A 29 ans, elle est l’un des personnages du documentaire « La Belle de Gaza », de Yolande Zauberman. Présenté en séance spéciale à Cannes avant sa sortie en salle le 29 mai, le film se penche sur les destins souvent tragiques des femmes transgenres en Israël.
Talleen Abu Hanna préfère fuir la guerre. Ne serait-ce que pour vingt-quatre heures. Fin avril, à Paris, loin du sanglant conflit entre Israël et le Hamas, la jeune femme transgenre de 29 ans, en haut de soie bleu et maquillage millimétré, tente d’oublier les morts, les risques d’embrasement régional et ses « tiraillements » face à l’unité nationale exigée par l’Etat hébreu, elle qui est née dans une famille palestinienne et chrétienne de Nazareth, au nord d’Israël.
Après six mois d’opérations militaires, Talleen Abu Hanna semble craindre de prendre position alors que la communauté LGBTQ + d’Israël est mise à l’index à l’étranger par une partie du mouvement propalestinien, qui l’accuse de cautionner de manière tacite la guerre menée par l’Etat hébreu. A ses côtés, Israela Lev, 63 ans, vétérane de la lutte pour les droits des LGBTQ + qui se présente autant comme la manageuse que la « mère » (une figure protectrice dans la culture queer) de Talleen Abu Hanna, soupire de tristesse quand on l’interroge sur le conflit : « Plutôt que de prendre un fusil entre nos mains pour aller à la guerre, on préfère se faire les ongles, se maquiller, s’injecter du Botox. » Ou se rendre au Festival de Cannes.
En mai, Talleen Abu Hanna et Israela Lev iront y présenter le documentaire La Belle de Gaza, réalisé par Yolande Zauberman (Would You Have Sex With an Arab ? en 2011 et M, César du meilleur film documentaire en 2020) et projeté en séance spéciale le 22 mai, avant sa sortie en salle le 29. Tourné avant la guerre, le film entrecroise les destins parfois tragiques de plusieurs femmes transgenres en Israël, dont beaucoup de travailleuses du sexe réunies dans une même rue sinistre de Tel-Aviv.
Une jeune femme, la Belle du titre, aurait fui la bande de Gaza, où elle était menacée de mort à cause de sa transidentité, pour venir, à pied, jusqu’à Tel-Aviv. Talleen Abu Hanna n’incarne pas ce mystérieux personnage, qui n’apparaît que peu dans le documentaire. Mais elle est une figure centrale de ce récit, symbole de réussite, perspective d’espoir au milieu d’autres parcours plus sombres. Ce jour-là, à Paris, elle évoque donc peu le conflit et se concentre sur le sort des personnes transgenres, qu’elle décrit « en guerre avec leur corps ».
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Célèbre dans son pays, c’est à elle qu’incombe, en partie, la tâche de faire la promotion du film. Mannequin, danseuse, personnalité de télé-réalité (« Big Brother », le « Loft Story », local), elle a aussi été l’égérie d’une campagne de publicité pour la marque espagnole de prêt-à-porter Desigual. Suivie par près de deux cent cinquante mille personnes sur Instagram, il n’est pas rare qu’elle soit abordée dans les rues de Tel-Aviv par des fans en quête d’un selfie. Même dans le contexte actuel. « Quand les fusils tirent, nous devons répondre avec de l’espoir », sourit Talleen Abu Hanna.
Harcelée, rejetée par sa famille
A Nazareth, où elle a grandi, Talleen Abu Hanna se questionnait sur son identité de genre sans avoir de référence. Au début des années 2000, l’adolescente, passionnée de danse, assignée garçon à la naissance, est harcelée et visée par des insultes et des jets de pierres, en pleine rue. Rejetée par sa famille, elle n’entrevoit qu’une solution : dès sa majorité, partir pour Tel-Aviv, réputée plus progressiste et tolérante envers les personnes LGBTQ +. Sur place, Talleen Abu Hanna déchante. Même au sein de la population queer, elle trouve peu de soutien. « Je me suis retrouvée à dormir dehors », raconte-t-elle.
Israela Lev, qui voit en Talleen un « diamant » à protéger, la prend sous son aile. La sexagénaire, femme transgenre un temps mariée à un rabbin, dit-elle dans le documentaire, avait, elle aussi, subi ce même rejet. Elle a un jour été poignardée en pleine rue, à Tel-Aviv. « Je voulais tout faire pour que ce genre de chose ne lui arrive jamais », confie-t-elle. En plus de cette violence omniprésente, les femmes transgenres peuvent aussi être la proie de la toxicomanie et du proxénétisme. « Sauf que nous en avons eu marre des hommes et des fellations, glousse Israela Lev. Nous, les femmes transgenres, voulions faire autre chose de nos vies. »
En 2016, grâce aux réseaux sociaux, Israela Lev rassemble une petite troupe pour organiser Miss Trans Israel, le premier concours de beauté pour les femmes transgenres de l’Etat hébreu. Soutenu financièrement et logistiquement par les pouvoirs publics, son projet sert de « couverture » pour aider ses sœurs à se soustraire aux dangers des drogues dures et de la prostitution.
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La cérémonie couronne Talleen Abu Hanna, 21 ans à l’époque, parmi douze candidates. Selon Israela Lev, la compétition, très suivie en ligne, ouvre de nombreuses portes aux femmes transgenres. « Aujourd’hui, nous pouvons étudier, devenir fonctionnaires, mannequins ou influenceuses, se réjouit Talleen Abu Hanna. Pour nous, tout est devenu possible. » Malgré le chaos ambiant, en riant, la jeune star et sa manageuse célèbrent leur « révolution paisible ». Yolande Zauberman en conclut : « On devrait donner les clés du pays à Talleen et Israela, tout irait mieux. »