Dans un rapport publié lundi, basé sur des entretiens avec des survivants des attaques et des responsables israéliens, ainsi que sur de nombreuses photos et vidéos, l’ONU confirme le fait que des «violences sexuelles» ont bel et bien été commises lors de l’offensive terroriste du Hamas. Des otages en auraient également été victimes. Un travail qui survient dans un contexte tendu entre l’Etat hébreu et l’ONU.
«Il existe de bonnes raisons de croire que des violences sexuelles liées au conflit se sont produites en plusieurs endroits de la périphérie de Gaza, y compris sous la forme de viols et de viols en réunion, au cours des attaques du 7 octobre 2023.» C’est ce qu’ont conclu les experts d’une mission dirigée par Pramila Patten, la représentante spéciale de l’Organisation des nations unies (ONU) sur les violences sexuelles lors des conflits, au terme d’une visite de plus de deux semaines en Israël et en Cisjordanie, début février. Leur rapport, publié ce lundi 4 mars, marque une étape importante dans la reconnaissance de crimes dont le caractère systémique, objet de toutes les controverses depuis près de cinq mois, n’a pas encore été correctement mesuré. Politiquement explosif, le dossier a envenimé les relations entre l’Etat hébreu et l’ONU, le premier reprochant à la deuxième son «silence» sur le sujet.
«De bonnes raisons de croire que de telles violences sont encore en cours»
Concernant les quelque 250 personnes capturées par le Hamas le 7 octobre (parmi elles, 130 seraient toujours dans la bande de Gaza, dont 31 seraient décédées, selon les autorités israéliennes), les auteurs du rapport estiment, sur la base d’échanges avec des otages libérés, disposer «d’informations claires et convaincantes selon lesquelles certains [otages] ont été soumis à diverses formes de violence sexuelle liée au conflit, y compris le viol et la torture à caractère sexuel». Et le document de préciser qu’il y a «de bonnes raisons de croire que de telles violences sont encore en cours». Autant d’accusations que le Hamas a rejetées en bloc, mardi, dénonçant des informations «infondées» qui visent à «diaboliser la résistance palestinienne», mais qui donnent du crédit à un autre rapport, publié le 21 février par l’Association des centres d’aide aux victimes de viol en Israël. Cette organisation, qui chapeaute l’ensemble des centres de luttes contre les violences sexistes et sexuelles dans le pays, avait décrit dans un document de 40 pages des crimes commis «systématiquement et délibérément contre les civils israéliens».
Les Nations Unies, pour leur part, ne se prononcent pas pour le moment sur l’ampleur des violences sexuelles commises le 7 octobre – ni même sur leur attribution directe aux membres du Hamas. Dans le cadre de leur mission, les experts onusiens n’ont recueilli aucun témoignage de victime directe. Un écueil auquel se heurtent la plupart des organisations qui ont tenté de documenter ce qui s’est passé ce jour-là, ce qui peut s’expliquer en partie par l’état de traumatisme des victimes mais surtout le fait que la plupart sont mortes. Comme les enquêteurs de la police israélienne, les experts ont par ailleurs été confrontés à la quantité limitée de preuves matérielles. Un exemple : dans nombre de cas, les analyses post mortem n’ont pas pu être réalisées car les corps ont été enterrés rapidement, comme le veut la tradition juive. Les Nations unies dénoncent aussi le «manque de coopération» des autorités israéliennes, qui rechignent à travailler avec la commission de l’ONU chargée d’enquêter sur les crimes de guerre des deux belligérants, dont les prérogatives sont plus importantes.
«Il faudra peut-être des mois, voire des années» pour connaître la vérité avec exactitude
«L’ampleur globale, la portée et l’attribution spécifique de ces violences sexuelles nécessiteraient une enquête approfondie de la part des organes compétents. […] Il faudra peut-être des mois, voire des années, pour connaître la véritable prévalence des violences sexuelles commises lors des attaques du 7 octobre et ensuite, et il se peut qu’on ne la connaisse jamais complètement», notent ainsi les auteurs. En attendant, la publication du rapport a déclenché une nouvelle passe d’armes entre l’ONU et le gouvernement israélien. D’abord parce que le texte mentionne aussi «certaines formes de violence sexuelle à l’encontre d’hommes et de femmes palestiniens» dans les lieux de détention, notamment des «fouilles corporelles invasives», des «menaces de viol» et de la «nudité forcée». «Une manœuvre palestinienne dérisoire et délibérée visant à créer une équivalence intolérable avec les crimes horribles qui ont été commis», dénonce le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, Lior Haiat.
Ensuite parce que le gouvernement israélien accuse le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, d’avoir tenté de «passer sous silence» le rapport, car il n’a pas convoqué le Conseil de sécurité pour en discuter les conclusions. En conséquence, Israël a annoncé lundi le rappel pour «consultations» de son ambassadeur à New York, Gilad Erdan. Peu soucieux de calmer le jeu, l’intéressé a décrit l’ONU comme une «organisation terroriste à Gaza». Référence au fait que 12 membres de l’UNRWA, l’agence onusienne d’aide aux réfugiés palestiniens, sont accusés par Israël d’avoir participé aux attaques du 7 octobre. De son côté, l’UNRWA a communiqué lundi sur des actes de «torture» qui auraient été commis par les forces israéliennes contre ses employés dans la bande de Gaza dans le but d’obtenir des aveux. Plus de 30 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza depuis cinq mois, selon le ministère de la Santé dans l’enclave, contrôlé par le Hamas.
par Samuel Ravier-Regnat Source Liberation
Interview de Mirit Ben-Mayor sur attaque du 7 octobre en Israël
L’enquête sur les massacres du Hamas du 7 octobre en Israël, qui ont tué au moins 1 160 personnes, pour la plupart des civils, est toujours en cours. Au milieu de l’ampleur de la tâche qui consiste à analyser en détail tout ce qu’il s’est passé, un volet particulier, celui des violences sexuelles, occupe toute une panoplie d’enquêteurs. «Il s’agit de la plus large enquête jamais effectuée en Israël sur le sujet», explique à Libération Mirit Ben-Mayor, aujourd’hui porte-parole de la police mais qui a, pendant quinze ans, été procureure au sein de la même force. «Il y a la preuve factuelle, la vérité factuelle et la vérité légale. Et parfois, tout ne peut pas être traduit en preuve légale», dit-elle. C’est Lahav 433 (le FBI israélien, organe parapluie de lutte contre la criminalité) qui chapeaute l’enquête globale, avec l’aide de différentes unités d’enquêteurs qui correspondent aux différents sites géographiques où ont eu lieu les massacres. Et c’est l’unité 105 qui centralise tous les éléments concernant les violences sexuelles. Avant le 7 octobre, cette unité s’occupait de la prévention des abus sexuels des mineurs sur internet. D’où la décision de l’affecter au rassemblement des preuves de violences sexuelles.
Que pouvez-vous nous dire du travail de l’unité 105 ?
Dès qu’un enquêteur se retrouve face à un élément de preuve de violence sexuelle, il le transmet à l’unité 105. Techniquement, c’est le seul moyen de procéder, parce que vous devez récupérer, pour chaque site de l’attaque du 7 octobre, chaque détail, chaque élément, chaque visuel que nous allons ensuite étudier. Tous les visuels – images de vidéos de surveillance, de téléphones portables, des go pro récupérées sur les terroristes capturés ou abattus ou encore dont les vidéos du massacre ont été diffusées sur les réseaux sociaux – les témoignages des survivants, victimes, de ceux qui ont assisté au massacre, ceux qui sont arrivés les premiers sur place, équipes de secours, militaires, policiers ou familles, tout est répertorié.
Non. Il n’y a absolument aucun doute que des agressions et des atrocités à caractère sexuel ont été commises le 7 octobre, mais ce qui est le plus difficile, c’est de rassembler les preuves. Nous recueillons systématiquement les dépositions de tous, des terroristes qui ont pu être interpellés, ceux qui ont été arrêtés ensuite à Gaza, les témoignages des victimes, des témoins de certaines scènes, ou des secours qui ont été les premiers sur place, mais aussi des survivants, de leurs familles…
Quand vous évoquez des atrocités sexuelles, vous parlez de quoi ?
On parle d’un éventail extrêmement large d’agressions. On parle de viols, d’organes sexuels, féminins et masculins, coupés, on parle de tirs dans des organes génitaux, d’attouchements multiples. On parle de victimes femmes, mais d’hommes aussi. On parle d’humiliations, d’une volonté claire d’humiliation. Comme cette famille retrouvée tuée dans une chambre «sécurisée», et, dans une autre pièce, le père de famille dont les organes génitaux ont été coupés. Nous avons vu des femmes retrouvées nues sur la route ou, dans une maison, une femme nue, menottée et abattue. Nous avons recueilli le témoignage d’une femme qui nous a raconté avoir été témoin d’un viol pendant le festival. Quelques jours plus tard, elle est retournée sur place avec les enquêteurs. Il faut se figurer que ce festival a eu lieu sur une zone très étendue, de plusieurs hectares. Et lorsqu’elle est revenue, elle a été capable d’indiquer l’endroit exact où elle se cachait, d’où elle a vu le viol être commis. Et les enquêteurs ont retrouvé sur place des vêtements de la femme dont elle parlait.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette enquête ?
Il y en a plusieurs. Il faut se souvenir du contexte de ce jour-là. Ce sont plus de 1 200 personnes qui ont été massacrées, dont plus de 300 au festival. On parle de dizaines de corps partout, des gens qu’on essaye de sauver dans de multiples endroits et de combats qui ont duré 48 heures. On parle de gens qui fuient dans tous les sens pour essayer de sauver leurs vies, et de gens qui tombent, tués sur place. C’était un chaos invraisemblable.
Autre difficulté : nous estimons que la majorité des victimes de violences sexuelles n’ont pas survécu. Et la première préoccupation lorsque les corps sont arrivés était leur identification. Certains étaient brûlés, pour certains, vous ne pouviez même pas reconnaître les visages. Certains des médecins légistes qui travaillaient sur les tissus se sont retrouvés face à des morceaux de corps, dont des organes génitaux, comme un sein ou un pénis. En raison du nombre de corps et de leur état, il a fallu plusieurs jours avant de les récupérer là où ils avaient été tués et de les ramener dans des sacs mortuaires à la morgue.
Ce qui signifie que c’était encore plus difficile de les identifier ?
Oui absolument. Par ailleurs, dans le cadre de l’enquête sur les crimes sexuels, on n’était pas dans un cadre «habituel» des enquêtes pour viols par exemple, où il existe un protocole très précis de recueil d’échantillons, de tissus, parfois minuscules, pour être analysés. Le 7 octobre et les jours qui ont suivi, on n’était pas dans ce contexte, mais dans celui de corps innombrables, de panique et de tentative d’identifier au plus vite ces morts.
Face au choc, à l’ampleur de l’attaque, pour beaucoup de familles, le plus important était de récupérer le corps et de l’enterrer, selon la tradition juive, dignement et au plus vite. Donc, au départ, ce qui s’est passé, c’est que dès que nous avions identifié une victime, nous rendions le corps à la famille qui l’inhumait au plus vite.
Vous parliez de l’étude des visuels comme d’un élément très important de votre enquête.
Nous avons récupéré beaucoup d’éléments vidéos, au moins 200 000, de caméras de surveillance, de portables de victimes, de certains des terroristes, tirés des caméras qu’ils portaient sur eux-mêmes et avec lesquelles ils ont filmé leurs exactions et les ont diffusées parfois en direct, puis sur X (ex-Twitter) et sur tous les réseaux sociaux, sur internet. Sur ces vidéos, nous avons aussi pu voir que certains des disparus se trouvaient à Gaza, où ils avaient été emmenés en otages. Mais pour d’autres, nous n’avions rien, absolument aucun élément.
Et donc aucun moyen de rassurer les familles ?
Non. Nous avions ces familles désespérées qui nous suppliaient de leur donner des informations dont nous ne disposions pas. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’était de voir ces milliers de personnes, les familles, les amis pétris d’inquiétude et attendant de savoir ce qui était arrivé à leurs proches.
A quel moment avez-vous compris que des violences sexuelles avaient été commises ?
Nous avons assez vite compris parce que nous avons très vite commencé à recevoir des informations des officiers qui retrouvaient les corps des victimes et, pour certains, le doute n’était pas permis. Il y avait, notamment sur le lieu du festival, des femmes retrouvées à moitié dénudées, le bas de leurs corps sans vêtements, ou avec des vêtements arrachés, quand le haut était toujours vêtu.
Avez-vous la possibilité de comptabiliser ces violences sexuelles ?
Non, je peux juste vous dire qu’elles ont été multiples.
Avez-vous demandé ou reçu l’assistance d’instances ou de pays où ces violences sexuelles au cours d’un conflit ont été très bien documentées ? Comme dans l’ex-Yougoslavie ?
Pas vraiment. Nous avons la chance de travailler avec une équipe d’enquêteurs très expérimentés, qui sont focalisés sur la réunion du maximum de preuves qui pourraient permettre de construire un dossier d’accusation recevable devant la justice. C’est juste que pour le moment nous en sommes encore là, à rassembler tous les éléments de preuves possibles, directes ou indirectes. L’ensemble de cette enquête colossale est encadré par les meilleurs procureurs d’Israël.
La question des violences sexuelles commises le 7 octobre a mis du temps à être évoquée publiquement, pourquoi ?
Nous avons été extrêmement choqués par le silence du monde, notamment des organisations de défense des femmes. C’est pour cela que nous avons essayé de parler, à l’ONU, à toutes les organisations possibles, ici en Israël et dans le reste du monde, pour nous assurer que cet aspect-là des horreurs du 7 octobre ne soit pas passé sous silence.
Vous avez dit que beaucoup de victimes de violences sexuelles sont mortes. Mais, depuis le 7 octobre, avez-vous reçu des témoignages de victimes qui ont survécu ?
Je peux juste dire que nous disposons de preuves directes de crimes sexuels. Mais que je ne peux pas détailler, en raison de la sensibilité du sujet et pour protéger les témoins.
Et qu’en est-il des otages qui ont été libérés ?
Il reste 134 otages à Gaza, donc tout ce que je peux vous dire, et je vais rester très prudente, c’est que ces victimes libérées ont évoqué des violences sexuelles. Et que nous sommes très inquiets pour les otages qui restent. C’est une situation qui dure, et c’est insupportable.
Combien de temps pensez-vous que l’enquête durera, et êtes-vous confiante qu’il y aura un jour un procès et que les responsables seront jugés ?
Je dirais que nous allons enquêter sur le sujet encore plusieurs mois. Et oui, je reste confiante sur une issue judiciaire de cette enquête. Je pense que nos enquêteurs feront tout leur possible pour que les terroristes soient jugés. Pour rendre justice aux victimes, à celles qui ont survécu, à celles qui sont mortes et aux familles qui ont tant souffert.