Face à la multiplication des actes antisémites dans l’Hexagone, une partie de l’opinion publique se mobilise en reprenant et détournant le célèbre slogan «Je suis Charlie», qui avait été utilisé au lendemain de l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo.
Au 29e jour de la guerre entre l’État hébreu et le Hamas au Proche-Orient, le conflit n’a jamais autant divisé le monde occidental, et notamment la France. Depuis le 7 octobre dernier, jour de l’attaque terroriste contre Israël, l’Hexagone a d’abord vu sa classe politique s’entredéchirer sur la qualification des actes commis par l’organisation terroriste palestinienne avant de constater une importante montée de l’antisémitisme sur son territoire national.
Au 31 octobre, «857 actes antisémites» avaient en effet été recensés dans l’Hexagone par le ministère de l’Intérieur. C’est-à-dire, près du double du nombre d’incidents comptabilisés pour l’ensemble de l’année 2022. Un fléau qui gagne donc du terrain et qui inquiète autant les autorités que les Français, dont certains ont inventé le slogan #JeSuisJuif pour se défendre ou pour soutenir les citoyens de confession juive devenus des cibles.
Une référence à Charlie
L’écrivaine d’ascendance juive, Rachel Khan, a partagé le slogan sur X, le 2 novembre dernier, en l’accompagnant d’un texte : «La France a un rendez-vous avec son histoire, un rendez-vous urgent avec sa devise, un rendez-vous impérieux avec la fraternité», a-t-elle déclaré avec gravité. Avant d’ajouter : «Il s’agit, en fait, d’un moment de vérité pour la République, avec tout ce que nous sommes».
La France a un rendez-vous avec son histoire, un rendez-vous urgent avec sa devise, un rendez-vous impérieux avec la fraternité.
Il s’agit, en fait, d’un moment de vérité pour la République, avec tout ce que nous sommes. #JeSuisJuif pic.twitter.com/IH2vnFrUoS— Rachel KHAN®️ (@KhanNRachel) November 2, 2023
Pour elle, pas question de laisser les Français de confession juive vivre dans la terreur sur le sol français. La veille, elle avait déjà publié sur le réseau social : «C’est très précisément parce que partout dans le monde TOUTES LES VIES SE VALENT que, par exemple, les Français juifs n’ont pas besoin d’être intimidés ou d’avoir des cibles sur leur porte en forme d’étoile de David. Merci.»
Son message était accompagné d’un logo, dont le visuel n’est pas sans rappeler le #JeSuisCharlie qui avait inondé la toile, il y a près de 9 ans. Seulement quelques heures après l’attentat islamiste du 7 janvier 2015 dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, le directeur artistique Joachim Roncin avait publié cette image, sous le choc.
Le visuel sobre, seulement composé de blanc, de gris et de noir, était rapidement devenu viral sur Twitter mais aussi dans les manifestations qui ont suivi l’attaque terroriste islamiste. Le même slogan avait été repris au lendemain de l’attaque terroriste qui avait coûté la vie à Samuel Paty, le 16 octobre 2020 : des #JeSuisProf ou encore #JeSuisSamuelPaty s’étaient multipliés sur internet, consacrant ainsi la formule comme symbole du soutien aux victimes d’attentats terroristes.
La communauté juive française en alerte
Le journaliste Mohamed Sifaoui a également partagé le message en martelant avec colère : «#JeSuisJuif et #JeSuisSioniste et je méprise profondément tous ceux qui veulent nous faire vivre ou faire vivre nos amis, nos compatriotes, nos voisins, nos collègues, nos frères dans la terreur !». «Oui je méprise tous les tenants de l’antisémitisme et du terrorisme ainsi que leurs alliés et leurs soutiens, conscients et inconscients», avait-il ajouté en dénonçant la multiplication des actes antisémites : des étoiles de David dessinées sur des maisons en région parisienne, des croix gammées adressées à des élus ou tracées sur un passage piéton à Nice, la porte d’un couple juif incendiée dans le XXe arrondissement, des tags «Sales juifs» qui fleurissent dans les universités.
Il y a des moments dans l’histoire où il ne faut pas avoir piscine !#JeSuisJuif et #JeSuisSioniste et je méprise profondément tous ceux qui veulent nous faire vivre ou faire vivre nos amis, nos compatriotes, nos voisins, nos collègues, nos frères dans la terreur !
Oui je… pic.twitter.com/aZtc7nUOT1
— Mohamed Sifaoui (@Sifaoui) November 2, 2023
Mercredi dernier, plusieurs individus avaient même entonné dans un métro un chant extrêmement violent, en toute impunité : «N*que les juifs et n*que ta mère, vive la Palestine (…) N*que les juifs et les grands-mères, On est des nazis et fiers». Des propos rapidement jugés «choquants, inadmissibles, indignes» par le préfet de police, Laurent Nuñez. Beaucoup dénoncent ainsi un «antisémitisme d’atmosphère» ou encore «décomplexé», aussi bien dans l’espace public que dans les médias.
«Je ne suis pas juif. Mais toute personne qui n’est pas juive, comme moi, qui est attachée à la justice et qui a un minimum conscience de l’Histoire devrait dire : “Je suis juif”, comme on disait : “Je suis Charlie”, même si on ne partageait pas tout ce qu’il y avait dans ce journal», s’est insurgé David Lisnard, patron de l’Association de maires de France, auprès de nos confrères du Point .
«L’éternel recommencement de la haine»
Si aucun politique n’a pour l’heure utilisé ce slogan, ils sont une immense majorité à dénoncer la montée de l’antisémitisme en France depuis le 7 octobre. Elisabeth Borne, la première ministre, a ainsi déclaré la semaine dernière : «S’en prendre à un juif, c’est offenser la République». «Personne ne touchera à un cheveu d’un juif sans attendre la réponse foudroyante de l’État», avait déjà lancé le ministre de l’Intérieur, à la mi-octobre.
Bruno Le Maire a de son côté consacré une longue publication à cette question sur X déplorant «l’éternel recommencement de la haine». Face à la montée de l’antisémitisme, les voix qui «se sont élevées pour condamner ces actes» ne sont pas «unanimes», a-t-il dénoncé. Avant de poursuivre : «Nous sommes bien obligés de constater le silence de la plupart des représentants officiels de la communauté musulmane, la réaction si tempérée des autres cultes, les justifications alambiquées de certains chroniqueurs, qui confondent liberté d’expression et faute professionnelle». Il faisait ici référence à la sortie de Guillaume Meurice, sur France Inter, qui a comparé le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à «une sorte de nazi, sans prépuce».
«Comme tout citoyen de n’importe quelle autre confession, ils [les Juifs] ont droit à la protection de la République laïque et universelle», a ainsi insisté Bruno Le Maire, préférant à l’expression #JeSuisJuif, celle de #JesuisFrançais. Cette dernière «signifie tout simplement que je me battrai jusqu’au bout pour qu’un autre Français vive en paix sur notre territoire, dans la fidélité à nos principes et à nos valeurs», a-t-il martelé.