Depuis le 18 janvier, l’ancien atelier de la sculptrice Chana Orloff (1888-1968) ouvre ses portes de manière permanente grâce aux efforts de ses petits-enfants. Construit par Auguste Perret en 1926, ce lieu magique est l’un des derniers ateliers de sculpteurs parisiens encore en état.
Chana Orloff (1888-1968) est une illustre sculptrice française juive de l’Ecole de Paris née en Ukraine et décédée à Tel Aviv. Son père était précepteur et sa grand-mère, sage-femme ; elle est l’avant-dernière d’une fratrie de dix frères et sœurs. La famille fuit les pogroms et s’installe en Israël en 1905; Chana y restera jusqu’en 1910, puis s’installera à Paris. Sa vie se partagera entre France et Israël, où ses séjours se feront de plus en plus longs au fil des années.
Hormis l’atelier de Constantin Brancusi (au pied du Centre Pompidou) ou celui d’Alfred Boucher (transféré de Paris à La Piscine de Roubaix), peu d’ateliers de sculpteurs sont aujourd’hui visibles dans leur intégralité. Pourtant, subsiste encore celui de l’artiste ukrainienne Chana Orloff, près du parc Montsouris. Au fond d’une ruelle, qui deviendra par la suite la Villa Seurat, se cache cette demeure Art Déco sise près de l’atelier de Jean Lurçat.
Lorsque Chana Orloff quitte son logement de la rue d’Assas pour rejoindre la Villa Seurat, elle est déjà connue comme portraitiste (sur les 500 œuvres répertoriées, 187 sont des bustes et 72 des figures en pied). Elle expose dans de bonnes galeries et participe aux salons qui présentent l’avant-garde. Ayant déjà réalisé le portrait sculpté de l’architecte Auguste Perret en 1923, elle lui demande de concevoir un bâtiment fonctionnel, associant résidence et atelier.
Perret choisit le béton-armé et propose une façade dépouillée, sans décor superflu, et percée de larges verrières éclairant l’intérieur d’une grande salle ouverte sur deux niveaux. Pour compléter la réalisation de Gustave Perret, Chana Orloff commande à Zeev Rechter, un architecte rencontré en Palestine en 1930, une maison mitoyenne de trois étages. Le mobilier est de Francis Jourdain et Pierre Chareau (ces meubles et certaines œuvres de Chana Orloff ont été malheureusement volés pendant la Seconde Guerre mondiale quand elle s’était réfugiée à Genève).
La visite de l’atelier
Lorsque le visiteur entre dans l’atelier, il a l’impression de pénétrer dans le lieu tel qu’il était dans les années 1930. Une première pièce, l’atelier d’exposition, conduit ensuite vers l’atelier proprement dit. Partout, plâtres, bois et marbres alternent avec les tirages en bronze des sculptures. Dans de petits casiers s’aligne la litanie de portraits sculptés, variations autour du socle laissé pur et des volumes des visages masculins ou féminins.
On s’imagine facilement Chana Orloff introduisant dans l’atelier la personne à représenter, la faisant s’asseoir confortablement dans un fauteuil, discutant pour mieux percevoir sa personnalité. Puis, elle commence à faire très rapidement des croquis, des dizaines de croquis. Puis elle remercie la personne et se met à travailler en solitaire. Là commence le face-à-face avec la matière.
Elle affronte des bois, qu’elle a parfois récupérés sur des chantiers de construction, surtout en début de carrière lorsqu’elle est sans le sou. Elle attaque le marbre ou la pierre. Elle invente, c’est le critique d’art André Salmon qui le dit, le moulage en ciment ou en pierre reconstituée. Et puis, lorsqu’elle en a les moyens, elle demande à un fondeur de tirer un bronze à partir de ses plâtres.
Aux personnages répondent les animaux, car Chana Orloff aime représenter les oiseaux, les poissons, les chevaux, qui peuvent être des portraits commandés par de riches collectionneurs, comme le basset de Madame X ou le chien afghan de Lurçat. Cet atelier semble être resté comme lorsque Chana Orloff est partie, en 1968 à Tel Aviv où on lui préparait une grande exposition au musée.
Grâce à ses petits-enfants, le lieu est désormais ouvert de manière permanente et non plus sur rendez-vous comme auparavant. Une importante monographie a été publiée par le marchand Félix Marcilhac. Elle donne un aperçu complet de la diversité de l’art de Chana Orloff, jusqu’à ses monuments comme le Grand Oiseau blessé (1963) ou Mon fils (1923) dont un tirage en bronze vient d’être installé place des Droits de l’enfant, à l’angle de la rue de la Tombe Issoire et de la rue d’Alésia