Un député en Israël : « J’ai vu un village dévasté, comme figé dans le temps »

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Le député de la Manche, Bertrand Sorre, a été invité en Israël pour découvrir la situation sur le terrain, et notamment le kibboutz dévasté de Kfar Aza après l’attaque du Hamas.

Bertrand Sorre, député Renaissance de la 2e circonscription de la Manche (Granville-Avranches-Mortain), revient d’un court séjour en Israël durant lequel il a été plongé dans l’horreur de la guerre. Il témoigne, non sans émotion, de sa visite du kibboutz de Kfar Aza (à 1,5 km de Gaza), sauvagement attaqué le 7 octobre 2023 par le Hamas, faisant des dizaines de morts, et qui a été déserté depuis.

Actu : Dans quelles conditions êtes-vous parti en Israël ?

Bertrand Sorre : J’ai pris l’avion le mardi 16 janvier pour Tel Aviv, où notre délégation française était logée, et je suis reparti le vendredi matin. C’était un séjour organisé par le service israélien centralisé d’urgences médicales « Magen David Adom ». Le MDA est composé exclusivement de volontaires : médecins, infirmiers… mais aussi citoyens prêts à sauver des vies – à l’image de l’application SAUV’Life en France – car la population est très engagée.

Qui était avec vous, et quel était le but du voyage ?

B.S. : On était un groupe de 25, j’étais le seul parlementaire, mais il y avait une quinzaine d’autres élus comme la maire de Levallois-Perret, Agnès Pottier-Dumas, ou encore des conseillers régionaux des Hauts-de-France. On a été sollicités individuellement pour ce séjour dit de solidarité afin de s’approprier les réalités du terrain, pour se rendre compte de nos propres yeux de ce qu’il s’est passé le 7 octobre 2023. étaient également invités une dizaine de représentants de la communauté juive, dont le président du Consistoire central israélite de France, Elie Korchia. L’invitation avait donc aussi pour but d’obtenir un soutien pour le MDA, comme des subventions. Mais personnellement, c’était pour me faire ma propre opinion de la situation, et pouvoir en témoigner en rentrant.

Les rencontres et les visites ont débuté le mercredi ?

B.S. : Oui, on a commencé par la présentation du Magen, son centre d’appels national, les personnes qui y travaillent. Puis on est partis visiter le kibboutz de Kfar Aza, dans le Néguev du nord. Situé à 1,5 km de la Bande de Gaza, il comptait un millier d’habitants avant l’attaque terroriste du Hamas. J’ai découvert un village entièrement dévasté, comme figé dans le temps. Par exemple, des couverts étaient encore sur les tables en terrasse, comme si tout s’était arrêté en une seconde. J’ai vu des façades d’habitations criblées de balles, d’autres logements éventrés par des tirs de roquettes, des intérieurs de maisons en ruines… On était en zone de guerre, avec casque et gilet pare-balles. Pendant la visite, on entendait les combats dans Gaza, les mitrailleuses qui crépitaient, les missiles qui tombaient. Tout ça fait qu’émotionnellement parlant, c’était très dur. Dans ce kibboutz, il y a eu 71 morts, une quarantaine de personnes enlevées et, aujourd’hui, seuls deux habitants ont fait le choix d’y rester !

Vous avez pu les rencontrer ?

B.S. : On a effectivement fait la visite avec un vieux monsieur prénommé Israël, tout un symbole ! Il a survécu en restant enfermé avec sa femme dans la partie blindée de sa maison (prévue en cas d’attaque). Ils sont ainsi restés bloqués trois jours, la peur au ventre, car des terroristes utilisaient leur logement comme QG. Mais ils ne se sont pas aperçus qu’il restait du monde à l’intérieur. Ils ont fini par être délogés par l’armée israélienne. Israël Lander nous a dit : Pourquoi je suis vivant, alors que nos voisins et des membres de la famille ont été tués ? Les survivants sont partis ailleurs, ou dans leur famille, ils sont traumatisés et ont forcément peur que ça recommence. Le monsieur nous a raconté les exactions, les bébés tués à bout portant. Cette visite m’a rappelé celle d’Oradour-sur-Glane, quand j’étais enfant, ça m’avait sidéré, et là j’ai perçu la même barbarie. J’avais eu un premier aperçu de l’horreur car je fais partie des députés qui ont accepté de voir le film de 40 minutes sur les attaques, avec les images de GoPro des terroristes.

Comment s’est déroulée la suite du séjour ?

B.S. : On a rencontré des représentants de Tsahal (NDLR : l’armée israélienne) dont le colonel Olivier Rafowicz, le porte-parole que l’on voit régulièrement à la télévision française. Ils nous ont montré des armes utilisées par le Hamas : roquettes, obus, mitrailleuses… Ils nous ont décrit leur stratégie à Gaza, les kilomètres de tunnels notamment sous les bâtiments publics, le dôme de fer (système de défense aérienne). Ils estiment que le Hamas compte 30 000 combattants, le gouvernement a exigé de détruire complètement l’organisation. Donc le conflit risque de durer.<br>

On a aussi vu en soirée l’ambassadeur de France, Frédéric Journès. Il venait de prendre son poste à Tel Aviv seulement deux mois avant l’attaque ! Il nous a raconté comment il a fallu gérer le rapatriement de nos compatriotes, les négociations pour libérer nos otages, les appels incessants des familles qui demandaient des informations, etc.

Qu’avez-vous fait le jeudi ?

B.S. : On est d’abord allé à Ramla, au sud-est de Tel Aviv, pour découvrir la Banque nationale du sang, une structure moderne car toute neuve. Les réserves de sang – les dons ont afflué après les attaques – sont toujours prêtes à être envoyées en zone de guerre. Ce qui m’a étonné, c’est qu’il y a aussi une banque du lait, pour subvenir à d’éventuels besoins alimentaires.<br>

Ensuite on a eu droit à une visite de Jérusalem, où l’on a pu constater que la ville était très calme : les touristes ont été chassés par le conflit, donc ça pèse sur l’économie. Normalement, la place devant le Mur des lamentations est noire de monde, là il devait y avoir une trentaine de personnes. Dans le souk, 80 % des commerces sont fermés ! D’une part car des juifs craignent des attentats, d’autre part car des musulmans n’ouvrent pas, en soutien au Hamas… Ils avaient pourtant pour habitude de cohabiter, même s’il existait forcément des tensions.

Vous avez pu faire d’autres rencontres instructives dans la capitale ?

B.S. : On a été reçus à la Knesset, qui est le Parlement, donc pour un député comme moi c’était vraiment intéressant. On a échangé avec Joseph Taieb (NDLR : responsable du groupe d’amitié Israël-France) sur la situation globale, sur les craintes quant au risque d’embrasement dans toute la région (avec le Liban notamment), sur les sujets de la commission qu’il préside : éducation, affaires culturelles et sport. On a aussi discuté plus tard avec Yehuda Lancry, un ancien ambassadeur d’Israël en France, qui nous a donné son analyse géopolitique, nous parlant notamment de l’ONU car il avait travaillé pour l’organisation mondiale.

En résumé, j’ai vécu deux jours très intenses et je compte bien témoigner de mes visites et de mes rencontres à qui le souhaite, que ce soit à l’Assemblée nationale ou dans ma circonscription. D’ailleurs dès le lendemain matin de mon retour, j’étais à la cérémonie des voeux de Saint-Aubin-des-Préaux, et on m’a beaucoup questionné. C’est la preuve que le sujet intéresse les gens, jusque dans la Manche.

Biographie express

Bertrand Sorre est né le 8 mai 1965 à Cherbourg. Il rejoint Granville un peu plus tard avec ses parents, puis Saint-Pair-sur-Mer. Devenu instituteur, il travaille trois ans à Cherbourg-Octeville avant d’obtenir un poste à Granville en 1990. Il est enseignant au collège André-Malraux auprès des élèves en difficulté (Segpa).

Il est élu conseiller municipal de Saint-Pair en 2001, en devient premier adjoint en 2008, puis maire en 2014. Pour les législatives de 2017, il obtient l’investiture officielle de La République en Marche et bénéficie de la vague Macron pour être élu député de la 2e circonscription de la Manche, face au sortant LR Guénhaël Huet.

Il démissionne de son mandat de maire et il est mis en disponibilité par l’éducation nationale. Il est réélu député assez confortablement en juin 2022. Son frère Stéphane Sorre est maire d’Yquelon et président de la communauté de communes Granville Terre et Mer.

Par Nicolas Lepigeon

Source actu