Ce jeudi, le procureur de Mont-de-Marsan a dévoilé le résultat des investigations sur le coup de feu ayant touché le chanteur dans la nuit de dimanche à lundi. Sur fond de tensions accumulées avec sa femme, il se serait tiré dessus dans le huis clos de sa caravane.
«Je voulais faire entendre le bruit de la détente à Soraya. Je voulais qu’elle me dise d’arrêter et qu’elle ne parte pas. J’étais saoul au point de ne pas savoir quoi faire.» C’est ainsi que Kendji Girac a expliqué comment il s’est retrouvé avec le thorax transpercé par une balle dans la nuit de dimanche à lundi, lors de son audition par les enquêteurs. Le chanteur populaire, chantre de la culture gitane, est au centre de toutes les attentions – médiatiques autant que policières – depuis l’annonce de sa blessure par arme à feu ; son pronostic vital fut même engagé dans les premières heures. La star, âgée de 27 ans, se trouvait toujours à l’hôpital de Pessac, en bordure de Bordeaux, lorsqu’il a finalement pu être entendu mercredi, entre 15h40 et 16h50, pause comprise, après trois jours de folles rumeurs – des supputations alimentées sur les réseaux sociaux aux petites phrases de prétendus témoins anonymes, le tout sur fond d’omerta au sein du campement de gens du voyage où se sont déroulés les faits, du côté de Biscarrosse (Landes).
Dans ce contexte au bord de l’ébullition, il est revenu ce jeudi 25 avril à Olivier Janson, le procureur de Mont-de-Marsan, de remettre l’église au milieu du village à l’occasion d’une conférence de presse fleuve. Le magistrat a présenté le résultat des investigations, avec parfois force détails intimes, et a fini par estimer que toute la lumière était faite sur cette affaire. Désormais, a-t-il annoncé, «le travail judiciaire s’arrête».
Rembobinons. Il y a ce que l’on savait déjà : Kendji Girac, vedette instantanée après sa victoire dans le télécrochet The Voice il y a pile dix ans, n’a jamais abandonné son mode de vie gitan. Peu importent les milliards de vues cumulées par ses clips sur YouTube et les plus de cinq millions de disques vendus, les spectateurs en délire dans la fosse de ses concerts et la lumière des projecteurs en permanence braquée sur lui, le crooner à guitare, cinq albums et autant de succès à la clé, n’a jamais renoncé à mener une vie nomade la moitié de l’année, plantant sa caravane dans les aires dédiées aux «voyageurs» comme c’est l’usage dans sa communauté. L’autre moitié, durant les mois hivernaux, le jeune père d’une petite fille de 3 ans, s’installait dans sa maison de Périgueux, avec Soraya Miranda, sa compagne «sédentaire».
Bière, Ricard, rosé, rouge…
Il se trouvait donc depuis dix jours à Biscarrosse sur l’aire dite de «grand passage» – en réalité, un bout de bitume en périphérie de la petite cité balnéaire. Quatre-vingt caravanes étaient installées là, appartenant uniquement à des membres de sa famille plus ou moins proche. Lui-même occupait la sienne avec sa compagne et sa fille.
Aux alentours de 5 heures dimanche matin, une détonation retentit dans la caravane. Kendji Girac s’effondre, blessé au torse, la balle est ressortie dans son dos. Quand il retrouve ses esprits, il assure lors d’une très brève première déclaration à l’hôpital que le coup est parti en manipulant une pétoire soi-disant achetée dans une brocante. Bref, un «accident» : «J’ai fait ça tout seul, j’ai pas l’habitude» est sa première version. Le procureur, mercredi, a fait un récit bien différent.
Dimanche donc, Kendji Girac se rend dans la journée avec sa compagne et leur fille, un couple d’amis et leur enfant, au salon nautique d’Arcachon. Ils déjeunent tous les six tardivement, vers 16 heures. Le repas est sacrément arrosé pour le chanteur qui enquille une douzaine de verres – bière, Ricard, rosé, rouge… Lui qui fut longtemps «un simple fêtard», selon les mots de Soraya, enchaîne depuis quelque temps les «cuites». Son état alcoolisé dure parfois quarante-huit heures d’affilée, au cours desquels il n’est jamais violent avec elle mais «fait n’importe quoi».
A leur retour d’Arcachon, la famille dîne d’un couscous préparé par une tante de Kendji puis Soraya rentre se coucher avec sa fille dans sa caravane, toutes les deux dans le lit parental. Kendji Girac part au casino de Biscarrosse avec quelques jeunes du camp. Il aime depuis longtemps s’adonner au blackjack. En rentrant dans sa caravane vers 23 heures, le chanteur, passablement ivre, sniffe, selon ses dires, «deux petites traces de cocaïne» – il en consommerait une ou deux fois par semaine. Il fait du bruit, réveille sa femme et sa fille.
Multiples disputes
Une dispute éclate. Les tensions s’accumulent dans le couple ces derniers temps. Soraya ne fait pas partie de la communauté des gens du voyage. Elle évoque son «féminisme mis à mal par le fonctionnement de la communauté». Réciproquement, la famille a du mal à accepter que l’enfant chéri ait épousé «une gadji». L’un des derniers sujets de discorde du couple porte sur l’éducation d’Eva Alba : sa mère souhaite qu’elle suive une scolarité classique. Contrairement à l’enfance de Kendji Girac, abonné à l’école buissonnière, au point de souffrir d’un illettrisme handicapant. «Hors de question qu’elle loupe un seul jour d’école», l’a déjà informé Soraya. Conséquence terrible pour celui qui n’a jamais vécu autrement : «C’est la dernière année que nous voyageons», a ajouté sa compagne.
Ce soir-là, les esprits s’échauffent. Soraya demande à son époux de sortir de la caravane. Il se réfugie dans sa Porsche Cayenne stationnée juste devant, met la musique à fond – des cantiques s’échappent des enceintes. Elle lui écrit des «sms tendus», rapporte le procureur, se plaint du bruit. Le chanteur s’éloigne avec sa voiture. Ne le voyant plus, Soraya appelle le père de Kendji Girac à 2h50 du matin. Depuis quelques jours, ses parents sont à Nantes, une de leurs filles doit accoucher. Le patriarche appelle son fils et lui intime l’ordre de retourner se coucher. D’autant plus qu’il doit prendre un avion à l’aube pour la Suisse où il a des obligations professionnelles.
De retour dans la caravane à plus de 3 heures du matin, Kendji Girac tente à nouveau de parler à sa fille pour lui répéter qu’il l’aime, avant de repartir dans le salon. Soraya raconte qu’elle l’entend pleurer. La dispute reprend. Colère et menaces. Elle lui annonce qu’elle «va partir», et retourne dans sa chambre, qu’elle partage avec sa fille. Kendji Girac reste seul, 2,5 grammes d’alcool dans le sang à ce moment-là, selon les analyses. Coup de feu. Soraya découvre son mari dans la pièce principale, genou à terre, gémissant, l’arme au sol. Elle sort demander de l’aide à une voisine de caravane qui appelle les secours. «Pardon seigneur», articule avec peine le blessé, selon un de ses oncles. La consigne de «ne rien dire à la police» circule vite.
Quand les secours arrivent, personne n’est en mesure d’expliquer comment la star s’est retrouvée «prostrée» et torse nu sur une chaise, devant sa caravane. Il y a beaucoup de sang, la balle est entrée dans le mamelon gauche et est sortie entre la neuvième et dixième côte. «Les conséquences de ce tir auraient pu être beaucoup plus graves qu’elles ne le sont», souligne le procureur, évoquant un «trajet miraculeux».
L’accueil des pompiers et des enquêteurs est «assez rugueux», poursuit le magistrat. Rien n’est fait pour leur faciliter la tâche, entre refus de décliner son identité et versions, aussi divergentes que vagues, qui tournent toutes autour du mantra «c’est un accident» – Kendji n’aurait bu qu’un Perrier de la journée, Kendji se serait couché à 22 heures, Kendji n’aurait jamais touché une arme, Kendji pratiquerait le tir sportif en Suisse, etc. La caravane est fermée à clef, l’arme a disparu… Il faudra l’intervention du père du chanteur le lendemain en visio pour qu’elle soit finalement retrouvée dans un roncier à la sortie du camp. Le chargeur est retrouvé dans une autre caravane.
La thèse de l’accident est vite écartée. L’arme fonctionne parfaitement, elle est donc sécurisée et son achat en brocante est «éminemment douteux» selon le procureur – le chanteur finira par raconter l’avoir acheté à «un type de passage» sur le camp le 18 avril, une sorte de VRP des armes à feu non identifié à ce stade. L’hypothèse selon laquelle il aurait voulu «jouer» avec sa nouvelle acquisition ne tient pas. L’accumulation de témoignages flous pousse le parquet à ouvrir dès lundi une enquête pour «tentative d’homicide volontaire». Mais l’intervention d’un tiers est rapidement écartée à son tour : elle ne résiste pas aux reconstitutions, notamment à cause de la position de Kendji Girac dans la caravane au moment du tir et au vu de la trajectoire de la balle. Reste l’hypothèse de la tentative de suicide. D’autant plus crédible que Soraya confie aux enquêteurs que Kendji Girac avait déjà menacé dans le cadre de leurs disputes de se «mettre une balle» ou de «s’ouvrir la gorge».
Lors de son audition mercredi soir, Kendji Girac a finalement admis avoir retourné l’arme contre lui – «j’ai orienté le canon vers ma poitrine» – et avoir tiré volontairement. «Il a indiqué que cette impulsion a consisté pour lui à vouloir faire peur à sa femme, à vouloir l’impressionner, En quelque sorte il a simulé un suicide. C’est volontairement qu’il a inséré le chargeur, c’est volontairement qu’il s’est tiré dessus», a déroulé Olivier Janson. Sortant quelque peu de son rôle, le magistrat a ajouté ne pas croire à ce scénario nouvellement vendu par le chanteur, mais plutôt à une véritable tentative de suicide – et l’avoir dit à l’intéressé.
Deux vies, deux mondes
Comme la plupart des gens du voyage, Kendji Girac est profondément croyant. «Il vient souvent dans nos rencontres avec ses parents et sa famille, malgré le tournant qu’il a pris dans le spectacle. Il chante nos cantiques. Vous savez, nous sommes tous très solidaires» , racontait à Libération en début de semaine Johnny Charpentier, pasteur et chef mouvement évangélique tsigane Vie et Lumière, qui revendique près de 130 000 membres en France. C’est précisément par la foi que le procureur a expliqué l’omerta qui régnait autour de Kendji Girac dimanche dès l’aube. Dans la religion chrétienne, le suicide est effectivement un tabou : c’est à Dieu de choisir le moment de rappeler à lui un croyant.
Ce drame intime, et le déballage afférent, viennent écorner l’image publique jusqu’ici hyperlisse de Kendji Girac, qui se décrivait comme «un gars normal», et revendiquait fièrement, au détour d’une interview dans Libé à ses débuts, une vie vertueuse : «Nous, on a des valeurs, on ne boit pas, on ne vole pas…» La réalisatrice Mona Achache, qui l’a mis en scène dans un téléfilm autobiographique inspiré de son illettrisme, décrit un «génie autodidacte de la chanson, d’une grande douceur», qui avait conquis toute l’équipe de tournage, à coups de barbecues entre les prises et d’airs tsiganes. Elle préfère se souvenir de son «rapport au plaisir» et de sa «générosité incroyable», tout en se rappelant qu’il restait «profondément gitan», notamment à travers «son sens de la famille extrêmement fort».
De par son statut, la vedette jonglait en permanence entre deux vies, entre deux mondes – celui du spectacle et celui du voyage. Son succès l’avait hissé jusqu’à l’Elysée où il a souvent été invité par la présidence de la République – ici pour chanter lors du Noël des enfants, là pour participer à l’opération Pièces jaunes. Il y était encore en janvier pour une soirée organisée par Brigitte Macron, aux côtés de Rihanna et Asap Rocky. A mille lieues de la nuit du 21 au 22 avril, au milieu des caravanes, un revolver à la main.
par Charlotte Chaffanjon