L’exploitation d’un champ gazier géant au large des côtes israéliennes a démarré mardi. Israël hésite à développer ses ressources plus avant faute de débouchés d’exportation économiquement viables. Le contexte géopolitique du Proche-Orient ajoute aux incertitudes.
Israël vient de démarrer l’exploitation d’un gisement de gaz géant, mais le pays est encore loin de devenir un géant du gaz. Le champ en question, baptisé Léviathan, est situé au fond de la mer Méditerranée, au large des côtes israéliennes. Cette région est devenue une zone clef pour le secteur du gaz depuis les découvertes dans les eaux israéliennes, égyptiennes et chypriotes il y a une dizaine d’années. Léviathan est exploité par l’américain Noble Energy, associé à deux compagnies israéliennes. Les réserves sont estimées à 580 milliards de mètres cubes, ce qui en fait l’une des découvertes les plus prometteuses réalisées depuis le début du siècle.
« En lançant la première phase de Léviathan, Israël va d’abord gagner son indépendance gazière tout en réduisant ses émissions de CO2 », explique le directeur du Centre énergie de l’Ifri Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Les nouvelles ressources lui permettront d’éliminer le charbon et le diesel importés pour générer de l’électricité en lui substituant du gaz, moins polluant, et aussi de développer les usages du gaz dans le transport et l’industrie.
Gazoducs vers l’Egypte et la Jordanie
Au-delà de ses propres besoins, l’Etat hébreu nourrit d’ambitieux projets d’exportation. Des contrats ont déjà été signés pour écouler le gaz par pipeline vers la Jordanie et l’Egypte . Le gouvernement israélien envisage depuis plusieurs années de lancer une deuxième phase d’exploitation de Léviathan. Elle ferait du pays un véritable poids lourd régional du gaz en ouvrant la voie à des exportations massives. Mais cette deuxième étape s’avère particulièrement délicate à mettre en oeuvre. Comment exporter cet excédent, et à qui ? Au-delà des gazoducs aux capacités limitées vers l’Egypte et la Jordanie, Israël est énergétiquement isolé dans la région.
Un pipeline vers l’Europe ?
La Commission de Bruxelles travaille sur un projet de gazoduc reliant Léviathan à l’Europe via Chypre et la Grèce. Il s’agirait d’une infrastructure coûteuse en raison de sa taille (quelque 2.000 km) et de sa complexité (les fonds marins sont accidentés). « L’investissement est évalué à 7 milliards d’euros mais il serait plus proche de 10 milliards en réalité », poursuit Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Les volumes exportés seraient-ils suffisants pour amortir une telle dépense ? « Le projet semble totalement irréaliste aujourd’hui », tranche Thierry Bros, chercheur associé à l’Energy Project de l’université de Harvard.
Autre solution : liquéfier le gaz pour l’exporter par bateau sous forme de GNL. La construction de sites de liquéfaction sur les côtes israéliennes paraît impensable vu la densité de population et la place nécessaire pour déployer de telles infrastructures, sans parler du risque militaire qu’elles poseraient dans un pays entouré d’ennemis. Chypre, elle-même propriétaire d’importantes réserves, se verrait bien devenir la plate-forme régionale de liquéfaction du gaz méditerranéen. Mais là encore, le coût de telles infrastructures pose question. Et le jeu se complique avec la Turquie, qui n’a pas trouvé de pareilles réserves dans ses eaux. Le pays est en conflit avec Chypre au sujet de la délimitation des zones maritimes.
Effondrement des prix
Un scénario plus réaliste à court terme serait de passer par l’Egypte, qui dispose déjà de deux sites capables de liquéfier le gaz. « Il faudra que les deux Etats s’entendent sur le partage de la rente, ce qui prendra du temps », relève cependant Thierry Bros.
Outre ces obstacles financiers et géopolitiques, les besoins en gaz de l’Europe sont hautement incertains. « Israël a mis dix ans à démarrer Léviathan, et entre-temps le contexte a changé », souligne Marc-Antoine Eyl-Mazzega. Les prix du gaz se sont effondrés avec l’augmentation des exportations de GNL de Russie, d’Australie et surtout des Etats-Unis grâce au succès du schiste.
Baisse de la consommation
De quoi bouleverser l’équation pour Israël dont le gaz coûte cher à extraire par rapport à la Russie ou aux Etats-Unis. Face à cette offre abondante, la consommation gazière de l’Union européenne stagne, et elle est appelée à fortement diminuer, la nouvelle Commission ayant fixé l’objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050. Autant de raisons qui poussent Israël à réfléchir à deux fois avant d’accélérer sa course pour devenir un leader du gaz méditerranéen.