Comment résumer en quelques lignes ce qu’un homme, dans sa vie, a pu apporter à la collectivité ? Surtout lorsqu’il s’appelle Robert Badinter. Par Riss.
Ministre de la Justice en 1981, il supprima la Cour de sûreté de l’État, les tribunaux permanents des forces armées, la loi sécurité et liberté, et dépénalisa l’homosexualité. Il ouvrit aux citoyens le droit de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Il facilita l’accès à l’aide judiciaire, créa l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation, permit l’indemnisation des victimes des attentats et celles des accidents de la route. Son action se porta aussi vers les prisons en améliorant les conditions de détention des condamnés, mais aussi la situation du personnel pénitentiaire auquel furent attribués des vestiaires, des douches et des logements sociaux.
La liste est encore longue : dans le domaine du droit des affaires, avec la réforme de la loi des entreprises en faillite. Sans oublier l’abolition de la peine de mort, qui aurait tendance à laisser dans l’ombre toutes ces autres réformes, moins spectaculaires, et qui aujourd’hui nous font dire : « Mais comment la justice fonctionnait-elle avant tout ça ? »
Ce rapide passage en revue de l’action de Robert Badinter au ministère de la Justice ferait presque passer au second plan un autre de ses combats, de nos jours plus crucial que jamais : celui contre le négationnisme. En 2006, il avait qualifié Faurisson, qui depuis des années proclamait que les chambres à gaz n’avaient pas existé, de « faussaire de l’Histoire ». Faurisson avait alors traîné Badinter devant la justice pour diffamation. Les débats devant la 17eme chambre correctionnelle durèrent une journée et furent filmés. Rappelons que c’est encore Badinter qui autorisa que soient filmés les procès ayant un intérêt historique, ce qui fut le cas de ceux de Barbie, Touvier et Papon, et plus récemment de ceux des attentats de janvier et de novembre 2015. Faurisson fut débouté.
Faussaires de la réalité
Le négationnisme est un fléau qui touche désormais d’autres périodes que la Seconde Guerre mondiale et d’autres crimes que l’extermination des Juifs d’Europe. Le monde numérique a ouvert des perspectives vertigineuses aux Faurisson de demain. L’intelligence artificielle, qui rend de plus en plus difficile la distinction entre le vrai et le faux, va donner des ailes aux apprentis négationnistes de tout poil. Les faussaires de l’Histoire vont se transformer en faussaires de la réalité. Ce ne sont plus seulement les événements passés, comme la Shoah, qui seront contestés, mais aussi ceux en cours, qui se déroulent sous nos yeux, qui sont diffusés à travers le monde, après avoir été trafiqués, rognés, détournés. La liberté de conscience des citoyens des régimes démocratiques tombera, ou est peut-être déjà tombée, sous l’emprise des négationnistes du temps présent. Des régimes politiques autoritaires comme celui de Poutine ont déjà adopté des plans de bataille pour réécrire la réalité du monde, influencer les opinions publiques des démocraties et les faire chanceler.
Que retenir de ce que Robert Badinter a apporté à la collectivité ? Ses nombreuses réformes pour moderniser la justice, quand il fut garde des Sceaux. Mais aussi sa ténacité, sa combativité inébranlable qui transpirent quand on l’écoute s’adresser aux députés lorsqu’il veut leur faire adopter l’abolition de la peine de mort. La démocratie ne serait qu’un petit tas de papiers et de textes rangés sur les étagères des tribunaux et des ministères si, pour lui donner vie, il n’y avait pas cette ferveur à la faire triompher de tout ce qu’il y a de plus révoltant sur cette terre. Il faut réécouter les colères de Badinter pour mesurer l’énergie qu’il faut déployer pour espérer terrasser l’immonde et l’infâme. Les réécouter pour s’en imprégner, s’en inspirer, et repartir au combat.
Par Riss