La véranda côté jupons, par Laurie Boutboul

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Aujourd’hui Laurie nous conte sa relation très spéciale avec Rzela, dont elle nous a déjà parlé, et la recette des « yoyos », dons nous nous gavons encore avec délices.

Très tôt le matin, mon père quittait « la jolie maison de la plage » pour aller travailler à Tunis. Il y faisait très chaud dès le mois de Juin et il avait aménagé ses horaires et ceux de ses employés. Il appelait cela « journée continue » : elle commençait à 7 heures du matin, petite pose sandwich à 11h et l’usine fermait à 14h. Tout le monde y trouvait son compte! Mon père en revenait, sa « malle arrière » (coffre de la voiture) pleine à craquer d’énormes et délicieuses pastèques, dessert irremplaçable.

Ma mère aussi débutait sa journée très tôt, souvent en même temps que mon père. Lourde tâche que de contenter tout cette « smala »que nous formions, enfants, neveux, nièces, cousines des nièces, sœurs, amis.

Et Rzela arrivait un peu plus tard en TGM. Comment parler de notre « jolie maison de la plage » sans parler de l’incontournable Rzèla, je n’ose pas dire notre femme de ménage, tant elle faisait partie de notre famille. De plus elle avait été ma Nounou.

Toujours d’humeur égale, souriante, vêtue de son « seffseri » blanc immaculé. On disait souvent que le seffseri servait de cache misère. Mais, petite, lorsqu’elle arrivait le matin, je le lui enlevais aussitôt, presque sur le pas de la porte pour voir quelle jolie tenue elle cachait dessous. C’était tous les matins notre défilé de mode à nous, rien qu’à nous. Nous étions très complice, et jusqu’au bout ,nous sommes restés complices.

Jeune fille, lorsque Bernard et moi, amoureux, nous lui confiions nos petits mots doux à l’abri des regards de mes parents, d’un coup de baguette magique elle devenait mon pigeon voyageur, ma colombe voyageuse!

J’adorais découvrir quelles jolies jupes elle avait mises. C’était pour moi une découverte. Il n’y en avait pas une, de jupe, mais pratiquement toujours trois qu’elle posait et superposait, de longueurs différentes de telle sorte que les jupes du dessous faisaient jupons. Peu lui importaient les couleurs ou les matières. Elle avait une préférence pour de belles couleurs chatoyantes, des fleurs, des rayures, des ramages, des pois, des dentelles, des cotonnades, et même parfois du satin, de magnifiques mélanges de couleurs et d’étoffes, bruissant lorsqu’elle se déplaçait d’un pas vif et léger, ses pieds nus, toujours « peints » au henné rouge.

Elle portait bien son nom de Gazelle, Rzèla en arabe. Elle achetait ces merveilles pour 3 sous, pardon pour quelques millimes, à la Fripe. D’ailleurs une fois par été par une chaleur accablante, elle nous conduisait, pardon, elle nous « escortait » dans ce qui fut l’ancien quartier juif de Tunis, La Hafsia , mémoire rasée de ce quartier, qui avait vu tant et tant de familles juives, pauvres pour la plupart obligées de quitter ce lieu de vie de tant et tant de générations pour La France ou Israël.

Là, sur cette immense place sans ombre, plombée par le soleil, on s’en donnait à cœur joie entre ces monticules d’habits provenant du « surplus américain », posés à même le sol, en pyramides, et nous négociions d’arrachepied de magnifiques hauts en velours, des chemisettes en Vichy ou en liberty, des jupes à volants, de superbes robes du soir des années 50, des chemises à fleurs dans le style Hemingway (sans le cigare) pour les garçons, bref des tenues d’un autre temps, désuètes, mais qui au gré de nos soirées nous faisaient ressembler à des «actrices du 7 ème Art», quand même pas, non! Juste à des jeunes filles du 6eme ou 5ème Art(?), parfois à des bohémiennes prêtes à enfourcher des chevaux sauvages en Camargue ou parfois encore à des hippies un peu paumées de Woodstok : fallait bien rêver un peu!

On changeait facilement de statut sans se ruiner, sans s’éloigner, tout cela au café d’en bas, à Sidi Bou Saïd, là où se retrouvait tous les soirs, toute notre belle jeunesse, un verre de thé aux pignons à la main, toujours debout, batifolant de table en table.

Revenons à Rzèla. Cette épaisseur de tissus ne la gênait pas le moins du monde. Elle se ceinturait fort la taille grâce à deux ou trois foulards au moins, et elle se mettait au travail après sa pause fraîcheur/café à l’ombre du jasmin dont les tiges tortueuses chargées de fleurs odorantes serpentaient autour des balustrades en fer forgé blanc, jasmin qui faisant office de tonnelle abritant du soleil la petite véranda de la cuisine et ses locataires.

Plus tard, nouvellement mariée, de la cuisine où je me trouvais, affairée à mes yoyos, par la fenêtre, j’admirais ce tableau à jamais figé dans ma mémoire, comme une photographie, ce tableau de femmes assises chacune à sa même place, occupées à papoter dans cette véranda, côté cour, ombragée, le matin, un café à la main.

Un café qui n’en finissait pas d’être bu à petites gorgées pour que ce moment de grâce ne finisse jamais. Ma mère vêtue d’une petite robe légère et fleurie, en coton réfléchissait aux menus de la journée, ses couffins encore tristement vides à ses pieds, ses couffins déformés prêts à être remplis.

Tata Dora, exceptionnellement sans son châle, dans un coin, toujours assise dans ce confortable fauteuil en bois, aux pieds de métal couleur bronze, vestige de l’ancien bureau de mon père de la rue Caton. Le bureau aussi en métal, avait dû être abandonné sur place, trop lourd!

Et Rzèla assise sur l’escalier au milieu des fleurs de jasmin tombées à l’aube. Elle avait choisi cet endroit parce qu’elle disait capter un petit courant d’air marin («Neshmè »  en judéo arabe) qui passait par là, c’était son climatiseur pour elle toute seule!

Elle animait la conversation. A bien y réfléchir, cette petite véranda attenante à la cuisine, côté cour, était la chasse gardée des femmes de la maison. Dorénavant je l’appellerai « la véranda des femmes ».

Recette des yoyos de Beya, la cuisinière des bar mitsvot de Tunis comme elle aurait pu me la donner.

Pour 25 yoyos.

3 oeufs.
4 demies coquilles d’huile «Atlas» (très importante, la proportion oeuf/huile disait Bèya).
1 petit verre à café «Duralex»de sucre en poudre.
Environ 300g de farine «Randa».
1 paquet et 1/2 de levure chimique «La Pâtissière».
1 paquet de sucre vanillé «LaPâtissière»
Zeste d’orange.
1litre d’huile pour la friture.

Recette pour le sirop de sucre.
300 g de sucre en poudre.
Jus d’1/2 citron.
Couvrir d’eau.
Mélanger tous les ingrédients et laisser cuire jusqu’à ce que le « miel »épaississe.1/ 2 heure.
Puis rajouter un peu de fleur d’oranger.

Mélangez les œufs, le sucre, l’huile, la vanille, le zeste d’orange.
Rajouter la farine, et la levure.
Pétrir un peu. Former une boule.
Il faut que la pâte soit moyennement ferme.
Laissez reposer 1/2 heure.

Rouler des petites boules entre les paumes des mains. Percer la boule de pâte avec les 2 indexs, tourner délicatement sans casser la boule pour faire un trou au milieu et élargir délicatement.
Mettre à frire d’un côté, et lorsque le yoyo « fait une fleur », le retourner.
L’huile doit être chaude jamais bouillante
Égoutter lorsque les yoyos sont dorés. Déposer sur du papier absorbant.
Tremper dans le sirop de sucre.

Pour ceux qui ont bien connu Rzèla, et ils sont des centaines, je pense qu’elle aurait aimé que je vous précise que ses enfants ont pratiquement tous fait d’excellentes études (ingénieur agronome, cadre dans une grande société française) et que ses petits enfants sont aujourd’hui diplômés d’HEC en France, de médecine en Tunisie.
Un parcours sans faute dont elle était très fière. Repose en paix ma Gazelle!