Le poète Claude Vigée est décédé à l’âge de 99 ans. Né en 1921 à Bischwiller dans une famille juive, il a marqué le monde de la littérature et de la poésie. Il a partagé sa vie entre les Etats-Unis, Israël et la France.
Claude Strauss, c’est son nom de naissance, voit le jour en 1921, à Bischwiller, dans une famille juive installée dans la région depuis près de trois siècles, une famille contrainte de quitter l’Alsace à la veille de la seconde guerre mondiale. Alors installé à Toulouse, l’étudiant en médecine rentre dans la résistance et publie ses premiers poèmes dans la revue « Poésie 1942 » de Pierre Seghers sous le pseudonyme de Claude Vigée, nom qu’il adoptera après la guerre. C’est de l’expression biblique H’ay ani « vivant, je suis » (Is. XLIX, 18) que le poète tira l’idée de son pseudonyme et futur nom Claude Vigée.
L’exil américain
Échappé de justesse aux griffes de la Milice française et de l’occupant nazi, Vigée réussit à passer aux États-Unis. Il y restera dix-huit ans. L’exil commence dans les fins fonds du Middle West, où l’accueille son oncle maternel ; jeune immigrant juif sans argent ni relations, Vigée doit renoncer aux études médicales et trouve finalement sa survie dans l’enseignement du français ; après un doctorat de littérature française et un début de carrière à l’Ohio University, il obtient en 1949 un poste à l’université de Brandeis, en Nouvelle-Angleterre.
L’Israël contemporain
Vigée reconnaît dans le sionisme la seule solution viable pour le peuple juif décimé et déraciné après la Shoah ; le déni de soi, la ferveur assimilationniste n’ont pu conduire qu’aux fours crématoires et n’aideront pas les juifs à se faire accepter comme tels par les nations. « Dans le chaos d’après-guerre, écrit-il en novembre 1945, je suis plus sûr que jamais que Théodore Herzl avait raison ; seul un État juif peut diminuer notre malheur, faire cesser notre avilissement, en nous mettant à l’abri de la menace individuelle d’extermination, comme aussi de cette autre mort lente qu’est le mépris » (p. 166-167). Il salue avec enthousiasme la lutte et les réalisations du jeune peuple d’Israël, dont la résurrection réalise une espérance vieille de deux mille ans (p. 169). Quand l’occasion de « monter » en Israël se présente, en 1960, avec une offre de poste à l’université hébraïque de Jérusalem, Claude Vigée et sa femme la saisissent sans hésiter. Vigée donnera voix désormais à l’expérience collective d’Israël et non plus seulement à son écho individuel.
Les pages du Journal, les poèmes, les essais, les entretiens, tout ce « work in progress » qui constitue le «judan », témoignent des grands moments de cette histoire. Les guerres, hélas et bien sûr, qui renouvellent la menace de l’extermination et le défi de la survie (guerre des Six Jours, guerre de Kippour, guerre du Liban, sans oublier le quotidien du terrorisme palestinien) ; mais aussi la beauté des paysages, le rassemblement des dispersés, le défi de l’intégration, les villes de développement, la mosaïque des peuples et des religions, l’espoir de paix. Vigée témoigne aussi des mutations culturelles de l’État juif : la tradition des intellectuels allemands (Scholem, Buber) ; l’Alyah française des années soixante : Éliane Amado Lévy-Valensi, Renée et André Néher, Liliane et Stéphane Mosès, Léon Askenazi, Théo Dreyfus, Henri Atlan, « comme bien d’autres intellectuels juifs originaires de France » ; il y voit des « faits révélateurs d’une mutation profonde dans l’âme judaïque, en diaspora comme en Israël »
Avec l’apprentissage progressif de l’hébreu, et la rencontre de « maîtres » traditionnels (en tout premier lieu Léon Askénazi-« Manitou »), Vigée se familiarise davantage avec la tradition juive, dont l’influence sur son œuvre se fera de plus en plus prégnante. Dès « La Lune d’hiver », Vigée se définit comme « hébreu » (p. 391) ; il s’agit moins d’une appartenance ethnique que d’une dimension existentielle et poétique, celle d’un « homme de passage » qui engrange les expériences de la vie. Mais elle est néanmoins indissolublement liée à la réalité de l’être juif : « Jacob et poésie ont le même destin. Être juif et poète, c’est tout un » . Parallèlement la poésie de Vigée puisera de plus en plus aux sources de la langue hébraïque.
L’exil parisien
Le retour en France, imposé en 2001 par la maladie puis le décès (en 2007) d’Evy son épouse, enfin par son propre état de santé, ne change pas fondamentalement la relation de Vigée à son peuple et à sa terre, mais il a sans doute favorisé une plus grande accessibilité de Vigée à son public français et la poursuite du travail d’édition et de réédition. On doit rappeler, dans tous les cas, que de l’aveu de Vigée, c’est sa présence à Jérusalem qui lui a permis de mener à bien l’essentiel de son travail d’écriture et en particulier de son écriture autobiographique :
Claude Vigée, l’alsacien de cœur pour toujours
Le centre culturel de Bischwiller porte aujourd’hui son nom, preuve s’il en était besoin, que Claude Vigée a marqué sa région natale comme les deux siècles qu’il a traversés.
Claude Vigée n’a jamais oublié son Alsace natale, lui qui était parfaitement dialectophone, l’Alsacien est d’ailleurs sa langue maternelle, la seule qu’il parle jusqu’à son entrée en cours préparatoire, où il apprend le Français. Il est nommé citoyen d’honneur de Seebach en 2009 en remerciement pour la notoriété acquise par le village suite à la publication d’un poème de mémoires intitulé « Un panier de houblon« . Sa femme et cousine germaine, Evy Meyer, qu’il a épousée en 1947, est née à Seebach, village voisin de Bischwiller.
Présent lors du dévoilement de la plaque mémorielle sur la maison de ses grands-parents, Sarah et Léopold, il a prononcé quelques mots : « Nous appartenons tous à la vie; c’est elle qu’il nous faut défendre. Notre propre vie, celle de nos proches, celle qui a été léguée par nos pères et nos mères, -mes aïeux de Bischwiller aussi bien que ceux de Seebach. Avant toute autre obligation, nous avons la charge de promouvoir la vie, de la donner, de la transmettre, de l’éduquer, de la cultiver autour de nous, de la célébrer enfin. Je vous souhaite et je fais pour moi-même le vœu de poursuivre encore ensemble un bout de chemin. Sachons rester fidèles à cette double injonction. Jurons de tenir notre promesse à l’égard du souvenir et de la mélancolie, tout en servant avec joie ce qui nous attache à cette vie si fragile. Plus importante que les autres vertus me semble être la fidélité si problématique au monde qui vient, notre difficile espérance du temps futur. Demeurons loyaux au germe de vie qui est en train de bourgeonner dans chaque créature terrestre. »
Sources france3-regions et cairn.info