Procès des attentats de janvier 2015 : dans les rayons ensanglantés de l’Hyper Cacher

Abonnez-vous à la newsletter

La prise d’otages du magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes à Paris est une attaque terroriste islamiste et antisémite, perpétrée le 

La première image de l’attentat de l’Hyper Cacher est un trottoir sous la pluie, filmé par une caméra de vidéosurveillance de la façade du magasin. Au bout de la perspective, tout en haut de l’écran, une paire de jambes apparaît : Amedy Coulibaly arrive. Sur l’image suivante, le voilà qui fouille dans son sac de sport à quelques mètres de l’entrée. Sur celle d’après, il fait face à la porte, kalachnikov à la main, visage découvert. Encore une image : le trottoir vide. Il est 13 h 06, le 9 janvier 2015, Amedy Coulibaly est entré dans l’épicerie, porte de Vincennes.

La cour d’assises spéciale de Paris y entre avec lui, lundi 21 septembre. Christian Deau, chef de la section antiterroriste de la brigade criminelle – venu commenter deux semaines plus tôt les images du massacre chez Charlie Hebdo –, est de retour à la barre pour évoquer l’attentat survenu deux jours plus tard dans ce petit supermarché de l’Est parisien, où quatre personnes ont été abattues en un quart d’heure.

Aucune vidéo ne sera diffusée. Amedy Coulibaly a lui-même filmé ses crimes avec une caméra fixée sur le ventre, mais le président de la cour, Régis de Jorna, épargne l’assistance au motif qu’il s’agit de « propagande » − il donnera tout de même lecture des bribes de conversation que l’on y perçoit, d’un ton neutre au possible qui amoindrira à peine l’effroi suscité par les propos.

Le président s’en tient donc à des captures d’écran extraites de la vidéosurveillance et prévient que « certaines images peuvent quand même être sensibles ». Plusieurs personnes quittent la salle. Puis l’horreur se déroule sur l’écran. Les images sont souvent sombres et pixélisées, on devine plus qu’on ne voit, mais c’est la même stupeur.

La tuerie sous trois, quatre, cinq angles différents

Cliché après cliché, sous trois, quatre, cinq angles différents – le magasin compte seize caméras –, on voit et revoit l’arrivée du terroriste à 13 h 06, la fuite de quelques clients qui ont compris le danger, le premier coup de feu sur Yohan Cohen, les clients apeurés courant se réfugier au sous-sol, l’assassinat de Philippe Braham à 13 h 08, un nouveau coup de feu sur Yohan Cohen – qui agonisera pendant plus d’une demi-heure –, la caissière Zarie Sibony contrainte de fermer le rideau de fer, Michel Saada, qui entre à cet instant dans le magasin, se retrouve face à Coulibaly, fait demi-tour, prend une balle mortelle à 13 h 12. « Ça paraît lent, mais à la vidéo, ça va très, très vite », commente M. Deau.

A 13 h 20 enfin, l’assassinat de Yoav Hattab, qui s’était saisi, sans pouvoir l’utiliser, d’une kalachnikov laissée par le terroriste sur des paquets de farine. On voit aussi, sur une image captée à 13 h 18 par une caméra extérieure, le magasinier Lassana Bathily qui s’échappe par la porte de derrière. A 13 h 42, le visage et la main d’un client occupent toute l’image, en très gros plan : Amedy Coulibaly lui a demandé de débrancher toutes les caméras du magasin.

A 13 h 43, la porte de derrière est barricadée. A 14 heures, les dernières personnes cachées au sous-sol remontent, et les dix-sept otages sont regroupés. Le huis clos va encore durer trois heures, au cours desquelles Amedy Coulibaly suivra sa propre prise d’otages en direct sur BFM-TV, i-Télé, France 24. A 15 h 10, il appellera même BFM-TV pour faire corriger le bandeau en bas de l’écran, qui ne donne pas le bon nombre d’otages et ne mentionne pas les morts. La conversation retentit dans la salle.

« Avez-vous visé ce magasin pour une raison particulière ?, demande le journaliste de BFM.
– Oui.
– Laquelle ?
C’est juif. »

Pendant ce temps, à l’extérieur, les forces d’intervention s’organisent. Le RAID et la brigade de recherche et d’intervention (BRI) commencent les repérages vers 15 heures, mais l’assaut ne peut être qu’un « dernier recours », explique Christian Deau. La tâche est rendue délicate par le grand nombre d’otages, la personnalité d’Amedy Coulibaly, son armement incluant des explosifs, et la promesse d’un carnage si les frères Kouachi, retranchés depuis le matin dans une imprimerie à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), sont tués. Résumé : « C’est le summum des difficultés qu’a pu rencontrer un service d’intervention sur une prise d’otages de ce type. »

A 15 h 40, un négociateur contacte Amedy Coulibaly, « calme et déterminé », qui énonce ses revendications : que la France se retire des pays musulmans où elle a déployé des soldats, que le président François Hollande et le premier ministre Manuel Valls viennent sur place faire une déclaration, que les personnes emprisonnées pour terrorisme soient libérées. « Il n’a jamais été question de reddition. »

Peu avant 17 heures, les Kouachi sortent de l’imprimerie en ouvrant le feu et sont tués. « L’assaut devient la seule solution possible », il faut faire vite avant qu’Amedy Coulibaly n’en soit informé. A 17 h 12, le RAID et la BRI font sauter les portes de l’Hyper Cacher. Trois agents sont blessés. Amedy Coulibaly est abattu. Les otages sont libérés sans blessures.

Les images des constatations policières après l’assaut ont été diffusées à l’audience. On y découvre, en haute définition cette fois, les allées jonchées de chariots renversés, de cartons éventrés, de pots cassés, le carrelage gris recouvert d’une couche rouge sang. Un chargeur de kalachnikov et la caméra ventrale sont posés sur des cartons au niveau du rayon chips. Au sol, à côté d’une poussette, la doudoune d’Amedy Coulibaly, son Taser, une paire de gants. A l’écran défilent encore vingt bâtons de nitrate d’ammonium et des détonateurs« L’activation de ces explosifs aurait entraîné l’effondrement du bâtiment », explique Christian Deau, provoquant un murmure d’effroi dans l’assistance.

Le diaporama continue. Le cadavre d’Amedy Coulibaly apparaît, gisant sur le dos à même le trottoir devant le magasin, vêtu d’un gilet pare-éclats et d’un gilet tactique. Une vingtaine de balles l’ont atteint, son visage n’est plus qu’une tache de sang. On voit encore les clés du Renault Scénic avec lequel il est arrivé à l’Hyper Cacher, et celles de la moto Suzuki sur laquelle il s’était rendu à Montrouge (Hauts-de-Seine) la veille, puis une liasse de billets, et enfin son arsenal : deux pistolets, deux fusils d’assaut, un couteau Smith & Wesson.

La défense avance ses pions

Et, pour la première fois depuis que la cour retrace le déroulement des attentats, ont résonné dans le prétoire des noms qu’on aurait presque oubliés : ceux des accusés. Le Taser retrouvé sur le sol du magasin : « Acheté par Willy Prévost, Christophe Raumel et deux amis, dit Christian Deau. On y retrouvera l’ADN de Saïd Makhlouf. » Sur les gants, « on retrouve l’ADN de Nezar Pastor Alwatik ». Le gilet tactique, le couteau Smith & Wesson : « Achetés par Willy Prévost et Christophe Raumel. » Sur les billets, « on retrouve les empreintes d’Ali Riza Polat ».

Le lien apparaît entre les faits dont on parle depuis trois semaines et les accusés, jusqu’alors tenus à distance de leur propre procès. Le récit des attentats prendra fin une fois les rescapés de l’Hyper Cacher entendus, mardi et mercredi. L’étude des preuves de l’implication des quatorze accusés (dont onze présents) débutera la semaine prochaine.

En attendant, leurs avocats saisissent l’occasion pour avancer leurs pions. Hugo Lévy, qui défend Willy Prévost, souligne qu’il est légal d’acheter un gilet tactique, un Taser ou un couteau : « C’est en vente libre. » « Il y a aussi le contexte, doit répondre Christian Deau. On peut se demander pourquoi Amedy Coulibaly n’y va pas lui-même. »

Clémence Witt, avocate de Christophe Raumel, rappelle qu’Amedy Coulibaly n’était pas fiché « S », « contrairement à ce qu’on a beaucoup lu dans les médias », et s’étonne par ailleurs que les « deux amis », présents aux côtés de son client et de Willy Prévost lors de l’achat du Taser et du couteau, n’aient pas été renvoyés devant la cour d’assises. Christian Deau, qui n’est pas responsable de cette décision, se retrouve contraint de la justifier : « Willy Prévost a aussi acheté la Scénic et s’occupera d’enlever le tracker de la Suzuki, tout ça avec Christophe Raumel. Ils apparaissent plus dans un cercle proche que les deux autres. »

Plusieurs avocats de la défense soulignent enfin qu’il est acquis que toutes les armes d’Amedy Coulibaly ont transité par le trafiquant Claude Hermant, et s’interrogent sur son absence dans le box des accusés. Christian Deau, manifestement, se pose la même question. Sommé de donner son avis, il bredouille, brode un peu, explique qu’en tant qu’enquêteur il travaille sous l’autorité judiciaire, puis : « Une décision a été prise, euh, elle a été prise quoi. » Lundi, la séquence Hyper Cacher a débuté, le procès des accusés aussi.

Source lemonde