Comme Tel-Aviv, la ville sainte abrite un écosystème de start-up dynamique. Dont les juifs ultraorthodoxes et les Arabes israéliens restent les grands absents.
Murailles imposantes, édifices majestueux, souk fourmillant d’agitation… Les rues de Jérusalem sont aux antipodes des avenues branchées de Tel-Aviv, le havre des startupers israéliens. La ville trois fois sainte abrite pourtant, elle aussi, un écosystème tech agile. Elle ne compte pas moins de 600 start-up, employant quelque 20 000 professionnels du numérique. Entre 2018 et 2022, près de 4 milliards de dollars se sont déversés sur cette scène, révèle le dernier rapport de Made in JLM. Soit trois fois plus que les cinq années précédentes.
Le joyau de la couronne hiérosolymitaine, c’est bien sûr Mobileye. Créée en 1999 par Amnon Shashua, professeur en sciences informatiques à l’Université hébraïque de Jérusalem, et l’entrepreneur Ziv Aviram, cette start-up est devenue un leader mondial des systèmes avancés d’aide à la conduite et des technologies pour les véhicules autonomes. A tel point qu’en 2017, elle a été rachetée pour la somme record de 15 milliards de dollars par Intel.
Le dernier bébé des créateurs de Mobileye semble également promis à un bel avenir : leur entreprise, Orcam, qui développe des appareils de vision artificielle pour les malvoyants, a rejoint en 2018 le club sélect des licornes, ces start-up valorisées plus d’un milliard de dollars. Elle a désormais aussi des bureaux à New York, Cologne et Londres. Moins philanthropique mais populaire dans le monde entier, l’application Facetune – avec son IA de retouche de selfies –, a quant à elle fait entrer Lightricks dans le cheptel de licornes de la ville.
Apple a installé un centre de R & D
« La scène tech locale peut s’appuyer sur l’excellence de l’Université hébraïque de Jérusalem dans la science informatique et celle de l’école Bezalel dans l’art et le design », souligne Avi Hasson, P-DG de l’organisation Start-Up Nation Central et ancien scientifique en chef du ministère de l’Economie et des finances du pays. Des collaborations avec l’hôpital Hadassah ont également aidé à fleurir les start-up spécialisées dans les technologies tournées vers la santé et la biologie. Lancé par Erel Margalit en 1993, le fonds Jerusalem Venture Partners – 1,6 milliard de dollars – s’est aussi affirmé comme un acteur clef de cet écosystème : il a investi dans pas moins de 165 entreprises, en Israël comme à l’étranger. Si les multinationales de la tech sont peu présentes à Jérusalem, elles commencent à s’y intéresser : Apple y a installé un nouveau centre de R & D et d’autres Gafam prévoient de le faire.
Jérusalem encapsule le grand défi de la start-up nation en 2023. La tech est le moteur économique du pays : elle représente 18 % de son PIB et environ la moitié de ses exportations. Dans la période de conflit actuel, elle joue le rôle d’airbag. Le marché intérieur est, en effet, si petit que l’écosystème foisonnant de start-up qui a poussé en Israël est tourné de longue date vers la clientèle étrangère, notamment les Etats-Unis. La demande n’est donc pas entamée par la guerre contre le Hamas. L’ennui, c’est que le secteur a de plus en plus de mal à trouver les ressources humaines nécessaires pour poursuivre sa folle croissance. Il suffit de regarder la tech à Jérusalem pour comprendre où se situe le défi : certaines catégories de la population sont très éloignées du monde des start-up.
Alors qu’à eux deux, les juifs ultraorthodoxes et les Arabes israéliens représentent un bon tiers de la population israélienne – et plus de la moitié à Jérusalem –, ils ne comptent que pour 4 % des employés du secteur tech. Chez les ultraorthodoxes, cet écart est avant tout lié à la manière dont sont formés les jeunes hommes. « Ils étudient la Torah et le Talmud, pas l’anglais ni les mathématiques », explique Avi Hasson. Chez les Arabes israéliens, le problème est plus géographique : ils sont peu nombreux à vivre dans les « hubs tech » du pays. « Et comme les ultraorthodoxes, ils ne font pas de service militaire. Or, c’est là que les futurs entrepreneurs se créent un précieux réseau » précise l’expert. Amener ces deux populations à la tech est stratégique pour que la start-up nation continue de prospérer. A l’échelle de Jérusalem, cette ouverture sera en outre essentielle pour réduire les fortes disparités économiques entre les habitants.