilnius, la « Jérusalem du Nord », capitale de la Lituanie, les touristes se pressent pour visiter le musée juif, voir l’immeuble où a grandi Roman Kacew, de son nom de plume Romain Gary…

Benjamin Netanyahu a des liens familiaux étroits avec la Lituanie et la Pologne. Ses grands-parents étaient originaires de Kreva, près de Hrodna, maintenant au Bélarus, une ville où le grand-duc de Lituanie au Moyen Âge a construit un château important qui deviendra plus tard le château des rois de Pologne.

La visite officielle de Benjamin Netanyahu à Vilnius, accueilli en août 2018 par les trois dirigeants baltes – le Lituanien Saulius Skvernelis, le Letton Maris Kucinskis et l’Estonien Jüri Ratas – a eu une importance aussi politique que symbolique. La Shoah a fait 141 000 victimes en Lituanie, où l’on ne dénombre plus aujourd’hui que 3 000 juifs, essentiellement originaires de l’ex-URSS. Car parmi les survivants, rares sont ceux qui ont choisi de demeurer dans leur pays d’origine.

Dans la capitale de la Lituanie, Benjamin Netanyahu a été invité à visiter la synagogue chorale, la seule synagogue à n’avoir pas été détruite par les nazis puis par les soviétiques, dans le pays. Sa visite a été marquée également par la signature de contrats, notamment pour le compte de l’industrie militaire israélienne.

En recevant en février 2019 ses homologues du « V4 », du groupe de Visegrad, à Jérusalem, le chef du gouvernement israélien a une nouvelle fois associé émotion et politique. Émotion autour des siècles d’histoire juive à Varsovie, Prague, Budapest ou Bratislava. Mais surtout politique avec les populistes aux affaires en Pologne (PiS), en République tchèque (ANO : Action des citoyens mécontents), en Slovaquie (Smer-SD et Parti national slovaque) et en Hongrie (Fidesz). Pour Israël, le dialogue s’est révélé payant : Prague et Budapest ont ouvert une mission diplomatique à Jérusalem, tandis que l’État hébreu a vendu à ses nouveaux partenaires des médicaments et des vaccins.

Une conquête européenne contrariée

Mais l’ouverture en Europe centrale s’est arrêtée là. Alors que se profilait une réunion du groupe de Visegrad à Jérusalem, un blocage majeur est apparu. Impossible en effet de recevoir la Pologne qui a participé à la Shoah, en Israël. A l’inverse, il aurait été difficile pour le régime de Jaroslaw Kaczynski, qui refuse que des étrangers jugent l’histoire de son pays, de rendre des comptes à Israël.

Avec les Balkans, en revanche, le dialogue a pu prospérer. En particulier en Bulgarie, où 50 000 Juifs ont été sauvés entre 1943 et 1945 par l’Église orthodoxe et le roi Boris III. Le 2 novembre 2018, Boïko Borissov alors chef du gouvernement, a invité Benjamin Netanyahu à Varna, sur les rives de la mer noire, aux côtés des dirigeants roumain, serbe et grec. Le premier ministre israélien de l’époque avait affirmé que l’État hébreu et les Balkans partageaient « la même civilisation », dénonçant au passage une position « hypocrite et hostile » de l’Union européenne sur les migrants.

Cela lui a-t-il réussi ? Pas évident, quand on voit la fidélité de Bucarest, Sofia et Athènes vis-à-vis de Bruxelles, et la prudence de Belgrade officiellement candidate à l’intégration européenne. Mais Benjamin Netanyahou a ouvert des portes, posé de nouveaux jalons au cœur même de l’Europe. À Naftali Bennett, désormais, de tenter de relancer le processus. Ses racines polonaises auraient pu l’y aider, s’il n’y avait pas eu cette récente décision jugée inacceptable du président polonais Andrzej Duda.

En attendant, Israël reste en conquête sur les marges, notamment à Chypre et en Grèce, à la faveur de la montée des tensions avec la Turquie. Via des contrats de défense – le dernier en date, conclu en janvier 2021, porte sur 1,8 million de dollars sur vingt ans avec la Grèce et Chypre – ou des projets d’infrastructures comme le gazoduc EastMed, de 2 000 kilomètres de long.

Source franceculture