Antisémitisme : cette déferlante de fake news venues de Chine

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Depuis le 7 octobre, la diplomatie chinoise a opté pour une ligne propalestinienne dure. Depuis, de nombreuses attaques antisémites sont menées depuis l’empire du Milieu.

La scène, filmée depuis un immeuble de Pékin le 13 octobre 2023, est glaçante. Devant un supermarché, sous les yeux médusés de Chinois qui n’osent ni s’arrêter ni intervenir, un Israélien de 50 ans est poignardé, au cou, au dos et à la poitrine. L’assaillant, sweat blanc et lunettes noires, s’acharne sur la victime à terre. Celle-ci parvient miraculeusement à s’échapper et sera hospitalisée. Elle travaillait à l’ambassade israélienne en Chine. Le suspect a été arrêté. Un « étranger », assure la police chinoise. Rien d’autre n’a filtré depuis, mais le mobile était à l’évidence d’attaquer un Israélien en « représailles » aux bombardements de Gaza. Des pro-Palestiniens appelaient déjà partout dans le monde à un « vendredi de la rage ». À peine une semaine après le 7 octobre, Israël était décrit comme l’agresseur massacrant les civils palestiniens.

Messages de haine

Les comptes de l’ambassade israélienne sur les réseaux sociaux chinois végétaient avant la crise, avec à peine quelques centaines de milliers d’impressions hebdomadaires sur Weibo et Douyin, la version chinoise de TikTok. En cinquante jours, la page Weibo a totalisé plus de 1 milliard d’impressions et le profil Douyin 1,9 milliard !

Ce déluge de réactions, messages et commentaires était presque exclusivement hostile. Idem à l’encontre de simples quidams tentant de défendre Israël ou les Juifs sur les réseaux chinois. « Pour un millier de commentaires et messages négatifs, je n’en ai reçu qu’un ou deux positifs, favorables à Israël », témoigne par exemple Ross Feingold, commentateur politique né aux États-Unis et basé à Taïwan. Très actif sur les réseaux sociaux sinophones, il est aussi le fondateur du centre juif Chabad à Taipei. « Installé depuis trente ans en Asie, j’ai l’habitude de longue date des stéréotypes sur les Juifs », admet-il. Mais rien de semblable aux messages de haine qu’il observe et reçoit quotidiennement depuis, et ce alors que, jusque-là, les rapports entre Chinois et Israéliens avaient l’air de s’améliorer. « Israël et la Chine avaient plutôt de bonnes relations ces vingt dernières années, en particulier avec des projets dans la tech. Netanyahou soutenait clairement une relation renforcée avec la Chine, et les États-Unis avaient dû faire pression pour freiner ce rapprochement. »

La voix du « Sud global »

Tout a basculé le 7 octobre. Très vite, la diplomatie chinoise a opté pour une ligne propalestinienne dure, minimisant les exactions du Hamas et dénonçant la riposte israélienne. Alimentant la déferlante, des influenceurs chinois se sont rués dans la brèche, multipliant les contenus anti-israéliens, voire nettement antisémites. Cas d’école : une vidéo de quatre minutes parue sur Xigua (une filiale de ByteDance, la maison mère de TikTok) qui liste dix méfaits supposés des Juifs envers la Chine – tous faux : la main cachée des Juifs dans les guerres de l’opium, le complot « Fugu » visant à établir une colonie juive en Chine avec le soutien des Japonais, l’armement de Taïwan, les accusations sur le génocide des Ouïghours… 600 000 vues avant que la plateforme ne censure la vidéo – mais des copies continuent de circuler.

Ulcéré, Ross Feingold l’a traduite pour la dénoncer, même si ce n’est qu’une goutte dans l’océan. Comme tous, il s’interroge pour savoir d’où vient cette subite avalanche et pourquoi elle n’est pas régulée dans l’Internet le plus contrôlé du monde. Mais, avoue-t-il : « Je n’ai pas de raison de croire que c’est l’État chinois, qu’il y a des fonctionnaires dans une pièce qui organisent cette campagne… »

Pour Tuvia Gering, spécialiste israélien de la Chine à l’INSS (Institute for National Security Studies), il est cependant indéniable que, s’il ne dicte pas forcément tout directement, « le Parti-État a donné le ton ». Les prises de position de hauts dignitaires comme Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, qui critiquait la réplique israélienne dès la première semaine, ont lancé la curée. Et les médias officiels ont immédiatement repris ou généré de fausses informations contre Israël.

Cas le plus flagrant, l’explosion de l’hôpital Al-Ahli, le 17 octobre, où la Chine s’est empressée d’appuyer la version du Hamas, accusant à tort une frappe israélienne d’avoir fait plusieurs centaines de morts. « La Chine est choquée par cette attaque odieuse et la condamne fermement », tempêtait le lendemain l’ambassadeur chinois au Conseil de sécurité de l’ONU, pointant du doigt Israël sans questionner l’origine de l’incident – une roquette palestinienne défaillante, de l’avis de la plupart des experts. « La Chine a décidé de reconnaître et d’amplifier des narratifs qui servent les Palestiniens et le Hamas, déplore Tuvia Gering. Mais ce n’est pas parce que les Chinois haïssent les Juifs et aiment les Palestiniens. C’est pour saper l’influence des États-Unis et montrer que ceux-ci sont hypocrites. C’est juste une partie de leur grand jeu contre la superpuissance rivale. Maintenant, la Chine se revendique comme la voix du “Sud global”. »

Idéologie paradoxale

Autre preuve que l’État contrôlerait les vannes de cette campagne de haine et de désinformation : celle-ci s’est subitement tarie mi-novembre. Joe Biden a rencontré Xi Jinping à San Francisco, l’Aigle et le Dragon ont déposé les armes, et la vague chinoise contre Israël a reflué en quelques jours – même si la position officielle de la Chine est restée critique, et que certains influenceurs chinois continuent à faire leur beurre sur le conflit. Affaire classée ? « Il y aura des répercussions, pour la France, comme pour tout l’Occident et toutes les démocraties », s’inquiète Paul Charon, spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), et auteur d’un rapport remarqué en 2021 (Les Opérations d’influences chinoises, Équateurs).

Cette désinformation made in China contre Israël a en outre largement débordé les frontières de l’empire du Milieu. En Occident, la guerre du 7 octobre a permis à des influenceurs politiques antidémocraties de devenir des mastodontes, comme le très jeune (24 ans) Jackson Hinkle, désormais 2,4 millions d’abonnés sur X (ex-Twitter). Apparu il y a quelques années comme relais d’influence de la Russie, ce commentateur à l’idéologie paradoxale « communiste MAGA » (mélange rouge-brun de fascination pour le totalitarisme socialiste et le nationalisme américain « Make America Great Again ») s’est aussi rapproché de la Chine, où il vient de faire un voyage à la gloire du Parti. Véritable joint-venture de Pékin et Moscou, il relaie tout à la fois la propagande de la Chine contre les États-Unis, celle de la Russie contre l’Ukraine ou contre la France en Afrique et celle du Hamas sur Israël. « C’est un moment où les camps se rejoignent », avertit Paul Charon. Et où les démocraties se divisent…

Par Jérémy André

Source lepoint