Portrait : Israël Nisand, s’exposer

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Le gynécologue-obstétricien répond aux ados, avec l’espoir que son autorité clinique modère les violences sexistes et les grossesses involontaires.

Quoique notre maîtrise du dialecte des 12-16 ans, truffé de «zgeg» et de «teub», ne soit pas totale, on aurait volontiers suivi Israël Nisand en milieu scolaire pour sonder la sexualité balbutiante d’une tranche d’âge biberonnée au porno. Mais l’occasion n’a pas fait la laronne, c’est donc en effeuillant Parler sexe : comment informer nos ados, son dernier bouquin, qu’on se fait une opinion. Le prénom de l’auteur incite à siphonner d’emblée quelques flaques brunes et saumâtres. Aîné de cinq garçons, né en Israël dix jours après l’alyah de ses parents, Nisand est athée et dénonce avec la même vigueur les mécanismes de soumission des religions, l’antisémitisme, les populismes, Trump ou Nétanyahou. Très tôt, sa pratique de l’IVG provoque l’ire des groupuscules d’extrême droite et des cathos intégristes. En 2010, alors qu’il fait campagne pour une contraception gratuite pour les mineurs, des croix gammées sont taguées sur sa maison de Schiltigheim. «Pécher sans être puni, ça posait problème», précise le va-t-en-guerre au cuir épais. Courtoisie vieille France et humour pince-sans-rire sont ses spécialités, au même titre que la bioéthique, le diagnostic prénatal, la PMA.

Si le temps qui passe et se prélasse ne rabote pas la combativité du septuagénaire, les ans ont néanmoins moissonné sa toison, surlignant l’azuré du regard. L’hiver, il déambule souvent un bonnet de docker sur le crâne, mais dans l’hôtel du VIe arrondissement de Paris où il convie, il n’y a ni conteneur à décharger ni polémique à se coltiner. Le chapeau du jour, un feutre noir, déposé, il commande une citronnade, choix surprenant à l’heure où les interviews infusent au thé vert ou se décaféinent dès l’entame. Une rosette d’officier de la Légion d’honneur bourgeonne au revers de sa veste. Côté cravate, on flaire l’intervention d’un tiers. Ayant passé sa vie «en pyjama», c’est-à-dire dans la tenue verte des chirurgiens hospitaliers, il laisse à sa compagne, Brigitte Letombe, gynécologue médicale «plutôt militante», le soin de le styliser à la ville et nous autorise à dévoiler son nom. Ce qui vaut déclaration d’amour enflammée. Séparé depuis une dizaine d’années sans passer par la case divorce, ce père d’un stomatologue et d’une avocate pense avoir réussi à épargner sa femme, prof de philo, sans pour autant s’oublier. «Parfois, il faut se dire qu’on a fait le tour de l’autre et qu’il n’est plus légitime de rester ensemble. […]. Il n’y a pas de victime dans cette affaire, on dîne ensemble, on a des petits-enfants en commun.»

Pendulaire, le chirurgien-obstétricien bosse à Strasbourg et à Neuilly-sur-Seine, où il finalise le sauvetage de la maternité de l’Hôpital américain. Dans l’hélice de son ADN tournoient médecine et féminisme. Résistant pendant la guerre, son père a soutenu sa thèse quelques jours avant de s’exiler en Israël. Revenu en France afin de se spécialiser en hématologie, il n’est jamais reparti, le poste promis ayant été attribué à un sabra. Son fils se souvient des réunions Tupperware «pose de diaphragme» que le militant du Planning familial organisait dans son salon. Prof de français et lectrice de Kate Millett, la mère a imposé à ses garçons le maniement de la brosse à vaisselle, ancrant dans les esprits et à l’eau savonneuse l’évidence d’une parité.

Choqué que le porno qui «salit l’image de la femme et éduque au non-consentement» ait remplacé les billes dans les cours d’école, atterré que la zoophilie ou l’éjaculation faciale soient à la portée du premier clic venu, l’ex-président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français explique qu’un jeune n’a pas l’appareil critique nécessaire pour faire front. «Certains élèves pensent que le sperme gicle à 3 mètres», lâche-t-il, sourcils froncés, en pointant l’implication coupable des milliardaires du Net dans ce délire. Sa solution ? Instaurer le débit d’une carte bancaire dès les premières images, et assortir l’obligation à des sanctions financières sévères pour les fournisseurs d’accès à Internet ne jouant pas le jeu. Puceau jusqu’en deuxième année de médecine, ce qui le situe dans la norme puisqu’il a passé son bac à 16 ans, il se réjouit d’avoir échappé au «prêt-à-porter» de Pornhub, tout en moquant sa peur lorsque, dans un camping de Stockholm, une Suédoise lui avait fait des avances.

Depuis le Covid-19, la dysphorie de genre flambe. Partisan d’une «transition sociétale» avec modification de l’état civil, Nisand prône d’attendre jusqu’à la majorité pour les traitements hormonaux et pour la chirurgie. «Je vois beaucoup de détransitionneurs. Et j’en veux aux associations qui taxent de transphobes les médecins appelant à la prudence. […]. Il y a ce fantasme que tout est possible, mais les gestes sont irréversibles et les regrets douloureux.»

A l’inverse des pontes figés dans leurs certitudes, notre interlocuteur estime s’être parfois trompé. Il a par exemple évolué sur la GPA qu’il préconise aujourd’hui éthique et validée par un collège de spécialistes, avec un tarif fixe remboursé par la Sécu. Rétif à une consommation sans limite de cette avancée, il veut que l’âge des conjoints et la place mentale faite à l’enfant soient pris en compte. Depuis 2017, sa profession a subi des attaques d’importance. Qu’il trouve injustes pour la jeune garde, mais qu’il nuance pour sa génération, n’ayant, à l’époque, pas reniflé la présence de quelques «gros blaireaux». La pédophilie le débecte. De l’inceste, il dit : «On est un vieux pays d’inceste. Il faut ouvrir les yeux, 20 % des enfants abusés, c’est un drame sur le plan psychologique et physique.» Nombre de maladies auto-immunes, endométriose, cancers du sein, dénis de grossesse résulteraient de ces agressions. Favorable au délai de prescription qui a été prolongé à trente ans, il affirme que c’est aux adultes et à eux seuls de lever haut les herses des interdits.

Lecteur sporadique de Libé, abonné à l’Obs, le Monde et Franc-Tireur, dégoûté «par l’islamo-gauchisme», il ne donnera pas son vote à la Nupes. Par contre, il a été «impressionné par la capacité de synthèse et de compréhension» de Macron, rencontré lors d’une soirée bioéthique et reproduction.

En vrac et sans hiérarchie aucune, il est favorable à la liberté d’une fin de vie choisie, aime Caroline Fourest, les asperges et le bibeleskæs, spécialité culinaire alsacienne, l’opéra et les promenades dans les Vosges. Cinéphile, il a vu avec plaisir le Dernier des Juifs du Strasbourgeois Noé Debré. Plutôt que d’inscrire l’IVG dans la Constitution, «ce qui ne coûte rien», il préférerait qu’on se penche sérieusement sur le manque de moyens dans les hôpitaux.

Comme il gesticule à intervalles réguliers, on soupçonne un trouble neurologique débutant, diagnostic qu’il démonte en signalant un moucheron. On s’inquiète néanmoins lorsqu’il plonge subitement la main dans sa veste, mais c’est pour en ressortir son portable et nous montrer Liv, 1 an et demi, dernière de ses quatre petits-enfants. Ultime embryon d’un long parcours de FIV, la fillette est un petit miracle. Et ça, on le croit volontiers.

13 décembre 1950 Naissance à Afula (Israël).
2002-2019 Chef du pôle de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg.
Depuis 2021 Chef de la maternité à l’Hôpital américain de Neuilly-sur-Seine.14 février 2024 Parler sexe. Comment informer nos ados (Grasset).

par Nathalie Rouiller

Source liberation