Le Club Med, les tatouages, l’humour, mais aussi le cancer de sa sœur et la tristesse du monde. L’humoriste Philippe Caverivière se confie au Point.
Ce n’est pas toujours marrant d’être un comique. Chaque jour, pendant la chronique de Philippe Caverivière, le plateau de RTL Matin se gondole de rire et, chaque samedi, dans son émission Quelle époque !, Léa Salamé, accompagnée de Christophe Dechavanne, pouffe à ses blagues, mais l’humoriste est d’abord un besogneux un peu stressé.
Le voici, juste un peu tendu mais toujours affable, dans un café proche de RTL, tout près de la mairie de Neuilly-sur-Seine. L’endroit dispose d’une vaste véranda. Philippe Caverivière la traverse en saluant tout le monde ou presque, jusqu’à la serveuse qui se pend à son cou et l’abreuve gentiment de compliments. Il apprécie, blague, cajole. Il s’assied, commande un Perrier, pose ses journaux (dont Le Point…), ôte ses lunettes en écailles fumées et, presque aussitôt, se relève. Il vient d’apercevoir Nicolas Bedos avec femme et poupon en poussette.
Philippe Caverivière papote cinq minutes avec l’acteur-réalisateur. Il semble connaître tout le monde dans ce coin de Neuilly. Ça l’amuse. Il raconte aussi qu’il y a quelques jours, dans le TGV, une dame chenue s’est approchée de lui « à deux kilomètres-heure » et lui a dit à peu près : « J’aime bien ce que vous faites. »
Philippe Caverivière, le « couillon gentil »
On imagine le choc visuel. La petite dame et le « couillon gentil », comme il se définit (plus précisément, le « G.O. couillon mais gentil quand même »). Philippe Caverivière, 52 ans, n’a pas vraiment l’allure du comique troupier. Son style détonne. L’œil bleu et le sourire doux, réservé et courtois, il porte à presque tous les doigts d’énormes bagues en argent et aux poignets une foule de bracelets en tout genre.
Sous les manches du gros col roulé apparaît la fin nette des tatouages, dont ses bras sont recouverts. Il raconte qu’il est fan de cet art à la sauce japonaise, qu’il aime les tatouages à la mode des yakuzas, arrêtant le dessin aux poignets. L’un d’eux est dédié à sa mère, morte tôt. « Maman je t’aime pour toujours et après », est-il écrit en thaï. L’habit d’encre est aussi un moyen, pour lui, de changer de peau, d’être un « autre soi ». « Je me lasse de moi, dit-il. Souvent, devant ma glace, je me dis : “Encore lui !” »
Philippe Caverivière n’a qu’à s’en prendre à lui-même ! Il est partout, de plus en plus. Tous les matins sur RTL et les samedis soir sur France 2, donc, mais aussi le dimanche après-midi sur la chaîne publique pour En bande organisée, avec Alex Vizorek. De manière moins exposée, il collabore avec le trublion de TF1, Nicolas Canteloup, travaille à ses textes chaque dimanche et garde pour lui ce que Canteloup écarte…. Il a aussi coécrit le spectacle Nature de Florent Peyre après avoir, en 2012, mis la main à la plume pour le scénario du film Les Infidèles, de Jean Dujardin et Gilles Lellouche. On arrête là, la liste est assez longue.
Il ne s’arrête jamais vraiment. Drogué à l’actu, en particulier à la politique – parce que, forcément, « tout est politique » –, il se balade avec une pile de journaux sous le bras, regarde en permanenceBFMTV, CNews et LCI, écoute la radio tant qu’il peut. Chaque matin, il s’astreint au même rituel : lever à 4 heures, une demi-heure avec ses chats (Roméo et Snatch) puis écriture de sa chronique matinale. Celui qui partage sa vie avec une architecte d’intérieur – il n’a pas et ne veut pas d’enfant – se met à sa table de travail et bûche seul pendant deux heures, avant d’échanger ses « vannes » avec ses coauteurs (Clément Charton, Arsen et Jonas Évain), eux aussi à l’œuvre. L’exercice d’écriture est solitaire, dit-il, mais il s’agit aussi, paraphrasant Montaigne, de « frotter sa cervelle » à celle des autres.
À 6 h 30, il pose son stylo et enregistre sa chronique sur son smartphone. Il enfourche ensuite son vélo puis pédale vers RTL, pas très loin de son domicile de Neuilly-sur-Seine. Philippe Caverivière écoute « la musique » de son texte, qu’il se repasse trois ou quatre fois. Il ne laisse pas grand-chose au hasard. « C’est un métier de clown, mais je le fais sérieusement. »
Doté d’une sorte d’humour désintéressé, jamais moralisateur, l’homme est une sorte de comique pour CSP +, mais pas seulement. Il s’amuse d’être aussi devenu « une star chez Grand Frais », la chaîne de magasin bon marché. « J’aime avoir un large public, multicolore. Ça me rassure. Les gens de la communauté musulmane m’arrêtent dans la rue pour me dire qu’ils apprécient ce que je fais, ceux de la communauté juive aussi. » Une seule lettre de récrimination l’a marqué : une vieille dame de Bar-le-Duc courroucée que l’humoriste, autrefois habitant de Montbéliard, se soit moqué de sa ville. Mais, pour le reste, Philippe Caverivière a fait en quelque sorte le ménage. Ses blagues, souvent à l’équilibre entre le bien et le trop, frappent là où il faut. « Les cons, ceux qui n’aiment pas mon humour, sont partis ! De toute façon, il ne faut pas chercher à plaire à tout le monde. »
Son dimanche idéal
« Oh là là, depuis 2002 qu’on est avec Nicolas Canteloup sur Rires & Chansons, le dimanche est très studieux, surtout avec RTL en plus. Je travaille de 8 heures à 23 heures, donc je consacre ma journée à la presse, avec mes deux chats sur le bureau, la télé branchée sur BFMet la radio sur France Info (et la lecture du Point, évidemment)… Il n’y a que le samedi que, sauf si j’enregistre En bande organisée, j’arrive à aller à la boxe. »
Philippe Caverivière possède une technique un peu empirique pour tester ses vannes : l’excitation. « Je dois me dire sous la douche : “Celle-là, j’ai envie de la faire, j’ai envie de la balancer à Darmanin ou Le Maire.” » Au départ, pourtant, son moteur est autre. Alors qu’il a 4 ans, sa grande sœur meurt d’un cancer. Elle a 7 ans. Philippe Caverivière tente d’apaiser la douleur de sa mère par l’humour. Son goût de la vanne vient de là, dit-il. Rire pour ne pas dépérir. « Le cancer, c’est l’Everest de la douleur », observe l’humoriste en parlant de Grégoire Lecalot, un journaliste de France Info qui a évoqué avec pudeur, à la radio et à la télé, le décès de son épouse Clémentine Lecalot-Vergnaud, qui avait raconté par podcast sa maladie.
Le troubadour tatoué semble toujours convaincu de l’arme défensive du rire. Il évoque son admiration pour les juifs (il parle hébreu) et leur humour, qui sert sans doute à « dépasser le malheur ». Il cite Romain Gary : « L’humour est une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l’homme sur ce qu’il lui arrive. » (On a retrouvé la citation, il ne la connaissait pas par cœur…) Le malheur est de toute façon sa matière première, il faut bien faire avec. « L’actu, c’est 90 % de tristesse et de malheur. Mon rôle est de prendre du caca et d’en faire quelque chose d’acceptable. C’est de l’alchimie. »
Braguette d’argent au Club Med
Il n’en rajoute pas. L’homme, s’il est conscient de son succès, est plutôt modeste. « Je suis velléitaire, je n’ai aucune ambition, je suis là par hasard », assure-t-il sans qu’on le croie complètement. Il a commencé à connaître le succès, c’est vrai, un peu par chance. De 23 à 28 ans, il est G.O. au Club Med. La vie est belle pour celui qui, dans ses chroniques sur RTL, se présente comme « Braguette d’argent au Club Med ». Il fait tout dans les villages au Trident, les sports, l’animation, la fête, la vie. « J’étais Popeye des Bronzés. » Et puis, un soir, le chef du village, Alain Pistolesi, le pousse à participer aux spectacles quotidiens qui font la joie des G.M. (les Gentils Membres). « Il me dit : “La semaine prochaine, tu montes sur la scène.” » Philippe Caverivière se lance, ne se trouve « pas bon », mais se force. « Le Club Med, c’est une formidable école de la scène, où on a le droit d’être mauvais ! »
Il y croise tout de même un autre G.O. alors inconnu, Nicolas Canteloup. Quelques années après, une fois coulée sa petite boîte de restauration rapide et abîmée l’agence immobilière qu’il tient avec son frère à Fréjus, Caverivière contacte Canteloup, déjà célèbre. Il commence à coécrire ses textes. Puis, un jour de 2019, il est repéré par Thomas Sotto alors qu’il anime une soirée caritative pour l’association Léo, qui aide les familles des enfants atteints de cancer, et dont il est le parrain. Le journaliste lui propose de tenir une chronique sur sa radio, RTL.
Comme au Club Med, Philippe Caverivière se lance. Depuis, l’humoriste tente de toujours s’améliorer. Il cherche sans cesse de nouveaux ressorts. « Il faut inventer des jouets en permanence pour casser la routine du rire », explique-t-il. Au micro de RTL, il s’est beaucoup amusé avec les habitants de Limoges ou Sochaux, il a pas mal brocardé l’imam Iquioussen réfugié en Belgique, le voici qui tente désormais une « nouvelle mécanique », qu’on pourrait appeler celle de la rupture : « L’autre jour, je lis un long texte sur la culture puis je dis au micro : “Ce n’est pas de moi, c’est de Malraux.” » Puis : « Ça vous troue le cul, hein ? » Enfin : « Ça, c’est de moi ! »