Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a demandé son «expulsion du territoire», à la suite d’un prêche lors duquel il a qualifié le «drapeau tricolore» de «satanique».
«C’est un lapsus. Moi je ne sors pas de l’ENA ni de la Sorbonne.» La défense de Mahjoub Mahjoubi est prête. Accusé d’avoir tenu des prêches «anti-France», l’imam de 52 ans, qui officie à Bagnols-sur-Cèze dans le Gard, est sous le coup d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme, ouverte par le parquet de Nîmes, a-t-on appris ce lundi 19 février. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a dit dimanche soir attendre «son expulsion du territoire», après un signalement du préfet du Gard au procureur de la République. «Aucun appel à la haine ne restera sans réponse», a ajouté le locataire de Beauvau dans une publication sur X.
Dans un court extrait diffusé et massivement relayé sur les réseaux sociaux, on peut voir l’imam tenir un prêche, face caméra. Il y qualifie le drapeau «tricolore» de «drapeau satanique» qui n’a «aucune valeur auprès d’Allah». «On n’aura plus tous ces drapeaux tricolores qui nous gangrènent, qui nous font mal à la tête», y déclare-t-il. Il ne précise pas que c’est le drapeau français.
«Méprise dans la langue française»
Mahjoub Mahjoubi, né à Tunis, installé en France depuis 1986, père d’enfants nés et scolarisés en France, et marié avec une femme de nationalité française, plaide par la voix de son avocat une «méprise dans la langue française». Auprès de nos confrères de Midi Libre , il assure que cette phrase est un «lapsus». «Je comprends que ça ait pu choquer. (…) Croyez-moi, il n’a jamais été question dans mes propos, ni de loin ni de près, de dire que le drapeau français est satanique. Je parlais du monde musulman et du football (…) Je ne suis pas un voyou. C’est une situation qui peut briser la vie d’un homme et détruire une maisonnée».
Interrogé par Le Figaro, son conseil, Maître Samir Hamroun, conseille d’«impérativement écouter le prêche en entier», qui constituerait une «critique contre le nationalisme, plus particulièrement appliqué par certains jeunes d’origine maghrébine qui se font la “guerre” dans des stades de foot notamment sous couvert de la défense d’un drapeau», assure-t-il. Il s’agit d’un prêche «sur la division des musulmans de toute nationalité (…) Il n’a eu aucune intention d’attaquer le drapeau français et ses valeurs pour lesquels il a profond attachement», selon l’avocat, déplorant que l’on puisse «confondre (son client) avec les pires extrémistes qui existent».
«Est-ce que tu acceptes que la maman de ton fils soit une fornicatrice ?»
Qu’a vraiment dit l’imam ? Et surtout, est-il coutumier des propos polémiques ? Dans son prêche en entier durant 40 minutes – d’abord tenu en arabe, puis traduit en Français – , que Le Figaro a retrouvé, Mahjoub Mahjoubi évoque dans une longue tirade les «petits signes de la fin des temps», à savoir «l’embellissement et la décoration des mosquées», l’argent («avant, peu d’argent suffisait à une famille pour vivre, même dans ce pays. Aujourd’hui, nos propres enfants qui ont 12, 13, 15 ans te parlent de paires de baskets à 300 euros, de survêtement à 300 euros»), l’alcool («les gens boivent sans aucune retenue. Il y a quelques années les gens qui buvaient se cachaient.») et la «fornication» («beaucoup de nos jeunes musulmans ramènent la copine à la maison. [Je leur demande :] est-ce que tu acceptes que la maman de ton fils plus tard soit une fornicatrice?»).
Il poursuit en mettant en garde contre une prophétie annonçant la venue de l’«antéchrist», et appelle pour s’en défendre de «préserver le sang et l’unité des musulmans», car «la division nous affaiblit», dit-il. Lorsque cette prophétie se mettra en place, Al-Mahdi, identifié comme un descendant du prophète de l’Islam dans la religion sunnite, précédera l’antéchrist pour rassembler tous les musulmans pieux, d’après l’imam. Alors, Al-Mahdi va «s’autoproclamer et tous les gouverneurs dans toutes les gouvernances vont chuter. On n’aura plus tous ces drapeaux tricolores qui nous gangrènent et qui nous font mal à la tête», notamment dans les stades de football, «où l’on tape le musulman sur la tête», assure-t-il en imitant des cris de supporter. «(Les drapeaux) n’ont aucune valeur auprès d’Allah. La seule valeur qu’ils ont c’est la valeur satanique.» D’après Mahjoub Mahjoubi, ces drapeaux ont été créés pour diviser les musulmans entre eux. Et d’affirmer qu’Al-Mahdi ira en direction de la Syrie. «Les événements en Syrie depuis 10 ans, ce n’est pas pour rien. C’est une préparation, c’est l’avant-scénario», prévient-il.
Critique d’Israël et des médias
Toujours dans son prêche, il est également critique d’Israël, indiquant «qu’ils veulent détruire» l’ancienne mosquée de Jérusalem, pour «créer le grand État d’Israël». C’est «ce qu’ils font à Gaza, pour agrandir et prolonger ce qu’ils souhaitent», clame-t-il. En fin de prêche, il tacle également les médias : «Jetez les journaux où il n’y a que des mensonges dedans. Ces magazines ou ces informations n’ont aucune valeur. Apprenez ce que le messager d’Allah nous a informés».
Sur son compte Facebook, l’imam, membre de l’association des musulmans du Gard rhodanien, partage d’anciens prêches, mais également des publications. L’une d’elles, montrant une image de Bachar al-Assad, qualifie le président syrien de «voyou», de «visage de Satan» qui «a tué un tiers de son peuple». Il ironise sur le fait que Bachar al-Assad «déplore ce qui se passe» à Gaza. Dans une autre accompagnée d’une photographie d’un stade de football, où l’on peut voir des supporters d’une équipe porter une bannière écrite en langue arabe, l’imam écrit : «La victoire de Dieu ne se fera pas avec des slogans, des fausses acclamations, ou des soirées musicales interdites, mais avec ce que Dieu a ordonné dans un noble verset».
Dans le collimateur des autorités
Ce n’est pas la première fois que l’imam du Gard est ciblé par les autorités. Comme il l’affirme lui-même dans Midi Libre : «Les services de renseignements ont épluché ma vie. Ils l’ont de A à Z». Ainsi, selon des informations du Parisien et de BFMTV, le religieux a déjà fait l’objet d’au moins un signalement de la part de la préfecture du département.
L’institution aurait prévenu le parquet de Nîmes que l’imam a été condamné en 2015 à une interdiction de gérer une entreprise jusqu’en juin 2030. Or, il occuperait le poste de gestionnaire d’une entreprise de travaux en bâtiment, dont la présidence serait confiée à son épouse, d’après la préfecture citée par nos confrères. Un contrôle administratif suivant le signalement aurait été ordonné le 8 novembre dans sa mosquée – le lendemain, une école coranique accueillant des jeunes en soutien scolaire et administrée par Mahjoub Mahjoubi aurait été fermée, pour soupçons de discours séparatistes.
Les propos de l’imam du Gard ont en tout cas été sévèrement dénoncés par certains représentants du culte musulman. «Cet islam n’a jamais existé, l’islam reconnaît la diversité des religions, des nations», a dénoncé Tareq Oubrou, grand imam de la mosquée de Bordeaux. Le vice-président du Conseil français du culte musulman Abdallah Zekri a lui estimé que Mahjoub Mahjoubi avait dépassé une «ligne rouge». «Partant de là, je ne peux pas cautionner ce qu’il a dit.»