Anne Sinclair hantée par «La rafle des notables»

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Léonce Schwartz (photo non datée). Photo archives personnelles de l'auteure
La journaliste a enquêté sur le passé de son grand-père paternel, incarcéré fin 1941 dans le camp de Compiègne avec d’autres Juifs considérés comme bourgeois.

Elle porte un nom curieux et elle eut lieu à un moment où, officiellement, les Juifs français, «les vieux Juifs assimilés depuis longtemps», n’étaient pas visés par le gouvernement de Vichy. La rafle des notables consiste en l’arrestation, le 12 décembre 1941 et sur décision des nazis, de 743 Juifs français, des hommes uniquement, des bourgeois considérés comme «influents». S’y ajoutent 300 Juifs étrangers, car Berlin souhaite atteindre le chiffre de 1 000 prisonniers. Tous sont emmenés à 70 kilomètres de Paris, au camp de Compiègne-Royallieu. Trois mois plus tard, la majorité d’entre eux est déportée à Auschwitz.

Archives

Anne Sinclair écrit sur cette rafle parce que son grand-père paternel, Léonce Schwartz, en fit partie. Tombé malade, il fut libéré et emmené au Val-de-Grâce. Il échappa ainsi au départ vers le camp d’extermination. Il mourut en mai 1945, des suites de son affaiblissement. Le père de la journaliste qui, en rejoignant la France libre, avait troqué le nom de Schwartz pour celui de Sinclair, n’a rien raconté à sa fille sur cet épisode. Une enquête dans les archives permet à Anne Sinclair de combler son ignorance. Serge Klarsfeld l’aide aussi beaucoup. Il a publié des journaux tenus par certains déportés : «Seul dans l’Europe occupée à n’avoir pas de politique active d’extermination, et où il y avait une population à peu près également éduquée, Compiègne fut un camp où l’on écrivit beaucoup. C’était un des seuls moyens de ne pas devenir fou.»

La rafle des notables a touché des professions libérales et quelques commerçants, comme Léonce Schwartz, vendeur de dentelle en gros rue d’Aboukir. Les victimes furent identifiées grâce aux recensements des Juifs demandés par les nazis en octobre 1940, puis en novembre 1941. Les conditions de détention au camp étaient très dures, la nourriture manquait et la température pouvait être de 20° C en dessous de zéro.

Retenue

Parmi les prisonniers se trouvait René Blum, frère de Léonce et directeur des Ballets de Monte-Carlo. Il était une des «hautes consciences» du camp et cherchait à aider ceux qu’il estimait «plus infortunés que lui». Lorsque le contingent est arrivé à Auschwitz, des témoins l’ont vu «emmené seul par les nazis à la descente du train et jeté vivant dans un four crématoire». Le fils de Tristan Bernard, Jean-Jacques Bernard, était aussi à Compiègne. Dans le Camp de la mort lente, il décrit ce lieu «sans travaux forcés, sans tortures, sans extermination, mais [où] le bourreau demeurait invisible : il ne s’agissait que de laisser ses victimes mourir peu à peu de faim».

Pourquoi des prisonniers jugés trop jeunes, trop vieux ou trop malades, tel Léonce Schwartz, furent remis en liberté ? Parce qu’en décembre 1941, les nazis oscillaient encore entre une politique d’élimination sociale et une politique d’élimination physique. La conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 marque la bascule vers la seconde option. Anne Sinclair précise que les rescapés du camp de Compiègne prirent soin de ne pas comparer leur sort avec «l’horreur absolue des camps d’extermination […]. Ce fut d’ailleurs une des raisons de leur retenue à leur libération, quand la Shoah commença d’être connue». Comment expliquer les trois mois qui séparent l’arrivée à Compiègne et le départ pour Auschwitz, le 27 mars 1942 ? L’historien Georges Wellers a émis une hypothèse convaincante : les trains allemands étaient encombrés de permissionnaires durant la période de Noël.

Anne Sinclair La Rafle des notables Grasset, 128 pp., 13 € (ebook : 8,99 €).

1 Comment

  1. Oui. Il faut publier ces récits. Les Juifs nés dans les années 70 et, bien sûr, leurs enfants ne savent de cette histoire, comme des milliers d’autres sur cette énorme tragédie qui a coûté, non seulement la vie des hommes mais aussi la culture qui avaient fleuri en Europe.
    L’Europe s’en remettra-t-elle après 75 ans ?

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