Certains juifs allemands estiment que Berlin va trop loin dans la défense d’Israël. Ils militent pour davantage de retenue et se retrouvent attaqués… pour antisémitisme.
Qu’ont en commun un poète indien, un politologue australien, une troupe folklorique irlandaise, un architecte britannique, un photographe bangladais, un historien américain de l’Holocauste, un compositeur chilien, un dramaturge israélo-autrichien, un footballeur néerlandais, un journaliste germano-nigérian, un romancier palestinien, un artiste sud-africain et Bernie Sanders, le sénateur américain ? Tous, et bien d’autres encore, ont vu leur séjour en Allemagne brusquement annulé au cours des trois derniers mois. Les raisons invoquées pour justifier l’arrêt de leurs spectacles, de leurs subventions, de leurs contrats, de leurs distinctions ou de leurs rencontres avec des responsables publics varient légèrement. Cependant, toutes reposent sur une seule crainte : que ces personnes désinvitées, dont un grand nombre se trouve être de confession juive, aient pu dire quelque chose que quelqu’un pourrait considérer comme antisémite.
La création d’Israël comme rédemption
L’ultra-sensibilité allemande face à l’antisémitisme n’a pas commencé le 7 octobre, jour où les tireurs du Hamas de Gaza ont perpétré un carnage qui a fait 1 200 morts parmi les Israéliens. Il y a un contexte, qui commence évidemment avec l’assassinat par le régime nazi de 6 millions de Juifs européens. L’une des réponses des générations suivantes d’Allemands à cette horreur a été de considérer la création d’Israël comme une « fin heureuse » à leur propre cauchemar national. Au fil du temps, explique Eyal Weizmann, directeur israélo-britannique de Forensic Architecture, un groupe de recherche qui a enquêté sur les attaques antisémites en Allemagne, ainsi que sur les violations des droits de l’homme par Israël, les Allemands en sont venus à considérer toute remise en cause de ce mythe de la rédemption comme une sorte de péché.
Une identité allemande plus effacée
Cette évolution a commencé il y a plusieurs décennies, avec la décision de l’Allemagne d’offrir des réparations de guerre non seulement aux survivants de l’Holocauste, mais aussi au nouvel État juif. À la fin des années 1960, les chapitres les plus sombres de l’histoire allemande ont commencé à être explorés avec une plus grande objectivité. Ce long processus de confrontation avec le passé est devenu le fondement d’une nouvelle identité nationale allemande, plus effacée.
Angela Merkel, chancelière de 2005 à 2021, a renforcé le sentiment d’une responsabilité particulière à l’égard d’Israël en soulignant dans un discours que la sécurité de l’Etat hébreu faisait partie de la « raison d’État » de l’Allemagne. En 2019, et c’est un paradoxe, à l’instigation de l’Alternative pour l’Allemagne (Afd), un parti largement rejeté comme fasciste, les législateurs allemands ont adopté une motion qui assimile les appels au boycott d’Israël à de l’antisémitisme. Cet amalgame officiel, qui identifie l’opposition à la politique israélienne à l’hostilité envers les Juifs en général, s’est répandu plus largement avec la nomination de « commissaires à l’antisémitisme » au sein du gouvernement.
Peur de l’ostracisme public
Les organisations qui dépendent du financement de l’État, ce qui, en Allemagne, représente une très grande proportion, se sont retrouvées de plus en plus surveillées parce qu’on les soupçonnait de franchir les limites vaguement définies par cette bureaucratie. La peur des coupes budgétaires ou de l’ostracisme public – la cause sous-jacente de la vague d’annulations susmentionnée – n’est pas exagérée, comme l’a découvert Oyoun, un centre culturel berlinois, en novembre. La ville a brusquement interrompu le financement du centre après qu’il a accueilli une ONG juive en faveur de la paix qui, selon un commissaire à la culture, pourrait encourager des « formes cachées » d’antisémitisme.
L’horreur de Gaza, où les forces israéliennes ont tué plus de 18 fois plus de personnes que les terroristes du Hamas n’en avaient tuées le 7 octobre, a mis en lumière la maladresse de l’Allemagne à embrasser Israël de manière unilatérale, mais a également placé les Juifs d’Allemagne dans un dilemme. Certains craignent que la surprotection officielle ne provoque elle-même une réaction antijuifs.
À l’inverse, Wieland Hoban, compositeur et militant juif basé à Francfort, suggère que le fait de se faire dicter par l’establishment allemand « la bonne façon être juif » pourrait en soi être qualifié d’antisémite.Mais peut-être que le conseil donné lors d’un séminaire à Berlin en décembre par Alon-Lee Green, un activiste israélien, est plus facile à comprendre pour les Allemands. Si vous voulez vraiment agir en bon ami d’Israël, a-t-il dit, la critique ne pose pas de problème. Lorsqu’un ami est ivre, on ne lui donne pas un autre verre. On le ramène chez lui et on le met au lit.
Quel est le misérable qui a écrit ça ?