En Israël, les familles des otages craignent que leur cause soit oubliée

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Plus de six mois après le 7 octobre, 130 captifs, en majorité israéliens, sont toujours aux mains du Hamas dans la bande de Gaza. Les négociations en vue de leur libération semblent complètement bloquées, ce qui aggrave une crise politique larvée.

Ce vendredi d’avril, dans l’après-midi, sur la place de Paris, à Jérusalem, lieu de manifestation de familles d’otages retenus à Gaza, le panneau qui accueille les visiteurs donne le ton : « Une demi-année d’enfer ». Soit le temps écoulé depuis l’attaque du 7 octobre. Les visages sont graves, voire éplorés. Chacun ici ressent l’absence des otages dans sa chair. Le rassemblement, sous le soleil déjà chaud du printemps, a des airs de veillée funèbre. « Les dernières semaines ont été difficiles avec l’attaque iranienne et la Pâque juive. Les Israéliens ont la tête ailleurs. Les familles sentent qu’elles sont oubliées des médias et du cœur des gens. Elles sont à bout de force », explique Gaya Ilan, membre du Forum des disparus et des otages, une ONG qui tente de maintenir l’attention sur cette cause.

L’endroit choisi pour le rassemblement, devant l’entrée de la résidence de Benyamin Nétanyahou, n’est pas anodin. C’est non seulement le rendez-vous des mobilisations contre le premier ministre depuis cinq ans, mais aussi là où s’était installée, en 2010, la famille de Gilad Shalit pour accroître la pression sur le gouvernement. Le soldat franco-israélien kidnappé en 2006 avait été libéré en 2011 contre 1 027 prisonniers palestiniens grâce à un accord conclu par M. Nétanyahou, déjà en poste à l’époque.

« Après l’initiative individuelle du père de l’un des otages, Eli Stivi, qui a passé un week-end devant la résidence de Nétanyahou à Césarée [sur la côte méditerranéenne], nous avons voulu continuer à rester devant sa maison de Jérusalem et nous avons installé une tente, le 21 janvier. Le mouvement s’est enflammé à la suite d’une conférence de presse qu’il a tenue ce jour-là, affirmant qu’il n’y aurait pas d’accord avec le Hamas », explique Zohar Avigdori, qui a compté un neveu et une belle-sœur parmi les captifs du Hamas, relâchés en novembre. Le premier ministre israélien avait rejeté sèchement une proposition du mouvement islamiste palestinien réclamant un retrait total de la bande de Gaza en échange des otages.

« Sauver les otages à tout prix »

« Pour les otages, la question du temps est vitale. Les deux premiers mois, les manifestations étaient sporadiques, car tout le monde pensait qu’il y aurait un accord. Mais le gouvernement israélien et surtout le Hamas montrent de la mauvaise volonté. Les familles sont arrivées à la conclusion qu’il fallait organiser des manifestations plus dures, pour faire pression sur le gouvernement. Ce qui est absolument certain, c’est qu’il faut sauver les 133 otages, quel que soit le prix à payer pour Israël », analyse Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques et de relations internationales à l’université Bar-Ilan, présent à la manifestation en soutien aux otages.

Le temps presse. Le mouvement islamiste assure qu’il ne détient plus que 40 otages vivants répondant aux critères fixés par l’Etat hébreu pour conclure un cessez-le-feu – des femmes, dont cinq soldates, des enfants, des personnes âgées et des malades. Israël a déjà annoncé la mort de trente-six des quelque cent trente captifs du Hamas. Ils ont été tués durant leur capture, le 7 octobre, ou ont succombé aux mains de leurs geôliers ou dans des bombardements israéliens. Trois d’entre eux sont morts sous les balles des soldats israéliens, qui les ont pris pour des Palestiniens. Plusieurs dizaines d’autres pourraient avoir péri sous les bombes, sans que l’Etat hébreu soit en mesure d’en acquérir la certitude, et donc d’annoncer leur mort à leurs familles. Quant aux soldats détenus par le Hamas, l’Etat n’évoque que rarement leur sort, et leurs familles craignent qu’ils ne soient déjà comptés pour perdus.

En dépit de ce flou, le gouvernement israélien continue à vouloir faire d’un éventuel échange de prisonniers l’alpha et l’oméga de tout accord, en ignorant l’autre demande du Hamas : la fin de la guerre, c’est-à-dire « le retrait de l’armée d’occupation de toute la bande de Gaza, le retour des déplacés dans leurs zones et lieux de résidence, l’intensification de l’entrée de l’aide humanitaire et le lancement de la reconstruction », rappelle le mouvement.

Une marge de négociation limitée

Pour le Hamas, les otages sont une assurance-vie, alors que l’Etat hébreu n’envisage qu’un cessez-le-feu temporaire. Israël se refuse à définir un plan d’après-guerre, à discuter du rétablissement d’une souveraineté palestinienne dans l’enclave, et exclut toute entente entre le Fatah, au pouvoir en Cisjordanie, et le parti islamiste, qui permettrait à celui-ci de perdurer dans l’ombre. L’armée promet, au contraire, de pourchasser ses chefs et ses cellules armées durant des années.

De hauts responsables sécuritaires, apprend-on par des fuites, accusent régulièrement Benyamin Nétanyahou de limiter la marge de négociation des émissaires chargés de parlementer avec le Hamas au Caire et à Doha, en excluant de leur mandat la question de l’après-guerre, tout en leur imposant de multiples délais entre chaque voyage. Ces mêmes sources craignent qu’Israël ne condamne les otages à une mort quasi inévitable, en poursuivant sa politique d’élimination des principaux leaders du Hamas, dans l’espoir d’obtenir une « image de victoire », alors que ces dirigeants sont les seuls à même de conclure un accord avec l’Etat hébreu.

Résultat : la cause des otages est reléguée au second plan. Hadas Kalderon, mère de deux otages libérés, dont le père est toujours retenu à Gaza, s’en inquiète : « La Knesset est en vacances parlementaires. Comment ses membres osent-ils prendre une pause ? Les gens se préparent pour la Pâque juive. Comment peut-on la célébrer, alors que les nôtres manquent de tout, à Gaza ? Le gouvernement annonce un accord, puis finalement non… Il se croit au marché, alors qu’il s’agit d’êtres humains ! » Pour elle, le pouvoir actuel rompt le pacte tacite qui veut que l’Etat n’abandonne jamais ses citoyens faits prisonniers, qu’ils soient morts ou vivants.

Le mouvement de soutien aux otages, peu enclin à briser l’unité nationale en pleine guerre, a été longtemps handicapé par sa réticence à se politiser. Il subit, par ailleurs, des attaques de la coalition de droite et d’extrême droite au pouvoir. Le collectif israélien Fake Reporter, qui publie des enquêtes sur la désinformation sur Internet, a révélé que des soutiens de Benyamin Nétanyahou et des membres du Likoud orchestrent une campagne en ligne destinée à discréditer les familles d’otages trop engagées à leur goût. Sur les réseaux sociaux, celles-ci sont présentées soit comme hypocrites, au motif que leurs doléances cacheraient une volonté de renverser le gouvernement, soit comme illégitimes, car sapant l’autorité de l’armée en temps de guerre.

Un sentiment de colère croissant

Pourtant, sous les coups, ce mouvement commence à entrer dans l’arène politique. Fin mars, plusieurs familles d’otages se sont jointes à Tel-Aviv et à Jérusalem aux dizaines de milliers de manifestants, qui demandaient la dissolution de la Knesset et de nouvelles élections. Il s’agissait du premier mouvement de protestation d’envergure depuis le début de la guerre.

Mais ces contestataires sont loin de réunir une masse critique. Ils hésitent toujours entre la solidarité avec les otages et l’ambition, vaguement définie, que le Hamas ne puisse plus poser la moindre menace à l’avenir. Le principal élu de l’opposition au sein du gouvernement d’union, le général Benny Gantz, leur a encore demandé de la patience, en proposant des élections en septembre – une échéance que le premier ministre a vivement rejetée.

Le désarroi des proches des otages et leur sentiment de colère croissant vis-à-vis de l’exécutif israélien n’ont pas échappé au Hamas. Mardi 23 avril, Abou Obeida, le porte-parole de sa branche armée, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, a publié un communiqué affirmant que le sort des « prisonniers ennemis » pourrait être similaire à celui de Ron Arad, cet officier de l’armée de l’air israélienne, porté disparu depuis une mission au-dessus du Liban, en 1986. « C’est le scénario le plus susceptible de se répéter », a déclaré le représentant du Hamas, au visage masqué d’un keffieh. Officier navigateur, Arad avait été capturé par la milice libanaise Amal, après avoir dû s’éjecter de son appareil à la suite d’un incident mécanique. S’il n’a jamais été déclaré officiellement mort, la thèse dominante suggère qu’il a été exécuté lors de sa captivité.

Par Samuel Forey (Jérusalem, correspondance) et Louis Imbert (Jérusalem, correspondant)

Source lemonde

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