«Une humanité jamais rencontrée avant» : à Paris, cette école pour tous est menacée d’expulsion

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L’école des Saints-Anges, pionnière dans l’inclusion d’enfants autistes et souffrant de troubles du développement, risque d’être expulsée avant l’été par l’œuvre de bienfaisance propriétaire des murs.

L’annonce n’a pas seulement fait l’effet d’une bombe, au sein de l’équipe et parmi les parents d’élèves de l’école des Saints-Anges, à Paris (15 e ). Elle est une bombe, dont la déflagration risque de priver d’école 370 enfants, et parmi eux une trentaine d’écoliers « différents » souffrant d’un handicap, de trisomie, de troubles « dys » ou d’autisme, auxquels cette petite école privée sous contrat du quartier Convention donne leur place parmi tous les enfants.

L’établissement est en sursis, contraint de libérer d’ici à la fin de l’année les 3000 mètres carrés qu’il occupe gracieusement depuis plus de 50 ans, selon un « commodat » (un prêt à usage) passé avec l’œuvre des Saints-Anges. Cette œuvre d’utilité publique laïque, fondée il y a près de deux siècles afin de recueillir des orphelines, et dont la vocation bienfaisante visait à « éduquer, instruire et faciliter l’accès à la vie professionnelle des enfants et des jeunes défavorisés », entend récupérer son bien.

Déjà dix ans de menaces

Le contentieux latent troublait depuis une dizaine d’années les relations entre l’actuelle présidente de l’œuvre, la baronne de Saint-Didier, descendante des fondateurs, et l’école gérée par l’Organisme de gestion de l’enseignement catholique (OGEC). Or la baronne, férue de galas et de bals impériaux, qui voue une reconnaissance affichée à Napoléon III, a le droit pour elle : malgré les sursis successifs obtenus depuis dix ans, la dernière décision de justice a confirmé au printemps la restitution de l’immeuble, consentant un répit le temps de l’année scolaire.

Les parents se refusent à imaginer que ce soit la dernière. Depuis que l’ancien orphelinat a laissé place à une école dans les années 1950, et surtout depuis qu’une directrice a entrepris d’y faire grandir un projet pédagogique « inclusif ». Il y a six ans, les Saints-Anges ont réussi ce petit miracle d’être « une école pour tous », ainsi que résume un père d’élève. Pour d’autres, elle est beaucoup plus que ça. Elle est le lieu qui a vu se stabiliser voire s’épanouir des enfants plus fragiles, parfois en grande souffrance ou grandes difficultés. Et à travers eux des familles entières, qui ont trouvé aux Saints-Anges un projet éducatif et une équipe un peu pionniers.

«Mon fils a enduré harcèlement, déni, en est devenu suicidaire…»

« C’est la plus bienveillante des écoles », soupire Isabelle, maman d’ un enfant autiste de 7 ans. Une maman dévastée, comme la trentaine de parents d’enfants « différents » des Saints-Anges, par les conséquences qu’aurait la fermeture pour son petit garçon. « Avant d’être accueilli ici, mon fils a vécu l’enfer. Il a enduré harcèlement, déni, en est devenu suicidaire… et depuis qu’il est ici il est transformé. Il y a une humanité que nous n’avons jamais rencontrée avant… Mon fils le dit avec ses mots, cette école est la mieuxveillante de France », sourit avec émotion Isabelle.

« Cela s’est fait progressivement », explique Marie Blanchet, la directrice qui a fait « bouger les lignes. » « Je venais d’un établissement qui avait deux classes d’intégration pour des enfants à besoins spécifiques, j’avais un projet et le diocèse m’a suivie dans ce projet », salue-t-elle. La « classe Soleil » de maternelle était née, accueillant des enfants autistes au cœur de l’école classique. Elle était la première concrétisation d’une volonté jamais reniée « d’accueillir tous les enfants de façon inconditionnelle ».

Une pétition de plus de 7050 signatures

Après cette classe Soleil ont poussé des concepts innovants, des classes flexibles, de la pédagogie différenciée, une aide personnalisée, des partenariats avec des associations comme « Sur les Bancs de l’école », de soutien aux familles d’enfants atteints de troubles autistiques… « C’est une école qui vit bien, qui avance, et cette décision nous a tous beaucoup secoués », reconnaît la directrice, inquiète mais combative, et portée par la mobilisation très forte des familles, dont la pétition, lancée il y a quelques jours sur le site Change.org, a déjà rassemblé plus de 7050 signataires (plus de 7400 aujourd’hui).

Combatives, les familles le sont aussi pour préserver un lieu et des méthodes qui portent bien au-delà des seuls apprentissages scolaires. « Comment une telle œuvre peut-elle ainsi s’écarter de son but premier, permettre l’éducation des enfants conformément à ses valeurs ? », s’étonnent-ils avec amertume.

En marge de cette mobilisation, l’OGEC tente de négocier avec la présidente de l’œuvre. Une mission difficile et menée… par avocats interposés, faute de parvenir à toucher la présidente. « Personne n’a jamais pu la rencontrer ni avoir un contact direct », regrette un parent d’élève. Nos propres tentatives l’ont confirmé : hormis un numéro de téléphone non attribué et un formulaire de contact Internet sans destinataire, nos demandes par courriel n’ont reçu aucun retour.

« Des négociations sont en cours, tente de rassurer Benoît Hérard, le président de l’OGEC. Nous faisons des propositions, l’objectif est de pouvoir rester dans les locaux, quelle que soit la solution trouvée, un nouveau commodat ou un bail, voire une cession… tout est envisagé de notre côté pour trouver un accord qui satisfasse les deux parties. Nous avons fait des propositions, il faudrait pouvoir réunir tout le monde et qu’au moins nos propositions soient entendues. »

«Cette école ne fermera pas !», fulmine le maire (LR) du 15e

A la mairie du 15e, où une réunion de crise s’est tenue ce jeudi pour tenter de trouver une issue, le maire est vent debout. « Il n’y a pas d’alternative, pas de plan B, cette école ne fermera pas ! », fulmine Philippe Goujon (LR), qui en appelle aux élus parisiens et aux ministres concernés de l’Education, en charge des Handicaps et même de l’Intérieur, ministère de tutelle de l’Œuvre. « Je vais convoquer sa présidente, annonce-t-il aussi. Cette décision crée un désordre au détriment de centaines de familles, alors même que cette école correspond à la vocation de l’Œuvre ! »

Source leparisien