Parce que la période est éprouvante pour chacun d’eux, qu’elle les empêche d’échanger librement sur les affaires du monde, le politiste Salam Kawakibi fait part de ses craintes et doutes : de l’ascension de l’antisémitisme à l’aveuglement occidental face à la situation palestinienne et au silence complice des pays arabes.
Cher ami,
Je sais que cette période est éprouvante pour nous deux, qu’elle nous empêche d’échanger librement et de mener nos dialogues politiques approfondis sur les affaires du monde, car bien que nous divergions sur quelques points, nous sommes en accord sur beaucoup d’autres. Je sais que tu partages ma vive critique envers l’Etat de colonisation et d’occupation, coupable de privation de droits, d’expulsion et de meurtre des populations autochtones. Je sais que tu fais face à des insultes et des menaces d’agression physique de la part d’extrémistes juifs qui, injustement, projettent leur racisme et leur haine sur l’ensemble de la communauté juive. Je sais que, conscient dès ton plus jeune âge et soutenu par ta famille qui défend les droits des peuples, tous les peuples, tu as rejeté les absurdités des extrémistes de ta confession, comme je l’ai fait avec les miens, et que tu as choisi la laïcité comme boussole pour ta vie et tes relations avec autrui, tout comme moi. Je sais que, tout en étant attaché à ta laïcité, tu es un croyant, pratiquant les rituels de ta religion, loin de tout fanatisme et extrémisme.
Je sais que tu es engagé dans des initiatives de sensibilisation liées aux problèmes des pays du Sud, ces mêmes nations érodées par le colonialisme et continuellement exploitées par la tyrannie du profit. Je sais aussi que tu es membre de nombreuses organisations civiles qui confrontent l’arrogance israélienne et l’aveuglement occidental face aux crimes du dernier Etat colonial du monde.
A Alep, la coexistence presque idéale entre juifs, musulmans et chrétiens
Quant à moi, je t’ai souvent répété les récits de ma famille sur une coexistence presque idéale entre juifs, musulmans et chrétiens dans le quartier de Jamiliyah de notre belle ville d’Alep. Tes yeux s’emplissaient de larmes lorsque je te parlais de ma mère qui se rendait le samedi chez ses voisins juifs du même quartier pour les aider dans leurs tâches interdites en ce jour sacré de shabbat. Et combien avons-nous ri des absurdités de ce jeune poète syrien qui, pour gagner quelques piécettes et valoriser son modeste talent auprès des extrémistes du racisme occidental et des partisans du mouvement sioniste, a faussement prétendu que nous avions été élevés dès notre plus jeune âge dans la haine des juifs en Syrie et dans d’autres pays arabes.
Ni toi ni moi n’avions jamais considéré que les textes sacrés détiennent des titres de propriété sur les terres. Nous avons toujours estimé que l’existence historique d’un peuple en un lieu donné ne confère pas, des siècles plus tard, une légitimité à ses descendants pour s’approprier les terres de ceux qui y vivent au présent. J’ai constamment été témoin du temps, de l’énergie et de l’argent que tu as investis pour promouvoir le boycott des produits issus des colonies des Territoires occupés, et qui t’a valu des insultes, te qualifiant par exemple de «juif qui se déteste» et qui ont fait l’objet d’appels à ton ostracisme social et professionnel. Tes recommandations de lectures sur l’horreur de l’Holocauste restent vivaces dans ma mémoire, ainsi que ta distinction morale et de principe clair et honnête entre ce génocide abominable et la prétention fallacieuse des sionistes à occuper les terres d’autrui, à les tuer et à les déplacer.
Tu m’as très vite initié, mon ami, aux travaux des nouveaux historiens israéliens qui ont explicitement révélé la falsification des récits sionistes sur la fondation de l’Etat et documenté les massacres commis contre le peuple palestinien. Récemment, nous avons été choqués par l’arrêt de commercialisation du livre le Nettoyage ethnique de la Palestine (2008) de l’éminent historien israélien Ilan Pappé par une grande maison d’édition française. Nous avons également condamné ensemble l’annulation par une municipalité française de baptiser une place publique au nom de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh qui a été assassinée délibérément par un soldat israélien, sous les yeux du monde.
Vers une amplification de l’extrémisme ?
Tu étais d’accord avec moi lorsque j’ai souligné que les Palestiniens, dont les droits sont bafoués, désignent les occupants israéliens lorsqu’ils parlent de «juifs». Et que la minorité d’extrémistes parmi les musulmans, criant haut et fort «Khaybar, Khaybar, ô juifs» (1) lors de manifestations dénonçant l’occupation israélienne, ne représente pas la majorité qui les désavoue.
Aujourd’hui, face à l’aveuglement occidental concernant la situation du peuple palestinien, au silence complice des pays arabes, à l’intimidation en Occident envers ceux qui osent critiquer Israël, étiquetés antisémites, à la législation du Congrès américain assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme, à la France suivant le même chemin, à l’exclusion des sympathisants de la cause palestinienne, je crains vraiment, mon ami, que l’extrémisme dans le monde arabe s’amplifie. L’accusation d’antisémitisme risque d’être utilisée abusivement, servant davantage de diversion ou de moyen de répression que de véritable appel à la justice et à la compréhension. Je crains ainsi, mon ami, pas seulement l’ascension de l’antisémitisme ignoble, mais que celui-ci devienne un fait divers en comparaison avec ce qui nous attends dans un avenir proche.
(1) Le terme «Khaybar» fait référence à la bataille de Khaybar en 628 après J.-C., un événement historique où les forces de Mahomet ont vaincu la tribu juive de Khaybar en Arabie. Dans certains discours modernes, le slogan «Khaybar, Khaybar, ô juifs» est utilisé pour évoquer cette défaite historique. Cependant, l’utilisation de ce slogan est souvent controversée et peut être perçue comme une incitation à la haine ou à la violence, bien que son interprétation puisse varier selon le contexte.
par Salam Kawakibi, Politiste, directeur du Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep)
Donc si je comprends bien le juif pour être toléré doit vivre sans état , vivre ( ou mourir) chez les autres. On retrouve bien là malgré le terme « ami juif » toute la problématique de l’Islam !!