Solaire et drôle, l’éternelle bonne copine du cinéma français assume désormais de se tourner aussi vers des rôles dramatiques pour embrasser sa part sombre.
Est-ce un torrent ? Une vague qui vous submerge, qu’importe vos tentatives de résistance ? Il faut la voir déployer mimes, grimaces et autres parodies musicales dans la loufoque compétition LOL : qui rit, sort ! pour saisir tout le génie comique, voire clownesque, de Géraldine Nakache. Il faut observer les faciès déformés de ses adversaires luttant pour réprimer tout fou rire – quelque part entre le mérou au bord de l’implosion et le suricate dérangé – pour en saisir la puissance. Même installée dans le salon feutré d’un palace place des Vosges, à Paris, c’est plus fort qu’elle : il faut qu’elle blague. A propos d’elle-même («plus toute fraîche, sans être méga flétrie non plus») ; à propos de l’homme en perruque Louis XVI sur une peinture ornant les lieux («lui, je sais pas qui c’est, mais il a l’air d’avoir fait deux, trois trucs»). Lumineuse, rafraîchissante.
Ces jours-ci dans Paternel, elle campe une mère à bout, prête à tout envoyer bouler, après avoir élevé seule son fils, conçu onze ans plus tôt avec un homme d’Eglise. Lu en plein confinement, en mars 2020, période «sous cloche» vécue difficilement, le scénario lui a aussitôt parlé, à une époque où la charge mentale et le burn-out, «qu’elle a la chance de ne pas connaître», en faisaient suffoquer plus d’une. Nouvelle corde à l’arc dramatique qu’elle a récemment entrepris de développer, après un rôle dans un long métrage sur le déni de grossesse (Toi non plus, tu n’as rien vu, 2022), et le thriller angoissant Vacances, la même année. «Anxieuse de tempérament», elle liste des peurs (de manquer, de voir disparaître ceux qu’elle aime) qu’elle semble exorciser en «remplissant tout de joie, de vie, pour faire face». Comme si ces alter ego fictionnels faisaient office d’épouvantails pour s’empêcher de passer du mauvais côté. Une manière «d’embrasser [s]a partie sombre», de «vivre avec». «Donner ça dans la fiction me tranquillise», constate-t-elle avec sagesse.
Les portes blindées
Longtemps, on l’a dépeinte en girl next door. Elle s’en réjouit, philosophe : «Si on y pense, ça sous-entend quand même d’avoir les clés d’une porte.» Puis : «Ma mère vendait des portes blindées. Tu vois, on n’est pas bien loin.» Son père, lui, était DRH dans l’informatique. Sise à Puteaux, la famille, juive séfarade, vit au premier étage d’un HLM. La benjamine dit avoir «imaginé la lumière», et tout fait pour l’allumer dans les yeux de ses parents. «Enfant, elle était la joie incarnée, avec une fibre artistique, un attrait marqué pour le spectacle, et déjà quelque chose de très fort autour du jeu», décrit son aîné de sept ans, le réalisateur Olivier Nakache, qui la dépeint dansant et chantant dans le salon familial, «en guêtres et justaucorps fushia», sur Lio, Céline Dion ou Mylène Farmer. Elle ne précise pas ce qu’elle a fait de ses tenues bigarrées de l’époque, mais en a conservé un goût prononcé pour le karaoké. Dans les pas de son frère, qui a «essuyé les plâtres» en se lançant le premier, Géraldine Nakache passe un bac cinéma, qu’elle obtient avec mention bien. Sans pour autant s’autoriser vraiment à rêver de ce milieu, dont les portes lui semblent verrouillées. Surtout, elle rêve de la capitale, et fera de ce fantasme le sujet de son premier film, Tout ce qui brille, 1,4 million d’entrées au compteur. Malgré ce carton, il faudra du temps et des réalisatrices féminines pour «déblayer le terrain», et voir autre chose en elle que cette amie prodigieuse et rigolote. Elle, qui a souvent été dirigée par des femmes (Lisa Azuelos, Anne Depetrini, Audrey Dana…), se félicite que le plafond de verre commence à se fissurer dans le cinéma français, et salue la percée du mouvement #MeToo dans le milieu : «J’espère que cette lumière pourra aider les femmes du monde entier.»
La spiritualité
Travaillant son dernier rôle, elle dit avoir été fascinée par «la sagesse des hommes de foi, et la manière dont le dogme et la vraie vie peuvent parfois se heurter». «Rentrer dans le quotidien d’un homme d’Eglise m’a bouleversée», rembobine-t-elle. Sa foi à elle, «métronome, qui donne le pas à [s]a vie», elle aimait à la garder privée, intime. Après le 7 Octobre, il n’en était plus question : appelée à réagir, à s’exprimer, elle dit avoir eu le sentiment d’être invitée sur les plateaux «parce que juive», plutôt que pour parler de son métier, ce qu’elle vécut comme une forme d’intrusion, dans un moment de «sidération et de deuil» qu’elle aurait voulu vivre avec les siens, directement affectés.
Ses goûts
Elle enchaîne les interviews dans cet hôtel de son quartier, plutôt que de recevoir chez elle. En partie parce qu’il se prête davantage aux séances photo, mais aussi parce que pudique, elle tient à préserver son «cocon», où elle vit avec son mari et leur fille de 7 ans. On sait juste que l’appartement est égayé d’un tirage photo de Richard Avedon, qu’elle adore, ainsi que d’un paon empaillé, qu’elle s’est offert à son anniversaire. Plus jeune, quand elle accueillait des copines domiciliées dans la capitale, elle planquait les Télé 7 jours trônant dans le salon familial. Aujourd’hui encore, il lui arrive parfois d’être tentée de travestir ce qui pourrait faire trop popu : «J’ai reçu une journaliste du Monde pour un podcast. J’avais acheté des figues, mises sur la table basse. Il me restait des Schoko-Bons, que j’ai hésité à enlever. Des Schoko-Bons pour une fille du Monde, c’est la honte, non ?» En tout cas, à Libé, on n’aurait rien eu contre. Il y a onze ans, dans son premier portrait, elle confiait avoir voté Sarkozy au premier tour. Elle ne s’en souvenait pas. Ça la fait marrer. Toujours inscrite sur les listes électorales à Puteaux, elle franchit désormais le périph dans l’autre sens pour le plaisir de voter dans son ancienne école. Se désole de devoir faire barrage, déplore que la candidature de Christiane Taubira, une «sacrée bonne femme», ait été un «coup d’épée dans l’eau». On lui demande si elle aimerait voir une personnalité se lancer. Elle tranche, catégorique : «Je ne souhaite à personne ce panier de crabes !»
La télé
Quand elle était petite, le téléviseur était une «fenêtre sur le monde». A la maison, le rituel du journal de 20 heures était presque sacré, et la gosse prenait un malin plaisir à le cannibaliser avec ses frasques artistiques. Faute de décodeur, le frère aîné enregistrait frénétiquement chez un voisin les programmes phare du Canal + de l’époque, notamment les Nuls, et «dépouillait les vidéoclubs», partageant ses butins culturels (la Haine de Kassovitz, la Crise de Coline Serreau, tous les films du Splendid) avec sa cadette. Géraldine Nakache a fait ses débuts à la télé, chargée du casting pour Groland, puis sur la chaîne Comédie ! Sentiment de consécration, de «rentrer dans la télé». Quel regard porte-t-elle sur Canal +, ère Bolloré ? «Je ne peux pas les désaimer. Ils continuent à fédérer des talents et à être bons dans la création originale.» Tandis qu’elle pose pour la séance photo, apparaît un rayon de soleil bienvenu sur son visage. Elle rit : «C’est comme ça partout où je me déplace.»
16 février 1980 Naissance à Suresnes (Hauts-de-Seine).
2010 Tout ce qui brille (réalisatrice et actrice).
Mars 2023 LOL : qui rit, sort ! (saison 3, Amazon Prime Video).
27 mars 2024 Paternel, réalisé par Ronan Tronchot.
30 avril Fiasco (Netflix).
par Virginie Ballet