De jeunes membres des Eclaireurs israélites de France partent donner un coup de main dans les exploitations agricoles israéliennes, en manque de bras depuis le début de la guerre.
Le Lundi 19 février, une trentaine de jeunes en vareuses aux écussons des Eclaireuses et Eclaireurs israélites de France ont embarqué en début d’après-midi sur un vol de la compagnie israélienne El Al en direction de Tel-Aviv. Agés de 18 à 25 ans, ces scouts juifs partent pour le second voyage de volontariat organisé par les Eclaireuses et Eclaireurs israélites (EEI). Au menu : une semaine de travail agricole, de rencontres avec des familles d’otages, de visites de Jérusalem que la plupart ne connaissent pas.
« Le programme a été imaginé en novembre-décembre [2023], face au manque de main-d’œuvre en Israël. Il n’y a plus de travailleurs palestiniens, plus de travailleurs étrangers, et beaucoup de réservistes ont repris les armes. Les exploitants ont besoin d’aide. Devant ce constat, on a mis en place ces voyages avec nos jeunes majeurs, mais ça n’a pas été facile de les convaincre de partir au début, ils étaient un peu effrayés », raconte Karen Allali, commissaire générale des Eclaireuses et Eclaireurs israélites, qui a tout fait pour que le mouvement puisse prendre en charge la moitié du coût du voyage, soit environ 600 euros.
Le discret système de sécurité de l’immeuble de l’avenue de Ségur, dont les EEI occupent le premier étage, rappelle que le lieu abrite également l’Alliance israélite universelle. Dans le hall, sur une large plaque, sont inscrits les noms de ses dirigeants, retraçant ainsi l’histoire des Eclaireurs israélites. Lancé il y a cent ans, en 1923, par le Lyonnais Robert Gamzon sur le modèle des éclaireurs protestants, le mouvement est le premier grand rassemblement de la jeunesse juive en France.
L’aura de Robert Gamzon, le fondateur
Les valeurs du scoutisme, telles que l’autonomie, le souci de l’autre, le respect de la nature, rencontrent un projet que son fondateur veut ancrer dans un pluralisme ouvert à chaque juif, fille ou garçon, pratiquant ou non. Les EEI seront des figures de la résistance juive en France contre l’Allemagne nazie et permettront de cacher des milliers d’enfants, d’imprimer quantité de faux papiers et de faciliter de nombreux passages en zone libre. Robert Gamzon, maquisard, sera nommé capitaine des Forces françaises de l’intérieur en 1944 et médaillé à la Libération.
Aujourd’hui encore, l’aura de ce mythique fondateur donne aux six mille jeunes Eclaireuses et Eclaireurs israélites de France le sentiment de s’inscrire « dans la lignée d’un mouvement splendide », comme l’explique Jacob, 20 ans, foulard jaune et vert, qui appartient au groupe Golda Meir, dans le 15e arrondissement de Paris.
Après un premier voyage en Israël en janvier, Jacob aide à préparer les jeunes qui s’apprêtent à leur tour à partir. « Nous sommes arrivés début janvier et, tout de suite, on nous a emmenés voir le kibboutz Kfar Aza, victime du massacre du 7 octobre. C’était un moment très fort, très émouvant », raconte le jeune homme, vareuse et casquette plantée sur ses cheveux bouclés. Anouk, 18 ans, était, elle, aussi du voyage. Sur son portable défilent les photos qu’elle a prises lors de la visite du kibboutz. « J’ai aussi voulu capturer la vie qui continue », confie la jeune fille.
Chacun a son avis sur cette guerre. « Il n’y a pas de bourrage de crâne sur ce qui se passe en Israël, car personne n’a le même rapport à ce pays au sein des EEI », assure Jacob. Leur engagement dans un mouvement sioniste impose toutefois de partager « un minimum commun », un sentiment d’appartenance à un groupe et à des règles de vie. Ce qui n’empêche pas les divergences.
« Aujourd’hui, tout le monde ne veut pas se porter volontaire en Israël », reconnaît Jacob. Après la sidération des premiers instants, partir aider est devenu un acte politique d’affirmation de son soutien à la défense d’Israël. « Sans y être obligé, j’ai voulu me rendre utile et participer à l’effort de guerre. J’en suis revenu avec le sentiment que le conflit est beaucoup sur les réseaux, où, dans les deux camps, c’est l’escalade de la désinformation », estime le jeune homme.
« Tout le monde participe à l’effort de guerre »
Quatre jours durant, les jeunes Français ont mis les mains dans la terre de ce pays aimé, mais que la plupart ne connaissaient pas vraiment. « D’habitude, on reste à la plage, on ne voit que la famille », explique Anouk. « Nous avons planté des laitues minuscules dans une grande exploitation, c’était intense mais aussi très gai, continue Jacob. Dans les champs, il y avait plein de collégiens israéliens qui venaient après l’école, mais aussi des jeunes, des vieux. Tout le monde participe à l’effort de guerre. » Alors que les bombes pleuvent sur Gaza et que la pression internationale se fait de plus en plus forte sur Israël, Français et Israéliens « évitent de parler politique entre eux dans un moment qui doit célébrer notre lien », expliquent-ils.
« L’idée n’est pas de transformer les EEI en minisionistes : ils ont eu en Israël de vraies discussions sur la légitimité du pays et de son gouvernement à continuer la guerre », argumente Yehochoua Choukroun, l’un des responsables des Eclaireuses et Eclaireurs israélites, accompagnateur des voyages solidaires. Mais, finalement, selon lui, une seule vision du conflit s’impose. « Je crois que ces contacts avec la société civile du pays ont renforcé pour beaucoup la compréhension de la substance de cette guerre : elle est menée pour en finir le plus vite possible avec le Hamas et ramener les otages », argue-t-il.
Sur le groupe WhatsApp « Solidarité avec Israël », qu’elle consulte régulièrement, Karen Allali reçoit des demandes telles que : « Mission vigne de deux jours dans une exploitation abritée du soleil », « Mission agrumes dans une ambiance chaleureuse », « Urgence mission avocats avant les pluies de ce week-end »… Une succession de petites annonces agricoles et de photos de volontaires, en train de cueillir des clémentines ou les bras chargés de cageots d’avocats…