Nombre de victimes, statut de la zone : que sait-on dimanche soir sur Rafah ?

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Une frappe sur un camp de réfugiés, dans le sud de la bande de Gaza, aurait fait une quarantaine de morts, dimanche soir. Tsahal reconnaît un «incident tragique».

Des abris dévorés par les flammes, des hurlements et des corps de Palestiniens carbonisés ou en lambeaux. Depuis dimanche soir, circulent les images insoutenables d’un bombardement revendiqué par l’armée israélienne sur un camp de réfugiés de Rafah. La défense civile palestinienne dans la bande de Gaza a dénombré 40 morts et 65 blessés. Si les circonstances et le bilan du tir sont encore flous, la frappe a bien été revendiquée par les forces armées de l’Etat hébreu. Tsahal a d’abord reconnu et justifié le tir, affirmant avoir ciblé deux commandants du Hamas avant que, ce lundi, le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou n’évoque un «incident tragique». Et indique qu’une «enquête est en cours», sur fond de tollé diplomatique international. Vingt-quatre heures après la frappe, CheckNews a rassemblé les différentes informations disponibles autour de ce drame.

Dimanche, peu avant 20 heures (heure française), différents blogueurs palestiniens rapportent le tir de «deux missiles» sur un camp de réfugiés de Rafah, au sud de l’enclave. Les images filmées après l’impact permettent de localiser la zone visée (en rouge ci-dessous), à proximité de hangars de l’agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA), au nord de Rafah. Le site est devenu depuis des mois un vaste camp de tentes et d’abris de fortunes recevant des Palestiniens déplacés par les offensives israéliennes, comme le montrent différentes captures satellites. L’image prise par l’entreprise d’imagerie satellite Planet le 22 mai, et transmise à CheckNews, montre que des centaines d’abris se trouvaient encore dans la zone.

Avant que le Premier ministre israélien ne parle d’«incident tragique», l’armée israélienne avait rapidement revendiqué, dimanche soir, le fait qu’«un avion [avait] frappé un complexe du Hamas à Rafah où des terroristes importants du Hamas opéraient il y a peu de temps.» Et de soutenir que «la frappe [avait] été menée contre des cibles légitimes conformément au droit international, en utilisant des munitions précises et sur la base de renseignements précis indiquant l’utilisation de la zone par le Hamas». Avant d’ajouter : «Tsahal est au courant des rapports indiquant que, suite à la frappe et à l’incendie qui s’est déclenché, plusieurs civils dans la zone ont été blessés. L’incident est en cours d’examen». A noter que l’armée israélienne n’a pas diffusé les images de la frappe (filmée depuis l’aéronef auteur des tirs), comme elle le fait régulièrement.

Toujours d’après les forces israéliennes, ce bombardement visait deux commandants du Hamas, «le chef d’état-major du Hamas en Judée et Samarie», Yassin Rabia, ainsi que Khaled Nagar, «un autre haut responsable du Hamas». Plusieurs relais pro-israéliens, ici ou là, ont lié cette frappe à des tirs roquettes par des groupes palestiniens, allant jusqu’à dire que les civils auraient été tués par des explosions secondaires des projectiles en question. Mais les différents communiqués de Tsahal montrent que ces derniers ont eu lieu plus tôt dans une autre zone de la ville, 5 kilomètres plus au sud. Et rien n’indique, dans la communication de l’armée israélienne, que des roquettes étaient ciblées dans le camp.

En zone grise, entre zone rouge et «safe zone»

Différentes sources pro-israéliennes ont également affirmé que la cible aurait fait partie des zones de Rafah dont l’armée avait exigé l’évacuation début mai, au lancement de son assaut terrestre sur la ville. En l’occurrence, principalement au sud-est de la localité. Des affirmations contredites par les cartes diffusées début mai ici ou encore ici par les différents communicants de l’armée israélienne. La zone touchée ici est l’extrémité nord-est de la parcelle 2 372 (carte ci-dessous), qui est située en zone grise, hors de la zone rouge où les habitants ont ordre de partir, et à seulement 800 mètres de la «zone humanitaire» désignée par Tsahal. Et donc en dehors (bien que proche) de la «safe zone» en question, contrairement à ce que nombre de relais pro-palestiniens affirmaient.

Dimanche soir, plusieurs photographes gazaouis sont arrivés très rapidement sur les lieux de la frappe, notamment Youssef HamadaKhames Alrefi et Muath Alhams, dont CheckNews a vérifié la localisation à partir des éléments visibles dans les séquences. Les images filmées juste après l’incident, au cours de la nuit, et ce lundi matin, semblent indiquer que l’incendie ne s’est pas beaucoup plus étendu que la zone carbonisée par la frappe initiale.

Des vidéos particulièrement violentes montrent des femmes et des enfants hurler, et un homme éclaboussé de sang tenir un bébé dans ses bras. Pendant que des volontaires, puis les pompiers, essaient d’arrêter l’incendie, on aperçoit une dizaine de corps. Certains, complètement carbonisés, sont sortis des flammes sans qu’il soit possible de les identifier. Plusieurs d’entre eux sont déchiquetés, dont celui d’un enfant en bas âge qui n’a plus de tête. De nombreuses images de blessés et de tués dans les hôpitaux du sud Gaza sont également partagées au fil de la nuit de dimanche à lundi, montrant notamment des enfants en bas âge brûlés ou mutilés. Mais d’autres frappes ayant eu lieu dans Rafah au même moment, il est difficile de les lier précisément au tir sur ce camp de façon certaine.

Certaines victimes déjà identifiées

Sur les réseaux circule une liste de 25 noms (pour un bilan de 40 morts et 65 blessés d’après la défense civile palestinienne), présentée comme l’état des lieux provisoire des victimes identifiées de la frappe sur le camp de réfugiés. Cette liste est parfois associée, à tort, à une image de linceuls blancs déposés au sol, autour desquels se recueille une fouille endeuillée. Une photo qui remonte en fait à décembre 2023 et a été prise lors de funérailles collectives suite à une frappe israélienne sur un camp de réfugiés d’Al-Maghazi, également dans la bande de Gaza.

A partir de cette liste de noms, CheckNews a retrouvé plusieurs internautes qui déplorent la perte d’un ou plusieurs proches dans la frappe du camp de Rafah. Au total, à l’heure actuelle, il est donc possible de recouper huit noms de victimes déclarées, auxquels s’ajoutent au moins deux qui ne figurent pas dans l’énumération qui circule en ligne. Certaines personnes décrivent la perte de plusieurs membres de la même famille. Un membre de la famille Al-Attar annonce ainsi la disparition de six proches, dont deux femmes et une enfant. De la même manière, la famille Al-Hila déplore la perte de deux cousins, dont l’un ne figure pas dans la liste provisoire. En outre, deux noms, celui d’une femme et d’un homme, sont décrits par un proche comme des travailleurs humanitaires. Pour l’instant, CheckNews n’est pas en mesure de confirmer cette information.

Une bombe américaine de petit calibre utilisée

L’organe de presse du gouvernement gazaoui, contrôlé par le Hamas, a affirmé dans un communiqué que l’armée israélienne aurait bombardé le centre avec «7 missiles et bombes géants, chacun pesant plus de 2 000 pounds d’explosifs», soit près d’une tonne chacun. Des projectiles de très gros calibre utilisés massivement par l’armée israélienne durant les premiers mois de la guerre dans des frappes dépassant parfois la centaine de morts.

Mais ici, la zone touchée réduite, l’absence de cratère (caractéristique des bombes en question) et les débris retrouvés sur place, contredisent cette affirmation, et pointent plutôt vers une bombe de plus petit calibre, une GBU-39, d’après un spécialiste interrogé (sous condition d’anonymat) par CheckNews. Un projectile de fabrication américaine de 110 kilos, dont les Etats-Unis encouragent l’usage (à la place des projectiles plus dévastateurs) pour diminuer les pertes civiles à Gaza.

Toujours d’après le spécialiste interrogé, les flammes visibles dans les vidéos sont cohérentes avec cette GBU-39 qui a un plus grand effet de souffle pour moins de fragmentation (les éclats d’un projectile). Sans pour autant amoindrir sa létalité quand elle cible un camp de réfugiés, toujours d’après le spécialiste interrogé.

par Alexandre Horn et Anaïs Condomines