Ces 13 et 14 mai, les Israéliens célébraient leurs soldats tombés lors des guerres ainsi que les 76 ans de la création de leur État. Des cérémonies où les opposants à Netanyahou ont donné de la voix.
C’est depuis toujours la tradition : la sombre journée du Souvenir des soldats tombés au cours des guerres d’Israël et des victimes du terrorisme bascule le lendemain, sans transition, dans la joie du jour de l’Indépendance. Si, dans la forme, cette règle établie depuis la création du pays a été encore une fois respectée, les différences sont, dans le fond, criantes. Ce lundi 13 mai, la cérémonie officielle d’allumage des flambeaux, qui, sur le mont Herzl à Jérusalem, ouvre les réjouissances, s’est déroulée sans public. Et, ce qui n’était jamais arrivé, elle a été enregistrée à l’avance. Par mesure de sécurité, avait expliqué Miri Regev, la ministre des Transports, chargée du scénario et de la réalisation de l’événement. Par crainte de possibles perturbations – sifflets, huées, protestations, etc. – venues du public, selon les médias.
Cela a donné un show parfaitement huilé, où des groupes de trois ou quatre personnes, médecins, infirmières, secouristes, influenceuses, rabbins, militaires, tous réunis sous la bannière de l’héroïsme et du courage depuis le début de la guerre, ont allumé onze flambeaux. La douzième torche, dédiée aux otages encore aux mains du Hamas et aux personnes disparues, était là, mais elle n’a pas été allumée.
Protestations à la prise de parole de Netanyahou
En point d’orgue et contrairement à la tradition selon laquelle seul le président de la Knesset (le parlement) est habilité à prononcer un discours, Benyamin Netanyahou a déclaré dans une vidéo préenregistrée : « Malgré tout ce qui s’est passé et un Yom Haatsmaout (jour de l’Indépendance) qui n’est pas normal, de nombreux proches de victimes m’ont appelé à continuer jusqu’au bout, jusqu’à ce que les monstres du Hamas soient éliminés. » Un nouvel appel à la victoire totale sur le Hamas lancé par un Premier ministre droit dans ses bottes.
Et peu importent les protestations qui ont émaillé les commémorations se déroulant dans les cimetières du pays. Plusieurs ministres ont été pris à partie. À Ashdod, la présence d’Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, d’extrême droite, a même donné lieu à des affrontements entre pro et anti-gouvernement. Benyamin Netanyahou, présent à la cérémonie du souvenir sur le mont Herzl, n’a pas été épargné. À sa prise de parole, une partie importante du public s’est fait remarquer en quittant les lieux avec ostentation.
L’opposition s’est aussi exprimée, lundi soir, dans des rassemblements alternatifs. Cent mille personnes se sont réunies sur la place des Otages à Tel-Aviv. À Binyamina, dans le nord du pays, une cérémonie alternative organisée par des familles d’otages a fait salle comble.Mille cinq cents personnes sont venues marquer à leur manière l’anniversaire de l’indépendance. Commencée dans le noir avec des enregistrements d’appels au secours lancés le 7 octobre par des habitants assiégés par le Hamas dans des localités proches de Gaza, la soirée s’est poursuivie par la prise de parole de proches de victimes ou d’otages.
Les uns après les autres, ils ont expliqué la raison pour laquelle ils éteignaient un flambeau. Comme Galit Dan, une habitante de Nir Oz dont la fille et la mère ont été assassinées par les terroristes alors que trois membres de sa famille étaient pris en otage : « Le cœur brisé, j’éteins cette flamme au nom de l’abandon par l’État et l’armée de Nir Oz. Ce gouvernement est responsable du meurtre de ma fille et de ma mère. » Eyal Eshel, le père de Roni Eshel, une soldate chargée de la surveillance de la frontière avec Gaza tuée lors de l’assaut mené par l’organisation islamiste, a lancé : « Je suis ici pour rappeler que nous devons absolument reconnaître nos échecs, ceux de tout un système, afin que cela change. » Parmi les autres intervenants, un général de réserve qui a combattu le 7 octobre, une habitante du Nord déplacée depuis sept mois ou encore la mère d’un soldat tué à Gaza.
Israël « divisé en deux États juifs incompatibles »
De fait, depuis plus d’une semaine, de nombreux Israéliens se posent la même question : comment fêter l’indépendance alors que la guerre continue avec encore des militaires morts au combat, que 132 otages sont toujours prisonniers du Hamas et que le pays est de plus en plus isolé sur la scène internationale ? « En passe de rejoindre le club des États parias », a même titré le quotidien Haaretz, tout en publiant un article signé de son correspondant diplomatique, Alon Pinkas, intitulé « En ce jour de l’Indépendance, Israël est divisé en deux États juifs incompatibles ». « Le fossé est en passe de devenir infranchissable, écrit le journaliste. Il est politique, culturel et économique. Même le dénominateur commun le plus fondamental, la déclaration d’indépendance de 1948, ne fait plus l’unanimité. »
Sans feux d’artifice ni défilé aérien, quelques rendez-vous traditionnels ont été maintenus. Comme la remise des prestigieux prix Israël, les plus hautes récompenses dans les domaines scientifique, littéraire, artistique, ou le fameux concours biblique pour les jeunes. En revanche, contrairement aux années précédentes, Benyamin Netanyahou n’y a fait aucune apparition publique.