Ziv Abud: “Quand il reviendra, nous irons à nouveau danser”

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Ziv Abud a survécu au massacre du Hamas au Festival Nova. Son neveu comme des dizaines de ses amis ont été assassinés; Eliya Cohen, son petit ami, a été kidnappé. La jeune femme de 27 ans tente de soigner ses traumatismes et lutte sans répit pour la libération des otages. Tenoua l’a rencontrée à Tel Aviv.

La serveuse ose enfin s’approcher, elle tient à offrir le déjeuner que nous partageons ce 17 novembre. “Au moins le dessert”, glisse-t-elle dans un sourire rempli d’empathie et de gêne après avoir interrompu notre discussion, son témoignage.

Ziv Abud ne s’étonne plus quand elle est reconnue dans la rue telavivienne. “Certains passants viennent me parler, ils veulent m’aider. C’est parfois dur, mais s’ils me connaissent, cela signifie qu’ils connaissent aussi Elyia Cohen [son petit ami, otage du Hamas depuis le 7 octobre], raisonne la battante. Et c’est précisément ce que je veux, ce pour quoi je me bats depuis un an.” Un an que l’Israélienne de 27 ans habite le 7 octobre, vit dans “la même journée”. “C’est le même jour pour moi. Rien n’a changé: Elyia n’est toujours pas revenu.”  

À l’aube de l’interminable 7 octobre, les amoureux de Nova se sont cachés pour fuir les massacres dans cet abri fortifié que le Forum des familles d’otages et des disparus a renommé le “refuge de la mort”, car seize jeunes israéliens y ont été abattus et quatre autres ont été enlevés.

Aujourd’hui, Ziv rembobine le récit de sa survie, cachée sous un tas de cadavres dans le bunker assiégé par les terroristes. Le corps enseveli, la jeune femme est restée coincée six heures. Elle se souvient des bruits du néant, des grenades. “Je ne ressentais pas mon corps. Je pensais être morte. Puis, j’ai réalisé être en état de choc, j’ai cherché de l’air, sorti ma tête, et vu Amit [son neveu] et Karin [la petite amie de son neveu] à terre, sévèrement blessés. J’ai compris que tout le monde autour de moi était mort. J’ai réalisé à cet instant qu’Eliya n’était pas là, sans comprendre qu’il y avait eu des enlèvements.” Les heures passent lourdement, les musiques en langue arabe et les rires des terroristes remplacent le son des tirs et des explosions. “J’ai pensé qu’il y avait deux options: soit, ils me tuaient, soit, ils m’oubliaient. Mais j’étais persuadée d’une chose: qu’il n’y avait plus d’Israël.”

Elyia, son conjoint depuis sept ans à cette époque, a été tiré des décombres et des cadavres avant d’être kidnappé, comme Or Levy et Alon Ohel, présumés vivants, et Hersh Goldberg-Polin, assassiné dans un tunnel de Rafah fin août, aux côtés de trois autres otages.

Dans la matinée de ce “shabbat noir”, Ziv découvre une photo d’Elyia publiée par le Hamas sur Telegram. Elle revoit “ses yeux effrayés”, et se souvient des sentiments contradictoires ressentis devant le téléphone, entre terreur et espoir. “Il était en vie.” Cette image obsédante demeure l’unique signe de vie d’Elyia depuis quatorze mois. “L’espoir, la foi en son retour, cette emouna, me permettent de tenir bon. Il reviendra, c’est sûr. Je ne m’autorise pas à tomber, à baisser les bras, ou à avoir des idées sombres. Je n’ai aucune autre option que d’y croire”, répète-t-elle.

Comment décrire Elyia Cohen, l’homme qui sourit en noir et blanc sur le tee-shirt qu’elle porte? C’est en cherchant à nous répondre qu’elle demande à switcher de l’anglais vers l’hébreu. On sent bien qu’elle veut le raconter sans le trahir, être au plus près de lui. Elle ne se pardonnerait pas l’imprécision de son vocabulaire dans cette langue qu’elle maîtrise pourtant minutieusement. “De son sourire rayonnant, je veux me souvenir. Je ferai tout pour le lui redonner s’il ne revient pas avec. Dans une pièce, on ne regarde que lui. Où qu’il entre, il devient central dans la pièce. Tout le monde l’observe, veut en savoir plus sur lui, écoute ce qu’il va dire… Ses copains diront tous qu’il est ‘leur’ meilleur ami, parce qu’il sait trouver le bon conseil, au bon moment. Il se soucie vraiment de chacun de nous, et nous le fait ressentir. Ce n’est pas un romantique, pas un grand démonstratif, mais il est capable d’apporter honnêtement de l’amour, par sa façon de se soucier de l’autre, d’être constamment présent.” 

Ne pas s’y tromper: cette énergie positive, son corps déterminé, ne camouflent aucun déni. Suivie par un psy, “la seule chose” qui l’aide, défrayée par l’État d’Israël – “car nous étions déclarés concubins, mais d’autres partenaires d’otages ne reçoivent rien” –, Ziv décrypte les symptômes et les conséquences de son stress post-traumatique. “Au départ, je ne ressentais rien. Pas de douleur, pas de manque. Rien. J’étais comme déconnectée de la situation, en dissociation.” Du réveil au coucher, Ziv n’agit que pour le sort d’Elyia. Avec une distance presque opérationnelle, nécessaire pour travailler sans s’écrouler. Gérer plusieurs pages et animer plusieurs communautés sur les réseaux sociaux, accorder des interviews, mener des actions de sensibilisation: un travail à temps plein. “Mais quand je rentre à la maison, que je me retrouve seule au lit, tout revient à moi, à travers des flashbacks, des cauchemars et tout ce qui attaque l’esprit une fois la nuit tombée”, livre celle qui a pris des médicaments pour trouver le sommeil et a arrêté, qui a commencé à fumer et a arrêté.

Ziv est aussi la tante d’Amit Ben-Avida, un jeune homme de 19 ans, assassiné lors du Festival Nova le 7 octobre, qui sourit, en noir et blanc aussi, sur son avant-bras droit. Les pigments ne sont pas encore tout à fait fixés. L’encre du souvenir de son neveu abattu avec sa petite-amie, a pénétré sa peau il y a quelques jours. Ziv tient un compte-mémorial sur Instagram, pour se souvenir de son “poussin”, l’aîné de sa sœur, ce garçon aux yeux bleus et lunettes rondes qui aimait la musique trans, les festivals, ses amis… – “ce qu’on aime à cet âge, quoi” – et sa copine, Karin Schwartzman. “Ils ne se séparaient jamais lorsqu’ils étaient vivants. Ils ne sont pas désunis dans la mort.” 

Un troisième sourire apparaît: sorte de smiley sur son poignet, qui était aussi dessiné sur le corps d’Amit. Chaque tatouage de Ziv est une pensée pour le garçon, et non pour l’être aimé, souligne-t-elle. “C’est ainsi que je me souviens d’Amit. Contrairement à Elyia, qui est toujours en vie.” Le lien semble s’être renforcé entre Ziv et sa sœur endeuillée depuis l’événement. “Elle se raccroche aux bonnes choses, admire la cadette. Elle sait que cela relève du miracle si je suis encore là. Quelques centimètres seulement me séparaient d’Amit…”

Ziv explique se mobiliser “à [sa] façon, loin des manifestations et de tout ce qui peut causer l’éloignement” des familles d’otages et des Israéliens. Au cœur de l’été, pour Tou beAv, la “Saint-Valentin juive”, Ziv a dressé une table sur la Tayelet [le bord de mer de Tel Aviv] – bougies, vin et pétales – et s’est habillée d’une robe rouge, pour un dîner romantique en “tête-à-tête” avec Elyia, une affiche posée sur la chaise en face d’elle. Les promeneurs ont marqué un arrêt, le temps d’écouter son histoire, de l’étreindre en séchant ses larmes, ou de laisser les leurs couler. “C’est ma manière d’atteindre l’âme des gens, de provoquer leurs émotions.” Pour la fête de Pourim, durant laquelle les Juifs se déguisent, elle avait revêtu une robe jaune, de ce jaune devenu symbole, sur laquelle elle avait accroché des chaînes et un portrait de chaque captif.

Un mouvement de cheveux révèle un autre tatouage, déposé sur la loge antérieure de son bras gauche. “07.10.2023” et les contours d’un cœur brisé. Pensée spontanée pour Mia Schem et le “We will dance again” gravé sur sa peau. Ziv se reconnaît dans cette phrase de résilience et fédératrice, que d’autres depuis se tatouent ou portent autour du cou. Elle s’identifie au message et intègre sans réfléchir Elyia à son “Nous”. “Quand il reviendra, nous irons à nouveau danser. Danser, c’est sa vie. Son travail et son plaisir. Nous danserons à nouveau. J’espère bientôt. Aujourd’hui ou demain.”

Son “plus grand rêve en ce moment”“L’embrasser, simplement, et savoir qu’il est et reste en Israël.” Ou qu’il quitte leur pays en paix seulement pour leurs voyages, eux qui ont tant aimé découvrir l’Italie et sa capitale, l’archipel srilankais, les îles San Blas au Panama. Le 1er janvier 2024, le couple devait s’envoler pour la Thaïlande, où Elyia prévoyait de lui demander sa main. Ziv n’en savait rien jusqu’à ce que la mère de l’otage lui confie le plan de son fils qui avait déjà acheté une bague.

Danser, s’embrasser, voyager, se fiancer. Tant de verbes qu’elle conjugue au futur déterminé.

Myriam Baron

Source tenoua

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