Tal Bruttmann : Pourquoi la Maison des enfants d’Izieu est-elle devenue un piège?

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Le 4 avril prochain, France Bleu Isère commémore les 80 ans de la rafle des enfants d’Izieu, lors d’une matinale spéciale. L’occasion de raconter l’histoire de cette maison où 105 enfants trouvèrent refuge entre avril 1943 et avril 1944, avant la tragédie, ordonnée par Klaus Barbie.

Nous avons demandé à Tal Bruttmann, historien grenoblois, spécialiste de la Shoah et de l’antisémitisme, de nous parler de la Maison d’Izieu, devenue en avril 1994 un lieu de mémoire. Sabine Zlatin et son mari Miron y ont accueilli des enfants juifs, dont les parents avaient disparu dans les camps de la mort. Entre avril 1943 et avril 1944, 105 enfants y ont séjourné, parfois quelques jours, parfois plusieurs semaines. Et ils ont été sauvés, jusqu’à ce jour fatal du 6 avril 1944, premier jour des vacances de Pâques. Alors que les enfants prennent leur petit-déjeuner, les Allemands arrivent et embarquent 44 enfants et 7 éducateurs, dont Miron, l’époux de Sabine, qui, elle, était absente ce matin-là. Une seule adulte, Léa, reviendra des camps de la mort.

France Bleu Isère : Dans quel contexte historique est créée la Maison d’Izieu ?

Tal Bruttmann : En fait, la Maison d’Izieu s’inscrit dans une séquence qui date du début de l’année 1943. On est après les grandes rafles qui ont été organisées par Vichy pour le compte des Allemands. Et Sabine Zlatin va essayer de trouver un lieu de repli pour la maison qu’elle a installée dans la région de Montpellier. Avec l’aide du sous-préfet de l’Ain, elle trouve la maison d’Izieu, où elle va déplacer les enfants, tout simplement parce qu’on est dans la zone d’occupation italienne et que les Italiens refusent de participer aux arrestations de Juifs. Donc, dans un premier temps, la zone d’occupation italienne va sembler sûre pour énormément de Juifs durant cette période-là mais ensuite, c’est un piège qui va se refermer sur eux, quand les Allemands vont rentrer dans cette zone à partir de septembre 1943.

France Bleu Isère : La maison d’Izieu a donc une existence officielle et est connue des autorités ?

Tal Bruttmann : Oui, tout à fait ! La Maison d’Izieu a une existence officielle. La preuve, l’institutrice qui va faire la classe aux enfants est nommée par l’Éducation nationale ! Il y a notamment le contrôle de la préfecture, mais aussi d’autres ministères et commissariat généraux comme le Commissariat général aux questions juives. Et les enfants aussi sont connus. Il faut vraiment comprendre qu’on est face à quelque chose de très particulier. Une grande partie des structures d’assistance mises en place par la population juive pour venir en aide aux adultes ou aux enfants sont officielles, tout simplement parce qu’il est extrêmement dur d’échapper au contrôle exercé par l’État français.

France Bleu Isère : En fait, cela a été facile pour Klaus Barbie de cibler la Maison, le 6 avril 1944 ?

Tal Bruttmann : Oui, quand Barbie accroit la pression et durcit la traque des Juifs dans la région de Lyon, la Maison est un objectif tout désigné. Ce qu’il faut comprendre, c’est que la Maison est un point de passage pour énormément d’enfants. La rafle de la Maison d’Izieu a fait 44 victimes parmi les enfants et sept parmi le personnel d’encadrement. Mais la Maison en a hébergé 105, en un an d’existence. C’est une plaque tournante qui permet soit de placer des enfants ailleurs, soit d’essayer de leur faire franchir clandestinement la frontière avec la Suisse. Mais il faut réussir à trouver d’autres endroits où héberger ce groupe qui est important. Et c’est pour ça que Sabine Latin est partie essayer de localiser des endroits susceptibles d’accueillir plusieurs groupes. Mais Barbie a pris tout le monde de vitesse.

France Bleu Isère : Que sont devenus les enfants ?

Tal Bruttmann :  Les enfants et les adultes sont ramenés de la Maison d’Izieu à Montluc, à Lyon, pas très loin de la gare de la Part-Dieu. La prison de Montluc a constitué le principal centre de rassemblement pour les personnes arrêtées, dont une très grande partie venait du sud de la France. Plus de 10.000 personnes ont transité par Montluc. Des résistants ou des Juifs. Il y a énormément de personnalités qui y sont passées. On pourrait citer Jean Moulin ou Marcel Dassault. Et donc les enfants de la Maison d’Izieu vont être détenus là deux jours et au bout de deux jours et d’une nuit passée sur place, ils vont être transférés de Lyon au camp de Drancy et ensuite les enfants vont être déportés vers Auschwitz et ils seront gazés à leur arrivée.

France Bleu Isère : La rafle d’Izieu a été revendiquée dans un télégramme par Barbie. Elle a été au cœur de son procès à Lyon, en 1987.

Tal Bruttmann : Le rôle du télégramme a permis d’incriminer définitivement Klaus Barbie, car il niait être à l’origine de la rafle qui faisait partie des chefs d’inculpation à son procès. Et Serge Klarsfeld, qui connaissait l’existence du document qu’on croyait perdu, a réussi retrouver l’original et il a pu le produire au procès.

France Bleu Isère : Aujourd’hui, la Maison d’Izieu est un lieu de mémoire.

Tal Bruttmann: La Maison d’Izieu est directement liée à la tenue du procès contre Klaus Barbie et ça s’inscrit dans une séquence historique qui est très importante à la fin des années 80, au début des années 90. François Mitterrand, alors Président de la République, va se trouver face à la pression de l’opinion publique qui exige tout un ensemble de mesures et notamment la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le sort des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce que François Mitterrand va refuser et que finalement Jacques Chirac va reconnaître lors de son discours du Vel d’Hiv en 1995. Mais justement, pour essayer de faire retomber cette pression en 1992, François Mitterrand va être à l’origine d’une loi qui prévoit que trois lieux vont être désignés comme lieux de mémoire nationaux. Le site du camp de Gurs, dans le sud-ouest de la France, le site du Vel d’Hiv à Paris, où se sont retrouvés les juifs raflés en juillet 1942 et la Maison d’Izieu que Mitterrand inaugura en avril 1994.

De Veronique Pueyo