Racines d’Esther, par Eliette Abécassis

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Toute l’histoire d’Esther a commencé en Perse, au Ve siècle avant l’ère courante, lorsque le roi Assuérus répudie sa femme Vasthi. Pourim, par Eliette Abécassis.

Il cherche une femme dans tout le royaume, choisissant parmi les plus belles filles, qui se préparent pendant un an pour séduire le roi, et c’est Esther qui est élue parmi toutes, grâce à sa beauté. Or la jeune femme a un oncle, Mardochée, qui la conseille. Ce dernier a l’intuition que sa place et son destin de reine pourraient être utiles à son peuple, c’est la raison pour laquelle il lui conseille de ne pas révéler qu’elle est juive. Or Aman, ministre et conseiller du roi, qui déteste les juifs, parvient à convaincre Assuérus de les tuer, scelle leur sort d’un coup de dés, et choisit la date fatidique où l’extermination aura lieu. Ainsi démarre l’histoire dramatique d’Esther, telle qu’elle est racontée dans la Bible et dans la très belle pièce du même nom de Jean Racine :

On doit de tous les Juifs exterminer la race.
Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés ;
Les glaives, les couteaux, sont déjà préparés ;
Toute la nation à la fois est proscrite. (…)

Ses ordres sont donnés, et dans tous ses États,
Le jour fatal est pris pour tant d’assassinats.
Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage ?
Le fer ne connaîtra ni le sexe ni l’âge :
Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours,
Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.

Et c’est à cette occasion qu’Esther accomplit un acte héroïque, au péril de sa vie. En effet, personne n’a le droit de se montrer au roi sans être mandé par lui, et quiconque brave cet interdit est passible de la peine de mort.

Or Esther se présente devant Assuérus, qui lui tend son sceptre, lui assurant par là qu’elle aura la vie sauve. Elle l’invite à un festin en compagnie d’Aman, au cours duquel elle révèle au roi ses funestes desseins : cet homme veut sa mort ! Elle avoue qu’elle est juive, et qu’elle est menacée d’être exterminée comme l’a décrété le conseiller du roi. Par amour pour Esther, celui-ci prend son parti et, au lieu de tuer les juifs du royaume, il fait pendre Aman, sa femme et ses fils.

Cette histoire, qui se déroule en exil, après que les juifs ont été déportés, est l’histoire fondatrice du judaïsme face à l’antisémitisme, dont les arguments sont les mêmes, invariablement : les juifs étant les ennemis du genre humain, il faut les exterminer. Le Livre d’Esther est le seul livre de la Bible où n’apparaît pas le nom de Dieu : Dieu lui-même s’est caché, mis en retrait. Et c’est pourquoi on dit que le judaïsme commence par ce livre : une affirmation de soi, fondée sur la relation à la transcendance, sous forme d’absence, à travers l’histoire d’un peuple. C’est la raison pour laquelle Esther incarne la foi juive, entre force et fragilité, intégration et identité. Elle ira jusqu’à mettre sa vie en péril par fidélité à son peuple et à sa culture. Elle sacrifie son destin individuel à la survie de son peuple. Avec douceur et détermination, elle agit en préparant un festin. Son charme opère. Délicate mais forte, une main de fer dans un gant de velours, reine et souveraine, elle parvient à sauver son peuple de l’extermination.

Son histoire est aussi celle d’une quête d’identité. Devenue reine, elle n’a jamais oublié son peuple ; cependant, révéler qui elle est au moment même où l’on pourchasse les juifs peut lui coûter la vie. Il faut que son oncle Mardochée lui parle et fasse pression sur elle, pour qu’elle accepte de défendre son peuple. Dans une tirade célèbre, il lui dit que ce n’est pas en restant cachée qu’elle se sauvera. Esther – dont nous fêtons l’histoire cette semaine avec la fête de Pourim – est-elle le reflet féminin de l’artiste à la cour du Roi-Soleil, bâillonné par le pouvoir absolu, mais révélé à travers ses alexandrins ? Esther est aussi l’ancêtre de tous les juifs, entre tradition et intégration, entre la vie et la mort, entre la fierté d’appartenir à ce peuple et le retrait, l’assimilation et le silence, entre sa fidélité et d’autres fidélités, la prudence de se taire, et la volonté d’être le héraut d’un peuple toujours calomnié, toujours menacé, toujours fragilisé. Pris à partie, pris entre deux feux, il voudrait juste se faire oublier mais jamais ne le peut :

Quoi ! lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie !
Dieu parle, et d’un mortel vous craignez le courroux !
Que dis-je ? Votre vie, Esther, est-elle à vous ?
N’est-elle pas au sang dont vous êtes issue ?
N’est-elle pas à Dieu dont vous l’avez reçue ?
Et qui sait, lorsqu’au trône il conduisit vos pas,
Si pour sauver son peuple, il ne vous gardait pas ?

Eliette Abécassis

Source la-croix