Haïm Korsia en visite à Bayonne souhaite « que les chemins de la paix soient retrouvés »

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Haïm Korsia, grand rabbin de France, a répondu aux questions de France Bleu Pays Basque ce dimanche à l’occasion de sa venue à Bayonne pour l’inauguration d’une pierre à chocolat dans le quartier Saint Esprit.

Avec quelques jours d’avance sur les 30 ans de l’Académie du chocolat de Bayonne, la mairie a invité Haïm Korsia, grand rabbin de France, à inaugurer un métate devant la gare de Bayonne dimanche 22 octobre. Cette pierre à chocolat se trouve au cœur du quartier Saint-Esprit et doit devenir le symbole de la place prédominante du chocolat dans la cité, mais aussi de la communauté juive qui a amené les secrets de transformation de la fève de cacao en bord d’Adour. Après la cérémonie, Haïm Korsia s’est entretenu avec France Bleu Pays Basque sur le conflit actuel au Proche-Orient et ses répercussions en France.

France Bleu Pays Basque : quel message vouliez-vous faire passer avec l’inauguration de cette pierre à chocolat à Bayonne ?

Haïm Korsia : Il y a cette inauguration du monument qui est assez merveilleux parce que d’abord, il est beau. Et puis ça rappelle l’histoire un peu oubliée […] que c’est la communauté juive qui, la première, a fait venir et qui a travaillé le chocolat. Voilà pourquoi j’ai insisté (lors de son discours, NDLR) sur le mot faiseur de chocolat et pas chocolatier, même si aujourd’hui les maisons sont des maisons de chocolaterie. Et je trouve que, ce biais, c’est aussi une façon de rappeler ce que le judaïsme a essayé toujours d’apporter à la France.

Il y a une remontée des tensions en France à cause du conflit au Proche-Orient…

Ce n’est pas que je vais interrompre votre question, même si c’est ce que je fais. Quand vous posez la question comme ça, vous laissez entendre qu’en dehors de ça, c’est serein. Malheureusement, c’est faux. Il n’y a pas besoin du conflit en Israël pour qu’il y ait toute l’année et tout le temps des faits antisémites. Ce qu’il y a, et là vous avez raison, c’est une recrudescence qui est liée au fait que la haine est toujours présente sauf qu’on fait comme si on ne voyait pas. Et je crois que ce sont dans des moments comme ceux-là, que les personnes qui ont le magistère de la parole, c’est-à-dire l’État doivent avoir les mots justes. L’État français a eu les mots justes. Ceux qui n’ont pas eu les mots justes montrent qu’ils n’essayent pas de construire un monde de vérité, c’est-à-dire un monde dans lequel les chats s’appellent des chats.

Le gouvernement a interdit les manifestations pro-palestiniennes. Est-ce que vous pensez que…

Pardon, jamais l’État n’a interdit de manifestation pro-palestinienne, il a interdit les manifestations pro-Hamas, ce qui est différent puisque c’est un mouvement terroriste, étant entendu qu’on ne peut pas interdire une manifestation pro-palestinienne, si ça se passe bien. Or, toutes les manifestations qui finalement ont été autorisées ont montré des débordements.

Il n’y a pas eu de violence à Bayonne ou à Urrugne. Ils appelaient à la paix.

Mais parce que justement, ils ont été avertis et que les services de l’État ont eu une vigilance, ici en particulier, pour qu’aucun message n’appelle à la violence ou à la haine. Pensons simplement qu’en juillet 2014, j’ai passé tout le week-end à Biarritz et je suis rentré à toute vitesse à Paris parce que des synagogues étaient attaquées aux cris de « mort aux juifs » (une version contredite par nos confrères de France24 ici et de Libération ici). Donc il y a eu des précédents. On n’est pas dans un fantasme. Très légitimement, le ministre de la Justice a appelé à un délai de décence par rapport aux assassinats horribles qu’il y a eu en Israël. Maintenant, les manifestations en France sont libres dans la mesure où il n’y a pas de trouble à l’ordre public et l’État est garant de cela. Et je remercie en tout cas le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice et globalement le gouvernement, d’avoir fait preuve de fermeté. Et vous avez raison de rappeler que puisqu’il y a eu fermeté, les choses se sont bien passées, organisées.

En tant que représentant d’une communauté, vous pourriez appeler à une manifestation commune avec une autre communauté qui appellerait à la paix ?

Je ne connais qu’une seule communauté en France c’est la communauté nationale.

Non mais il y a deux populations qui souffrent actuellement au Proche-Orient : les civils en Israël et ceux dans la Bande de Gaza. Est-ce que l’on pourrait voir une manifestation commune pacifique en France ?

À Gaza, la population souffre depuis 2007 et je n’ai pas vu de manifestations pour rappeler que la population de Gaza est écrasée par le Hamas depuis 2007. Oui, la bande de Gaza est une prison, mais les geôliers, c’est le Hamas (NDLR : depuis 2007 et la prise du pouvoir du Hamas, un blocus israélo-égyptien a été mis en place). Attention à cette façon de renvoyer dos à dos les parties. Là, on a eu des massacres absolument horribles, sans commune mesure avec tout ce qu’on a pu imaginer, y compris dans un passé relativement récent. Donc là, il y a eu une sorte de haut-le-cœur global de nos sociétés pour dire « on ne peut pas laisser ça ». Après, il y a la loi de la guerre qui est insupportable, mais qui est l’idée qu’un pays peut se défendre. C’est ce que fait Israël. Je connais ses soldats et ses armées qui ont des impératifs éthiques. Maintenant, tout ce qu’il faut espérer, c’est que le mal soit extirpé et que les chemins de la paix soient retrouvés. Je ne pense pas qu’il faille ajouter de la violence dans les manifestations, qu’il faille ajouter le chaos dans la société. On a en France assez de raisons pour ne pas être d’accord pour en rajouter. Et quand on dit qu’il ne faut pas importer le conflit, ce n’est pas l’importer pour les uns ou pour les autres. On arrive à construire des choses en France qui sont assez formidables. On échange en permanence, tous les jours, avec tous les cultes, mais il n’y a qu’une seule communauté en France, c’est la communauté nationale. Et quiconque brise cette sorte de capacité qu’on a à vivre ensemble, des choses à construire, fêle quelque chose de très fragile qui s’appelle la République.

Simon Cardona

Source francebleu