Pour le journaliste britannique Jake Wallis Simons, la diabolisation d’Israël, et la place démesurée de cet Etat dans les débats mondiaux, est la nouvelle version d’une haine ancestrale contre les juifs.
Depuis 2011, la guerre syrienne a fait autour de 500 000 morts, provoquant l’exode de près de 10 millions de personnes. Un million d’Ouïgours ont été placés par la Chine dans des « camps d’internement ». Pourtant, les régimes de Bachar el-Assad et de Xi Jinping n’ont jamais fait face à des accusations de génocide devant la Cour internationale de justice. Contrairement à Israël.
Avant l’offensive sur Gaza, moins de 100 000 Arabes avaient perdu leur vie au cours des différents conflits contre Israël. A elle seule, la guerre Iran-Irak dans les années 1980 a fait un million de morts. Quand le régime syrien a largué des barils d’explosifs sur le camp palestinien de Yarmouk, nulles manifestations massives dans les capitales occidentales. Aujourd’hui, sept structures de l’ONU enquêtent sur Israël, dont une division des droits des Palestiniens ou un Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a condamné Israël deux fois plus qu’aucune autre nation. Pour Jake Wallis Simons, l’Etat hébreu et le conflit israélo-palestinien occupent depuis longtemps une place démesurée dans les médias et les débats du monde entier. Dans Israelophobia, paru en anglais juste avant l’attaque du 7 octobre, le journaliste britannique, rédacteur en chef du Jewish Chronicle, estime que c’est là l’une des manifestations flagrantes de ce qu’il nomme « l’israélophobie ».
L’auteur rappelle qu’Israël est un Etat moyen, géographiquement de la taille de la Slovénie, avec une population comparable à celle du New Jersey. Sur le plan de la démocratie, de la transparence ou de la qualité de vie, Israël dépasse de loin les autres pays du Proche-Orient. Dans le dernier rapport sur le bonheur des Nations unies (World Happiness Report 2023), il se classe au quatrième rang, loin devant la Jordanie (123e), le Liban (136e) ou la Syrie (149e). Mais, comme le souligne Jake Wallis Simons, au niveau interne, le pays est aussi un « chaos politique et social » du fait des divisions entre juifs séculiers, juifs nationalistes religieux, orthodoxes stricts et Arabes. L’extrême droite est représentée au gouvernement, tout comme elle a percé dans de nombreux pays occidentaux. S’il faut critiquer la politique de Benyamin Netanyahou, tout cela ne justifie pas, selon Jake Wallis Simons, le fait qu’Israël soit diabolisé à ce point.
Les trois âges de l’antisémitisme
Pendant des siècles, les juifs ont été haïs pour des motifs religieux. Au XIXe siècle, cette judéophobie a, en partie, cédé la place à un antisémitisme racial. Mais, désormais, c’est l’Etat d’Israël qui concentre la majorité des attaques contre les juifs. Pour Jake Wallis Simons, la notion d’antisémitisme ne permet plus de cerner le nouveau visage d’une vieille haine. « Il ne suffit plus de parler d’antisémitisme, car cette définition reste ancrée dans la haine raciale du siècle dernier. […] Il est essentiel de trouver une nouvelle façon d’identifier et de répondre à cette nouvelle intolérance. Cela commence par lui donner un nom : l’israélophobie. »
Si l’antisémitisme traditionnel est, depuis la Shoah, condamné sur le plan juridique comme moral, il est socialement très acceptable de s’en prendre à l’existence même d’Israël, ou de l’accuser d’apartheid et de génocide. A la place des théories complotistes sur les juifs contrôlant les médias ou les finances, on pourra dire qu’Israël ou le Mossad tirent les ficelles. Cette israélophobie permet d’esquiver les accusations de racisme. Antisioniste acharné, l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn a ainsi pu célébrer un repas de Pâque avec Jewdas, un groupe juif d’extrême gauche qui invite à se « débarrasser correctement » d’Israël.
Délégitimer les fondements d’Israël
L’israélophobie n’a même pas attendu la création d’Israël en 1948 pour se répandre. Paru en 1903, six ans après le premier congrès sioniste, les Protocoles des sages de Sion, texte inventé de toutes pièces par la police secrète de Nicolas II, était censé prouver l’infiltration par les juifs des gouvernements, de l’Eglise ou des médias afin d’instaurer un empire mondial. « Dans un style qui allait devenir familier, ce texte présentait le désir d’autodétermination des juifs comme un complot visant à prendre le contrôle du monde » note Jake Wallis Simons.
Aujourd’hui, cette israélophobie prospère dans la nouvelle gauche identitaire et décoloniale. Elle a ses bastions au sein de l’université et des médias. En 2021, le New York Times avait par exemple consacré sa Une à 64 enfants palestiniens tués, sans préciser qu’au moins dix d’entre eux l’avaient été du fait de roquettes défectueuses du Hamas.
Pour Jake Wallis Simons, l’israélophobie vise à délégitimer les fondements mêmes d’Israël, tout en fétichisant historiquement le déplacement d’une partie de la population palestinienne en 1948. Si 700 000 Arabes ont fui leur domicile à la création d’Israël, l’auteur rappelle que les conflits postcoloniaux, nés du passage douloureux d’empires à des Etats-nations, ont engendré des déplacements massifs. En 1947, la partition entre l’Inde et Pakistan a provoqué l’exode de 14 millions de musulmans et d’hindous. Au moins un million de personnes sont mortes dans le conflit entre les deux pays, contre environ 16 000 personnes dans la guerre israélo-arabe de 1948-1949. « Qui se lamente sur le sort des chrétiens orthodoxes grecs, des hindous et sikhs indiens, des Arméniens, des réfugiés irlandais issus de la sanglante partition britannique de 1921, ou des douze millions d’Allemands ethniques expulsés d’Europe de l’Est à l’instigation de Churchill après la Seconde Guerre mondiale ? Ou encore les Juifs du Moyen-Orient ? », s’interroge Jake Wallis Simons.